La Cour d’appel de Paris prend position concernant la qualification juridique du jeu vidéo
Publié le 01/01/2008 par Thibault Verbiest, Etienne Wery , Marie de Bellefroid
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 20 septembre dernier, relance une fois de plus le débat concernant la qualification juridique du jeu vidéo. Cette décision a ceci d’intéressant qu’elle s’engage dans la qualification du jeu vidéo comme une oeuvre complexe, soumise à une application distributive des différents régimes juridiques du droit d’auteur. Consultez la décision de la Cour d’appel de Paris dans notre rubrique Jurisprudence.
S’il est admis, aujourd’hui, que le jeu vidéo peut être qualifié d’œuvre au sens de la législation française sur le droit d’auteur, des controverses subsistent néanmoins sur sa qualification juridique précise.
Le jeu vidéo est-il un simple logiciel ou peut-il être qualifié d’œuvre multimédia avec toutes les implications que ces qualifications emportent ? Faut-il adopter une autre optique consistant à dire que le jeu vidéo serait « un peu de tout », en ce sens qu’il constituerait un ensemble complexe composé de plusieurs œuvres distinctes ?
Parallèlement à ce premier débat, les juristes se livrent également à d’autres joutes sémantiques portant, cette fois, sur la question de savoir si le jeu vidéo est une œuvre collective ou une œuvre de collaboration. A nouveau, les régimes juridiques attachés à ces deux types d’œuvres sont différents.
L’œuvre collective, définie à l’article L.113-2 du Code de propriété intellectuelle, est l’œuvre « créée à l’initiative d’une personne qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. » Au contraire de l’œuvre collective, l’œuvre de collaboration, définie comme l’œuvre à laquelle plusieurs personnes physiques ont concouru, permet de faire la distinction entre les prestations des différentes personnes physiques impliquées dans sa réalisation.
L’arrêt rendu le 20 septembre dernier par la Cour d’appel de Paris relance une fois de plus la double polémique relative à la qualification juridique du jeu vidéo.
Il est question, dans cette affaire, de jeux vidéo dont les scènes se déroulent sur fond de musique protégée par le droit d’auteur. La SESAM (société française de gestion de droits d’auteur, rattachée à la SACEM), réclamait à l’éditeur des jeux en question, le versement de droits pour les musiques insérées dans ces jeux.
L’éditeur des jeux vidéo litigieux défendait l’argument selon lequel l’introduction de musique dans les jeux vidéo n’était pas subordonnée à l’autorisation préalable des auteurs concernés, car elle ne faisait pas naître de droits d’auteur.
Cette thèse s’appuyait sur l’idée que le jeu vidéo doit être qualifié de logiciel, avec comme conséquence que les éditeurs de jeux vidéo peuvent bénéficier des dispositions de l’article L.131 – 4, 5° du Code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit que la rémunération d’un auteur peut être évaluée forfaitairement, en cas de cession de logiciel. En effet, dans cette décision, la Cour rejette les qualifications d’œuvre logicielle ou audiovisuelle que d’aucuns prêtent au jeu vidéo, préférant à ces deux conceptions, une troisième voie consistant à dire que le jeu vidéo est une œuvre multiple, à laquelle ne peut être appliqué un régime juridique unique.
Selon la cour, en effet, le jeu vidéo est « une œuvre de l’esprit complexe » élaborée au moyen d’un logiciel « avec un scénario, des images, des sons, des compositions musicales, etc… ». Et de conclure en disant que les jeux vidéo sont « des œuvres « multimédia » qui ne se réduisent pas au logiciel qui permet leur exécution ».
Par ailleurs, dans sa décision, la Cour qualifie le jeu vidéo d’œuvre de collaboration.
Sa décision vient contrer l’argument défendu par l’éditeur du jeu vidéo, selon lequel le jeu vidéo est une œuvre collective. En effet, selon l’éditeur des jeux, le jeu vidéo est une œuvre collective, impliquant que ceux qui y ont contribué, ne voient pas naître de droits sur leur tête, ces droits étant directement attribués à l’initiateur de l’œuvre en application de l’article L.113-2 du Code de propriété intellectuelle.
Plus précisément, dans sa décision, la Cour considère que « la musique ne se fond pas dans l’ensemble que constitue le jeu vidéo » et qu’il « reste possible d’attribuer au compositeur ses droits d’auteur distincts sur cette œuvre qui, par rapport à ce dernier, est une œuvre de collaboration au sens des articles L.113-2 et L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle ».
Nouvelle pierre à l’édifice de la controverse portant sur les jeux vidéo, la décision de la Cour d’appel de paris vient s’ajouter aux précédentes décisions de jurisprudence déjà rendues en la matière. Plusieurs décisions ont en effet déjà été rendues, tranchant chaque fois la controverse d’un côté ou d’un autre.
Ainsi, le 2 avril 2004, la Cour d’appel de Paris avait pris parti pour une qualification du jeu vidéo en tant qu’œuvre de collaboration. Pour ce faire, elle se fondait sur le fait que le scénariste et le chef de projet de l’œuvre multimédia n’avaient reçu aucune directive dans la conduite de leur travail et avaient chacun fourni un apport artistique pouvant être aisément distingué, concernant le scénario du jeu, et notamment concernant le choix des personnages du jeu concerné. (CA Paris, 2 avril 2004, SA CRYO Interactive Entertainment c/ Revillard)
A l’inverse de cette décision, la Cour d’appel de Versailles avait par ailleurs précédemment considéré que le jeu vidéo pouvait être qualifié d’œuvre collective. (CA Versailles, 18 novembre 1999, Jean-Marc c/ havas Interactive Europe)
A l’examen de cette nouvelle décision, il est évident que la controverse concernant la qualification juridique des jeux vidéo n’a pas encore reçu de réponse.
La décision commentée ici a cependant ceci d’original qu’elle emprunte résolument la voie d’une conception pluraliste, visant à considérer le jeu vidéo comme une œuvre complexe, composée de diverses œuvres. Inévitablement, cette conception aboutit à la solution d’une application distributive des divers régimes spéciaux du droit d’auteur, aux différentes œuvres composant le jeu vidéo.
Quant à savoir si cette solution trouvera écho dans d’autres décisions de jurisprudence…la suite est à venir.
Plus d’infos en lisant l’arrêt rendu, disponible sur notre site.