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La brevetabilité du vivant sous l’œil de la cour suprême américaine

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C’est une affaire aux retombées potentiellement énormes que la cour suprême US juge pour l’instant : un gène humain peut-il ou non être breveté ? C’est tout une économie qui attend le verdict et tremble sur ses bases, tandis que les opposants à la brevetabilité du vivant se mobilisent.

Le brevet

Pour faire simple, disons qu’il y a quatre conditions principales à l’obtention d’un brevet :

  • Il doit s’agir d’une invention : la création de quelque chose qui n’existait pas encore. L’invention s’oppose à la découverte, qui consiste uniquement à remarquer quelque chose qui existait déjà auparavant.  Il y a plusieurs types d’inventions : de produit, de procédé, résultant de l’application nouvelle de moyens connus, résultant de la combinaison nouvelle de moyens connus.
  • L’invention doit être nouvelle, c’est-à-dire qu’elle ne peut être comprise dans l’état actuel de la technique. La nouveauté doit être absolue : la divulgation de l’invention avant la date de dépôt de la demande de brevet, quelle qu’en soit la forme (brevet ou demande de brevet, publication, exposition, divulgation orale…) ou le lieu, détruit la nouveauté. Cette condition implique donc qu’un dépôt de brevet s’accompagne normalement d’une recherche d’antériorités, dont le but est de vérifier si la technologie n’est pas antériorisée.
  • L’invention doit impliquer une activité inventive, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas, pour un homme de métier, découler d’une manière évidente de l’état de la technique.
  • L’invention doit être susceptible d’application industrielle, c’est-à-dire qu’elle doit déboucher sur une application pratique et donc doit être utilisable dans l’industrie entendue au sens large.

Si vous obtenez ce brevet, pendant toute sa durée de validité vous avez le droit de monnayer l’utilisation de l’objet breveté. Le modèle économique est simple : on crée un actif composé de propriété intellectuelle qui est ensuite commercialisé comme n’importe quel autre objet ou service.

C’est exactement ce qu’a fait la société Myriad Genetics, une entreprise privée qui dispose depuis le milieu des années 1990 des brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2. Ces gènes jouent un rôle dans le cancer du sein et la société a conçu des tests de détection du cancer qu’elle vend à un prix que ses opposants trouvent trop élevé. Ils accusent la société d’entraver la recherche et d’être en partie responsable de la mort des personnes qui ne sont pas diagnostiquées à temps car elles n’ont pas pu s’offrir ce test.

Un brevet sur des gènes ?

Appliquée aux sciences de la vie, le brevet pose deux questions fondamentales :

  1. Lorsqu’on décode le fonctionnement d’un gène, est-ce que l’on « invente » quelque chose ? Pour les opposants, c’est non : ce mécanisme existe dans la nature, il appartient à la nature, et comprendre son fonctionnement ne signifie pas que l’homme l’a inventé. Tout au plus l’a-t-il « découvert », ce qui est bien différent.
  2. À supposer qu’il s’agisse d’une invention, est-elle nouvelle ? Pour les opposants, c’est encore non : les gènes existent depuis que le monde est monde et l’on ne peut, après quelques milliards d’années, revendiquer la nouveauté d’un mécanisme qui est le mode de fonctionnement essentiel des vivants et des végétaux.

Un cadre juridique complexe

Inutile de dire qu’entre les enjeux économiques et les enjeux de société (et philosophiques), le cadre juridique qui en résulte est complexe.

En Europe, il s’agit d’une directive du 6 juillet 1998  dont l’article 5 stipule que :

« 1. Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables.

2. Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel.

3. L’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. »

Le corps et les gènes qui le codent ne sont donc pas brevetables, mais le fonctionnement chimique du gène isolé du corps humain peut l’être. Pas simple de tracer la frontière ! On dit souvent en clin d’oeil que les seuls à profiter de cette complexité sont les agents et avocats spécialisés en brevet …

Et encore plus complexe si l’ont tient compte du fait que :

  • le corps humain est en principe hors-commerce et
  • les autres conditions de brevetabilité sont maintenues dont l’exigence de nouveauté que les opposants au brevet soulignent : ce procédé chimique, même isolé du corps humain, ne serait jamais qu’une loi de la nature qui préexiste et que l’homme ne peut pas s’approprier.

Un arrêt attendu

On comprend donc que l’arrêt de la cour suprême soit attendu avec impatience. Dans le système juridique US, les neuf juges de la cour suprême sont l’autorité suprême qui décide de ce qui est constitutionnel ou non. Beaucoup de pouvoir pour quelques êtres humains …

Même des observateurs de haut vol, tel Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et professeur à l’Université Columbia à New York, ont pris position dans le débat, certains pour défendre l’innovation qui coute cher et doit donc pouvoir être rentabilisée par l’inventeur, ou au contraire pour voir dans le brevet de Myriad un obstacle à la mise au point d’autres tests médicaux mais aussi à la recherche fondamentale.

Quel qu’il soit, le verdict US n’aura pas en Europe la même portée puisque le « vieux-continent » fonctionne sur la base d’une directive, mais il n’empêche qu’une victoire des opposants donnerait une impulsion nouvelle à leur combat et aurait des répercussions politiques majeures, tandis qu’une défaite serait un signal fort donné à l’office européen des brevets qui aimerait se montrer plus coulant en la matière mais sait qu’il marche sur des œufs.

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