Jeux en ligne : le monopole allemand est invalidé par la Cour de justice
Publié le 03/10/2010 par Thibault Verbiest, Geoffroy Lebon
A travers trois affaires, la CJCE a eu une nouvelle fois l’occasion d’apprécier la légalité, en droit européen, du monopole créé par un Etat sur les jeux en ligne. La cour ne s’est pas montrée aussi complaisante qu’avec le Portugal (Santa Casa) ou les Pays-Bas (De Lotto) et continue d’établir les bases d’une jurisprudence « cohérente et systématique ».
En l’occurrence, les autorités publiques allemandes entendaient interdire à différentes sociétés étrangères l’exercice de l’activité d’opérateur de jeux de hasard sur le territoire national par le biais des réseaux de jeux traditionnels ou grâce à l’usage de moyens techniques modernes (aff. C-409/06, aff. C-46/08, aff. C-316/07). Pour faire valoir leurs droits, les sociétés se fondaient sur le droit communautaire et notamment les articles 43 (liberté d’établissement) et 49 (libre prestation de services) du Traité CE.
Il revenait donc à la Cour de se prononcer sur la comptabilité, avec les textes communautaires, de la législation allemande relative aux jeux de hasard qui a notamment pour particularité de relever tantôt de la compétence des autorités régionales (Länder), tantôt de la compétence des autorités fédérales. A cet égard, le juge communautaire considère que si une telle répartition des compétences est sans incidence sur l’étude de la compatibilité d’une mesure nationale avec les dispositions du Traité, il n’en reste pas moins pour les autorités publiques concernées l’obligation de respecter les libertés communautaires (Aff. C-46/08).
Conscientes que la législation alors en vigueur au moment de la saisine de la CJCE n’était pas réellement en accord avec les principes de droit communautaire, les autorités allemandes souhaitaient savoir si le maintien provisoire, guidé essentiellement par un souci de sécurité juridique (éviter une situation de vide juridique), de cette législation durant le temps nécessaire à sa mise en conformité était contraire au Traité. Si le juge communautaire ne semble pas réfuter complètement un tel mécanisme, il estime que les circonstances de l’espèce ne permettent pas de l’appliquer sous peine de méconnaître le principe de primauté du droit de l’Union (Aff. C-409/06). En effet, « en raison de la primauté du droit de l’Union directement applicable, une réglementation nationale relative à un monopole public sur les paris sur les compétitions sportives qui, selon les constatations opérées par une juridiction nationale, comporte des restrictions incompatibles avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services, faute pour lesdites restrictions de contribuer à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique, ne peut continuer à s’appliquer pendant une période transitoire ».
Par ailleurs, les autorités publiques se demandaient si, pour pouvoir se prévaloir du bénéfice de la liberté de prestation de services sur le territoire allemand, l’opérateur en cause devait effectivement exercer une activité de jeux en ligne au sein de l’Etat membre dans lequel il est établi (Aff. C-46/08). A cette interrogation, la CJCE va répondre que « l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’un opérateur désireux de proposer via Internet des paris sur des compétitions sportives dans un État membre autre que celui dans lequel il est établi ne cesse pas de relever du champ d’application de ladite disposition du seul fait que ledit opérateur ne dispose pas d’une autorisation lui permettant de proposer de tels paris à des personnes se trouvant sur le territoire de l’État membre dans lequel il est établi, mais dispose uniquement d’une autorisation de proposer ces services à des personnes se trouvant en dehors dudit territoire ».
Toujours dans cette idée d’écarter toute difficulté d’interprétation, le juge communautaire déclare que la justification de l’octroi de droits exclusifs en matière de jeux de hasard ne doit pas forcément être corroborée par une étude qui aurait été réalisée antérieurement à la mise en place de la mesure restrictive (Aff. C-316/07). En d’autres termes, « pour pouvoir justifier un monopole public afférent aux paris sur les compétitions sportives et aux loteries, tel que ceux en cause dans les affaires au principal, par un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, les autorités nationales concernées ne doivent pas nécessairement être en mesure de produire une étude établissant la proportionnalité de ladite mesure qui soit antérieure à l’adoption de celle-ci ».
En outre, la Cour rappelle que la mise en place dans un Etat membre d’un régime d’autorisation administrative préalable en ce qui concerne l’offre de certains types de jeux de hasard ne se heurte pas au principe de la libre prestation de services s’il est « fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne puisse être utilisé de manière arbitraire ». Cette mise en place doit également s’accompagner de l’institution d’une voie de recours effective de nature juridictionnelle (Aff. C-46/08). Néanmoins, ce n’est pas sur ce point que la législation allemande va être épinglée.
Le juge communautaire, à l’appui des constations réalisées par les juridictions nationales allemandes, admet que le monopole public institué en Allemagne ne se justifie pas au regard des objectifs légitimes invoqués (prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et lutte contre l’assuétude au jeu). En l’espèce, ce n’est pas tant le fait que certains jeux de hasard relèvent d’un monopole public et d’autres soient soumis à un régime d’autorisation qui emporte la conviction du juge. A cet effet, ce dernier énonce que « la circonstance que divers types de jeux de hasard sont soumis, les uns à un monopole public, les autres à un régime d’autorisations délivrées à des opérateurs privés ne saurait, à elle seule, conduire à priver de leur justification, au regard des objectifs légitimes qu’elles poursuivent, les mesures qui, à l’instar du monopole public, apparaîtraient prima facie comme les plus restrictives et les plus performantes. En effet, une telle divergence de régimes juridiques n’est pas, en soi, de nature à affecter l’aptitude d’un tel monopole public à atteindre l’objectif de prévention de l’incitation des citoyens à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci pour lequel il a été institué ».
En réalité, la CJCE condamne, aussi bien dans l’affaire C-46/08 que dans l’affaire C-316/07, la législation allemande dans la mesure où celle-ci « n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci en vue duquel il a été institué en contribuant à réduire les occasions de jeu et à limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique ». Le juge communautaire ne conçoit pas que la législation allemande puisse être de nature restrictive alors que, d’une part, une politique d’expansion des jeux est réalisée pour les jeux de hasard qui ne sont pas couverts par le monopole et qui plus est présentent un potentiel de risque d’addiction plus élevé et alors que, d’autre part, « le titulaire du monopole public en matière de paris sur les compétitions sportives se livre, en ce qui concerne les jeux de loterie auxquels s’étend également ledit monopole, à des campagnes publicitaires intensives mettant en exergue le besoin de financement d’activités sociales, culturelles ou sportives auxquelles se trouvent affectés les bénéfices qui seront réalisés, et laissant ainsi apparaître que la maximisation des profits destinés à de telles activités devient une fin en soi des mesures restrictives concernées ». Autrement dit, à la différence du monopole étatique néerlandais (De Lotto), la politique expansionniste mise en place en Allemagne et le recours à la publicité par le titulaire du monopole ne sont pas destinés à enrayer l’offre illégale en canalisant l’envie de jouer des consommateurs dans des circuits légaux.
En conséquence, ces trois arrêts s’inscrivent dans la lignée des arrêts rendus par la CJCE dans le secteur des jeux de hasard en ce sens qu’« il appartient à chaque État membre d’apprécier si, dans le contexte des buts légitimes qu’il poursuit, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités relevant du domaine des jeux de hasard, ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes ».
En somme, ils permettent de mettre fin à l’analyse des détracteurs de la libéralisation des jeux en ligne en France selon laquelle les récentes décisions de la CJCE démontraient que le juge communautaire était en totale contradiction avec la Commission européenne en ce qui concerne la remise en cause de l’octroi de droits exclusifs en matière de jeux de hasard.
Qu’on se le dise, la ligne de conduite à suivre par les Etats membres est sans équivoque depuis des années : une législation restrictive relative aux jeux de hasard doit nécessairement poursuivre des objectifs légitimes de manière cohérente et systématique.
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