Intel sanctionné pour abus de position dominante : un milliard d’euros d’amendes ! Record battu…
Publié le 14/05/2009 par Etienne Wery
La Commission européenne a infligé une amende de 1.060.000.000 d’Euros à Intel Corporation pour infraction aux règles antitrust du traité CE relatives à l’abus de position dominante (article 82) par le recours à des pratiques anticoncurrentielles illégales visant à exclure les concurrents du marché des puces informatiques appelées «processeurs x86». La Commission a jugé qu’Intel recourait à deux formes spécifiques de pratique illégale. Premièrement, elle accordait des remises intégralement ou partiellement occultes aux fabricants d’ordinateurs à la condition qu’ils lui achètent la totalité ou la quasi-totalité des processeurs x86 dont ils avaient besoin. Intel a aussi effectué des paiements directs en faveur d’un grand distributeur à la condition qu’il ne vende que des ordinateurs équipés de processeurs x86. La Commission a aussi ordonné à Intel de mettre immédiatement un terme à ses pratiques illégales dans la mesure où elles ont toujours cours.
Remises et paiements conditionnels
Pour la Commission, Intel a accordé des remises à des fabricants d’ordinateurs à la condition qu’ils s’approvisionnent exclusivement ou quasi-exclusivement auprès d’elle, du moins dans certains segments. Plus particulièrement, l‘exécutif européen pointe les éléments suivants:
- Intel a accordé des remises au fabricant d’ordinateurs A de décembre 2002 à décembre 2005 à la condition que ce fabricant n’achète que des processeurs Intel;
- Intel a accordé des remises au fabricant d’ordinateurs B de novembre 2002 à mai 2005 à la condition que ce fabricant lui achète au minimum 95 % des processeurs dont il avait besoin pour ses ordinateurs de bureau de gestion (les 5 % restants que le fabricant d’ordinateurs B pouvait acheter au fabricant de circuits intégrés concurrent AMD étaient eux-mêmes soumis à d’autres conditions restrictives exposées ci-dessous);
- Intel a accordé des remises à un fabricant d’ordinateurs C d’octobre 2002 à novembre 2005 à la condition que ce fabricant lui achète au minimum 80 % des processeurs dont il avait besoin pour ses ordinateurs de bureau et ses ordinateurs bloc-notes;
- Intel a accordé des remises à un fabricant d’ordinateurs D en 2007 à la condition que ce fabricant s’adresse à elle pour couvrir la totalité de ses besoins en processeurs pour ses ordinateurs bloc-notes.
Les fabricants d’ordinateurs concernés par les agissements d’Intel évoqués dans la décision de la Commission sont: Acer, Dell, HP, Lenovo et NEC
En outre, Intel a effectué des paiements directs au grand distributeur Media Saturn Holding d’octobre 2002 à décembre 2007 à la condition qu’il ne vende que des PC équipés de processeurs Intel dans tous les pays dans lesquels il exerce des activités. Media Saturn est propriétaire de la célèbre marque Media Markt.
Les remises sont-elles pas, finalement, bonnes pour les consommateurs ?
Certaines remises peuvent entraîner une baisse des prix pour les consommateurs.
La Commission rappelle toutefois que lorsqu’une entreprise occupe une position dominante sur un marché, les remises subordonnées à l’achat d’une quantité moins élevée de produits de concurrents ou à l’interdiction pure et simple d’en acheter sont abusives conformément à une jurisprudence constante des juridictions communautaires, à moins que l’entreprise dominante ne puisse avancer des raisons spécifiques justifiant leur application dans des cas bien précis.
Dans sa décision, la Commission conteste donc, non pas les remises en elles-mêmes, mais les conditions auxquelles Intel les a accordées. Les fabricants d’ordinateurs étant dépendants d’Intel pour une grande partie de leur approvisionnement en processeurs x86, seule une partie limitée de leurs besoins pour ces produits est ouverte à tout moment à la concurrence.
Intel a structuré sa politique de prix de manière telle qu’un fabricant d’ordinateurs ayant choisi d’acheter des processeurs concurrent (AMD pour ne pas le citer) pour la partie de ses besoins qui était ouverte à la concurrence perde la remise (ou du moins une grande partie de celle-ci) qu’Intel prévoyait pour la partie bien plus importante de ses besoins pour laquelle le fabricant d’ordinateurs n’avait d’autre choix que d’acheter à Intel. Le fabricant d’ordinateurs devrait donc payer à Intel un prix plus élevé pour chacun des processeurs fournis pour lesquels il n’avait pas d’autre choix que de s’approvisionner auprès d’Intel. En d’autres termes, si un fabricant d’ordinateurs refusait d’acheter la quasi-totalité de ses processeurs x86 à Intel, il se verrait privé de la possibilité de bénéficier d’une remise importante sur chacun de ses volumineux achats de processeurs à Intel.
Par ailleurs, pour pouvoir concurrencer les remises d’Intel, pour la partie des besoins des fabricants d’ordinateurs ouverte à la concurrence, un concurrent tout aussi efficace qu’Intel aurait dû offrir, pour ses processeurs, un prix inférieur au coût de production de ces derniers, même si leur prix moyen était inférieur à celui d’Intel.
Le fabricant de circuits intégrés concurrent AMD a par exemple offert gratuitement un million de processeurs à un fabricant d’ordinateurs déterminé. Si ce dernier les avait tous acceptés, il aurait perdu la remise d’Intel sur les millions de processeurs qu’il devait encore acheter et aurait été lésé pour le simple fait d’avoir accepté cette offre hautement concurrentielle. Au bout du compte, le fabricant d’ordinateurs n’a accepté gratuitement que 160 000 processeurs.
Les remises accordées par Intel ont compromis la capacité des fabricants concurrents d’affronter la concurrence et d’innover, ce qui a contribué à réduire les possibilités de choix pour les consommateurs.
Paiements visant à empêcher la vente de produits concurrents spécifiques
Intel s’est aussi directement ingérée dans les relations entre les fabricants d’ordinateurs et AMD. Elle a effectué des paiements au profit de fabricants d’ordinateurs – sans aucun lien avec d’éventuels achats particuliers de sa part – à condition qu’ils retardent ou annulent le lancement de produits spécifiques équipés de processeurs AMD et/ou a imposé des restrictions à la distribution de certains de ces produits. La Commission a constaté que ces paiements ont eu pour effet potentiel d’empêcher l’entrée sur le marché de produits pour lesquels il existait une demande des consommateurs. Elle a constaté ce qui suit:
Pour les 5% d’activités du fabricant d’ordinateurs B ne faisant pas l’objet de la remise conditionnelle décrite ci-dessus, Intel a effectué d’autres paiements en faveur de ce dernier à la condition qu’il:
- ne vende des ordinateurs de gestion équipés de processeurs AMD qu’aux petites et moyennes entreprises;
- ne vende des ordinateurs de gestion équipés de processeurs AMD que par le biais de circuits de distribution directs (et non par l’intermédiaire de distributeurs) ;
- et retarde de 6 mois le lancement en Europe de son premier ordinateur de gestion équipé de processeurs AMD.
Intel a effectué des paiements au profit du fabricant d’ordinateurs E à condition qu’il reporte à janvier 2004 le lancement d’un bloc-notes équipé de processeurs AMD, initialement prévu pour septembre 2003.
Avant d’accorder la remise conditionnelle au fabricant d’ordinateurs D décrite ci-dessus, Intel a effectué des paiements en sa faveur à condition qu’il reporte à la fin de l’année 2006 le lancement de blocs-notes équipés de processeurs AMD, initialement prévu pour septembre 2006.
La Commission dit avoir acquis des preuves de l’existence de plusieurs des conditions considérées comme illégales dans la décision en matière d’ententes, même si celles-ci ne figurent pas explicitement dans les contrats Intel.
Une amende record
Le précédent "record" était détenu par Microsoft : 500 millions d’euros. C’est donc le double qui est infligé à Intel, et pour la première fois on passe la barre symbolique du milliard d’euros.
Qu’est-ce qui a justifié cela aux yeux de la Commission ?
Primo, l’importance du sujet : les processeurs x86 constituent l’élément essentiel du matériel informatique. Sans processeur, pas d’ordinateur. Et les processeurs x86 sont la colonne vertébrale des PCs.
Deuxio, l’importance du marché. Le chiffre d’affaires réalisé par Intel au niveau mondial en 2007 s’est élevé à 27 972 millions d’EUR (38 834 millions d’USD).
Tertio, la durée de l’infraction (qui perdure selon la Commission, justifiant ainsi une injonction de cesser immédiatement). L’enquête de la Commission faisait suite à des plaintes déposées par AMD en 2000, 2003 et 2006 (la dernière ayant été adressée à l’autorité allemande de la concurrence et ensuite examinée par la Commission européenne).
La réaction d’Intel
Intel a toujours nié l’infraction, et continue aujourd’hui.
Pour la société, ce marché est ultra-concurrentiel et terriblement innovant comme le prouve la puissance de calcul qui augmente sans cesse et les modèles qui sont développés chaque jour.
Intel insiste aussi sur la baisse constante du prix pour le consommateur.
La société a annoncé son intention d’aller en appel de cette décision. La justice européenne tranchera donc.
La société a publié le communiqué suivant :
« Nous contestons vivement cette décision que nous jugeons déplorable et qui fait fi de la réalité d’un marché où règne une très forte concurrence, caractérisé par une innovation constante, des produits toujours plus performants et des prix en baisse. Les consommateurs n’ont été lésés en rien. Nous allons faire appel.
Nous estimons en effet que nos pratiques ne contreviennent pas au droit européen. Le corollaire logique d’un marché concurrentiel qui ne compte que deux grands acteurs est que, lorsque l’un d’eux conclut des contrats, ce n’est pas le cas pour l’autre. La Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne a ignoré ou refusé d’obtenir des éléments qui contredisent le point de vue exprimé dans sa décision. Or nous pensons que ces éléments montrent que, lorsque des entreprises sont performantes, le marché les gratifie et que, lorsque tel n’est pas le cas, le marché réagit en conséquence.
Notre entreprise n’a jamais pratiqué la vente à perte. En revanche, nous avons systématiquement investi dans l’innovation, dans les capacités et techniques de production et dans l’élaboration de technologies de pointe. C’est grâce à ces investissements que nous sommes en mesure d’accorder des remises sur un marché très concurrentiel, en faisant indirectement profiter les consommateurs des économies d’échelle que nous assure notre position de numéro un mondial des microprocesseurs en volume de production.
Malgré cette position des plus fermes, nous avons tout à fait l’intention, au cours du processus d’appel, de coopérer avec la Commission dans le respect de sa décision. Enfin, afin qu’il ne subsiste aucun doute, je tiens à préciser qu’Intel continuera à investir dans les produits et technologies qui mettent à la disposition de l’Europe comme du reste du monde les processeurs les plus performants, à des prix les plus compétitifs. »
(Source de cette actu, à l’exception du comminiqué de presse d’Intel : salle de presse de l’UE).