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Harcèlement en meute : la Cour de cassation ouvre la voie à des poursuites facilitées

Publié le par 16 vues

Quiconque participe à un harcèlement en bande est susceptible d’être poursuivi et condamné, même s’il n’a envoyé qu’un seul message et qu’il est le seul auteur poursuivi. Le juge ne doit ni identifier, ni dater ni qualifier les autres messages pour condamner la personne poursuivie.

Une dame exprime dans une vidéo son opinion sur l’islam, et elle reçoit en retour de multiples messages d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. Twitter en particulier est abondamment utilisé pour l’inonder de messages peu amènes.

Dans ce concert de messages haineux, les enquêteurs identifient sur Twitter un (1) message envoyé par M. [S], qui se retrouve poursuivi – et condamné – du chef de harcèlement par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique.

L’affaire termine en cassation.

Le moyen souligne trois points principaux :

  1. Identification et analyse des messages : Le délit de harcèlement moral aggravé, selon l’article 222-33-2-2 al. 3 du code pénal, nécessite que l’auteur sache, au moment de la diffusion de son message unique, qu’il s’inscrit dans une répétition de messages harcelants visant la même personne. Les juges doivent identifier et analyser ces messages pour vérifier s’ils constituent un harcèlement. Or, la cour d’appel n’a pas précisément identifié, daté, ni qualifié les « messages haineux » censés constituer cette répétition, privant ainsi sa décision de base légale.
  2. Destinataire direct des propos : Les propos imputés au prévenu ne peuvent caractériser le harcèlement moral que si la personne visée les a effectivement reçus et en a pris connaissance. La cour d’appel a omis de répondre au moyen de défense du prévenu, selon lequel il pensait que la victime n’avait pas lu son message, et que ses « followers » ne l’avaient pas relayé. Cela constitue une violation de l’article 593 du code de procédure pénale.
  3. Dégradation des conditions de vie : Pour justifier que les propos du prévenu ont dégradé les conditions de vie de la victime, la cour d’appel s’est contentée de renvoyer à des développements antérieurs sans les préciser. Elle n’a pas suffisamment caractérisé l’atteinte à la santé physique ou mentale de la victime ni démontré en quoi cette dégradation était causée par les propos du prévenu. Cela n’a pas permis de justifier légalement la décision au regard de l’article 222-33-2-2 du code pénal.

Le harcèlement implique en principe un comportement répété …

L’article 222-33-22 du code pénal français réprime le harcèlement moral dans les termes suivants :

« Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail. »

Cette disposition fait donc du caractère « répété » des propos et comportements, un des éléments constitutifs de l’infraction.

… sauf dans le cas du harcèlement en meute

Toutefois, cette condition de répétition est supprimée dans les deux cas prévus à l’alinéa 2 de cette disposition ; « l’infraction est également constituée :

a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
« 

Cette exception légale a pour objectif de permettre la répression du harcèlement en bande, ou « en meute », malheureusement fréquent sur les réseaux sociaux : le mouvement de masse et le relatif anonymat des pseudos a tendance à déresponsabiliser les personnes, qui se lâchent d’autant plus facilement. L’expérience montre que le harcèlement en meute est extrêmement difficile à vivre pour la victime, car même si chaque participant n’envoie qu’un seul message, au bout du compte c’est un déferlement de haine qui s’abat sur la personne visée.

Le législateur a donc considéré que l’exigence de répétition pouvait, dans le cas d’un agissement en meute, être remplacée par l’addition de comportements individuels uniques qui s’inscrivent dans une même volonté de nuire.

C’est exactement cela qui est au centre de l’arrêt soumis à la Cour de cassation : entre les lignes du pourvoi, on comprend que M. [S] a le sentiment qu’en ayant envoyé un seul message, noyé dans un torrent d’insultes et de menaces, son comportement pèse finalement pour peu de choses et ne saurait constituer une infraction.

Quand y a-t-il harcèlement en meute ?

La Cour de cassation commence par analyser l’arrêt d’appel et souligne que :

  • Le juge d’appel retient notamment, par motifs propres et adoptés, que le prévenu avait publié sur un réseau social un message malveillant à l’égard de la partie civile, pendant la période de deux jours au cours de laquelle elle a reçu des milliers de messages d’invectives, d’insultes ou de menaces.
  • Le juge d’appel a relevé que M. [S] a utilisé un hashtag devant le prénom de la partie civile, dans le corps de son message, ce qui démontre qu’il avait conscience de participer à une discussion portant sur un même sujet, et qu’il souhaitait donner à ses propos une visibilité accrue, ne pouvant ignorer que ceux-ci, qui comportaient des éléments d’identification non équivoques, parviendraient, par le biais de la rediffusion recherchée de son message par d’autres utilisateurs, à la connaissance de la personne visée.
  • Le juge d’appel a ajouté que M. [S] ayant admis que Mme [Z] constituait un sujet « tendance » sur le réseau social, et qu’il réagissait aux prises de position de celle-ci dans une émission télévisée diffusée plusieurs mois avant ses propos, il ne pouvait soutenir qu’il n’avait pas connaissance du flot de messages haineux dont elle était la cible.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel pouvait en conclure que M. [S] a sciemment pris part à un mouvement de meute, et que ses agissements ont eu pour objet ou pour effet, en entraînant la déscolarisation de la victime, son isolement et la nécessité de mettre en place une protection policière, une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale, constatée par certificat médical.

La Cour de cassation ajoute un attendu, destiné à faire passer un message fort :

« En effet, ayant établi que le prévenu a pris une part personnelle à des propos ou comportements répétés imposés à une même victime ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de celle-ci, émanant de plusieurs auteurs, en ayant connaissance que l’acte qu’il commettait s’inscrivait dans une répétition, [la cour d’appel] n’était pas tenue d’identifier, dater et qualifier l’ensemble des messages émanant d’autres personnes et dirigés contre la partie civile, ni de vérifier que le message du demandeur avait été effectivement lu par la personne visée. »

Qu’on se le dise : quiconque participe à un harcèlement en bande est susceptible d’être poursuivi et condamné, même s’il n’a envoyé qu’un seul message et qu’il est le seul auteur poursuivi.

L’arrêt de cassation est disponible en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

pourvoi_n°23-80.806_29_05_2024

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