Harcelée sur l’Internet, une ado se suicide. La Belgique sous le choc !
Publié le 10/09/2014 par Etienne Wery
Elle s’appelait Louise, elle avait 16 ans. Trop jeune pour mourir et pourtant : ses parents l’ont retrouvée pendue à la balançoire du jardin familial. Il semble que des messages harcelants sur ask.fm ont été l’élément de trop. Une fois de plus, on découvre avec effroi la terrible réalité du harcèlement chez les jeunes.
Quand elle a reçu l’ultime message, Louise a craqué : « Tu te crois belle, en fait tu es moche, tu es conne, tu ferais mieux de te pendre ».
L’histoire se répète. En France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, etc. dans tous les pays du monde, ce sont plusieurs ados par an qui mettent fin à leurs jours dans des conditions similaires.
L’enquête révèle généralement un conflit mineur au départ, qui dégénère. Une incapacité à contrôler le stress, un syndrome d’isolement, un harceleur qui n’a pas toujours conscience des risques qu’il fait courir à la personne visée, une détection du problème et une prise en charge trop tardives, le cocktail est explosif et maheureusement parfois dramatique.
La loi n’est pas toujours la solution
Bien sûr, il existe une législation sur le harcèlement. Il en existe même plusieurs, parfois très spécifiques comme cette incrimination visant ceux qui filment une agression dans le but de pouvoir diffuser ensuite la vidéo (slapping).
La question n’est pas l’existence de la norme, mais son efficacité.
La question du harcèlement ches les ados est une problémtique très large qui implique notamment la prise en compte des éléments suivants :
· Sortir ce comportement de l’ombre ;
· Prendre en compte l’hyperconnectivité ;
· Conscientiser les jeunes bourreaux ;
· Créer des structures dédiées et formées, en ce compris la gestion des crises.
Quantifier
Pour réprimer efficacement le harcèlement, il faut sortir cette pratique de l’ombre. Exactement comme on l’a fait pour les abus sexuels sur mineurs : leur nombre n’a probablement pas augmenté entre les années 90 et aujourd’hui, mais on arrive dorénavant à en parler alors que c’était délicat – voire impossible – naguère. Et dès l’instant où en parler n’est plus tabou, on peut quantifier, comprendre, réprimer, protéger et prévenir.
Le problème de la quantification tient à ce que le rharcèlement rime souvent avec isolement. Lorsque l’issue est aussi tragique, on en parle. Mais ces cas terrifiants sont (heureusement) peu fréquents si on les compare aux innombrables cas qui ne sont jamais détectés parce que la victime n’appelle pas à l’aide.
Dans l’esprit de la victime, le harcèlement est forcément subjectif. Pour avoir posé plusieurs fois la question dans des formations données à des adolescents, nous pouvons affirmer que pas loin de 100 % d’entre eux estiment avoir été un jour ou l’autre victime de harcèlement. Peu importe que ce ressenti soit fondé ou non ; il doit être pris en compte.
La dépression, le burnout professionnel, sont des sujets étudiés abondamment. Le harcèlement chez les adolescents fait partie de ces sujets qu’on ose à peine aborder. Combien de fois n’entend-on pas des intervenants déclarer que les adolescents se sont toujours disputés et que ces conflits sont formatifs, que leur mine renfrognée est normale, que leur hyper-sensibilité va de soi, etc. Comme il est commode d’expliquer chaque mal-être par la bonne vieille crise de l’adolescent.
Prendre en compte l’hyperconnectivité
Jadis, une dispute dans la cour de récréation était un événement ponctuel sur la ligne du temps. La plupart du temps, le simple fait de rentrer en classe ou à la maison, et de laisser s’écouler quelque heures, permettait d’apaiser la situation. Le lendemain, les protagonistes se retrouvent et l’émotion étant retombée ils arrivent à renouer le dialogue. Et s’ils n’y arrivent pas, il leur suffisait de s’éviter physiquement, pour un temps ou pour toujours.
L’Internet, et plus encore l’Internet mobile qui permet aux jeunes d’être connectés littéralement en permanence, introduit de nouvelles dimensions dans ces conflits :
- De ponctuel, le conflit devient permanent. À distance, les arguments et insultes continuent et les protagonistes s’invectivent de plus belle.
- De bilatéral, le conflit devient public. Au départ, le conflit implique souvent un nombre limité de personnes. Quand il se prolonge sur l’Internet, via les murs, groupes d’envoi, forward et autres forums, chacun est invité à prendre partie à un débat quasi public.
- De circonscrit, le conflit devient global. La publicité donnée au conflit engendre la plupart du temps une escalade dans les propos et positions respectives. C’est la radicalisation et tout y passe !
Plus le conflit va dégénérer et devenir public, plus la victime va s’isoler, ce que nous appelons le syndrome du centre du monde : la victime a l’impression – fausse souvent – que le monde entier ne parle que de ça.
Si on ajoute à cela des sites/réseaux comme ask.fm, où chacun peut dire n’importe quoi, s’adresser à tout le monde, et le faire anonymement, on imagine l’enchainement et la souffrance.
Quand on en est là, tous les ingrédients sont réunis pour une issue dramatique. On voit des jeunes s’échanger des messages littéralement toute la nuit, la fatigue du lendemain venant aggraver l’émotion et engendrant un cercle vicieux. Puis, quand un message plus dur qu’un autre arrive et que la victime est dans un trop mauvais moment, trop fragile ou trop isolée, c’est le drame.
Conscientiser les jeunes bourreaux
Si le cyber harcèlement se retrouve dans toutes les couches de population et à tous les âges, il reste qu’il vise très fréquement les adolescents. Aussi bien au niveau des victimes que des bourreaux.
Or, ces bourreaux n’ont pas souvent conscience de la gravité de leur comportement. Ils savent en général que c’est interdit, mais cela ne les empêche pas d’agir puisqu’ils mesurent mal la gravité de la chose et ses conséquences potentielles.
Comme la pratique est par ailleurs largement laissée dans l’ombre (voir le problème de la quantification), les jeunes bourreaux ont l’impression que les conséquences pour la victime ne sont pas si graves que cela. Exactement comme le ferait un adolescent qui télécharge illégalement : il sait que c’est interdit mais après tout, tout le monde le fait et peu de gens se font prendre, ce n’est donc pas si grave que cela.
Créer des structures dédiées et formées
Il n’y a pas assez de structures dédiées à cette problématique spécifique, et on manque d’une stratégie globale et coordonée.
Est-ce du reste le rôle de l’école ?
Oui, si l’on se base sur la réalité du terrain : le harcèlement le plus mal vécu est souvent celui qui provient de la communauté dans laquelle le jeune vit et à laquelle il est confronté chaque jour. Or, cette communauté est le plus souvent composée essentiellement de son milieu scolaire. Au demeurant, les dossiers traités par la justice montrent très fréquemment que le bourreau est proche : un ex-ami, un membre de la famille, un autre élève de l’école, un voisin, etc.
Non, si l’on se base sur l’approche classique de l’enseignement dont les responsables ont bien d’autres choses à faire et sont de surcroît peu formés à gérer ce type de situation.
Et si ça m’arrive, que faire ?
Dans une video-polémique, l’association anglaise cybersmile donne un premier conseil : ne pas répondre.
Une jeune fille, 15 ans environ, se filme en train de chanter un tube dans sa chambre et balance la vidéo sur Youtube. Très vite, la jeune fille se rend compte qu’elle a fait une bêtise. Loin de susciter l’admiration, sa vidéo devient un sujet de moquerie. Le cercle infernal s’enclenche. Petit à petit, l’adolescente se retrouve isolée. En apparence tout va bien. Mais à l’intérieur, elle est de plus en plus rongée, incapable de relativiser. Dans la vidéo, l’isolement qui s’installe est représenté par une corde de pendu qui se rapproche inexorablement du cou de notre adolescente jusqu’à l’enserrer. Mais ses proches ne voient pas la corde invisible, jusqu’à la fin tragique.
Le but ? S’adresser aux victimes et leur faire comprendre que :
· Elles ne sont pas les seules à subir cela ;
· Elles ne sont pas toutes seules (voir ci-dessous les numéros utiles) ;
· Il faut éviter de répondre à la moquerie. C’est la meilleure manière de briser le cercle vicieux. Certes, ne pas répondre oblige la victime à traverser des moments douloureux mais à un moment ou à un autre, les bourreaux passent à autre chose et s’intéressent à d’autres victimes, et la vie peut reprendre. Tandis que répondre à la provocation crée au contraire inexorablement une confrontation dont la victime finira tôt ou tard par sortir perdante.
Pour ceux qui se sentent à même de regarder la video (vraiment difficile à voir jusqu’au bout) : http://www.youtube.com/watch?v=zp-1y8OaNk8
Où appeler à l’aide ?
En Belgique : le « 103 ». La ligne ‘Ecoute enfants’ est accessible tous les jours de l’année, de 9h00 à minuit. C’est gratuit et anonyme.
En France : les enfants peuvent appeler le « 119 », tous les jours de l’année, même la nuit. Gratuit, anonyme. Quant aux parents il peuvent former le même numéro ou le 0800 200 0000800 200 000 (protection des mineurs sur l‘internet).0800 200 000