Google ou le rêve de la bibiothèque d’Alexandrie
Publié le 07/09/2005 par Paul Van den Bulck
En sept ans à peine, le moteur de recherches GOOGLE créé par les deux jeunes informaticiens, Larry Page et Sergey Brin, est devenu incontournable. Que vous cherchiez des informations sur des chambres d’hôtes en France ou des documents techniques sur une matière qui vous préoccupe, si vous êtes internaute vous passerez forcément par GOOGLE. A…
En sept ans à peine, le moteur de recherches GOOGLE créé par les deux jeunes informaticiens, Larry Page et Sergey Brin, est devenu incontournable. Que vous cherchiez des informations sur des chambres d’hôtes en France ou des documents techniques sur une matière qui vous préoccupe, si vous êtes internaute vous passerez forcément par GOOGLE. A ce jour, ce moteur de recherches constitue indéniablement le sésame de l’honnête homme en quête de savoir. Tel un GPS, GOOGLE vous guide vers la destination demandée, futile ou sérieuse, professionnelle ou privée ; il suffit de demander … quelques secondes plus tard… vous êtes servi.
Le génie de GOOGLE c’est d’avoir rendu immédiatement accessible l’information qui vous intéresse à un moment précis et ceci en quelques frappes de clavier et clicks de souris. Plus besoin de nombreux coups de téléphone et autres consultations fastidieuse de catalogues, fiches et ouvrages.
Pour arriver à ce résultat GOOGLE fouille parmi presque dix milliards de page WEB, alors que ses concurrents, YAHOO et MSN, en sont « encore » à cinq milliards. Mais ce n’est pas tout. GOOGLE c’est actuellement une suite de produits de recherches. Ainsi GOOGLE NEWS vous permet de disposer instantanément des revues de presse en plusieurs langues ; FROOGLE compare les prix de micro ondes ou de bicyclettes ; GOOGLE MAPS peut localiser une adresse ou un centre d’intérêts (restaurants, musés, etc…) sur une image satellite ou une carte ; GOOGLE SCHOLAR vous aide à retrouver un mémoire ou un article scientifique ; etc…. Et tout ceci sans compter bien entendu les outils déjà présents sur la version simple de GOOGLE (recherches de photos, de fichiers PDF, présentations power points, etc …).
Mais l’ingéniosité de GOOGLE ne s’arrête pas là. Exemple le Gmail. Ce service « offert » par GOOGLE vous permet de lire vos mails en ligne tout en disposant d’un espace de stockage de 2 Go. Le prix : gratuit. La contrepartie : moins de vie privée. Un petit mail de l’être cher pour vous dire qu’elle vous aime et voilà que GOOGLE accompagne automatiquement son mail de publicité pour des fleuristes. Vous savez ce qu’il vous reste à faire …. D’où débat entre les partisans du respect de la vie privée et GOOGLE. Cette dernière affirme que les internautes sont informés du caractère intrusif de ce service et de l’ampleur de cette intrusion, ce qui est loin d’être confirmé par INTERNET GOOGLE WATCH qui s’inquiète de l’importance des données collectées par le moteur de recherches. Le débat devient encore plus vif lorsqu’il s’agit du nouvel outil lancé par GOOGLE, le GOOGLE DESKTOP SEARCH qui permet de retrouver n’importe quel fichier sur le disque dur de votre ordinateur.
Grace à tous ces services et bien évidemment aux retombées financières qui en découlent GOOGLE est devenue une société très puissante. Le 19 août 2004 lorsque GOOGLE est entrée en bourse sur le Nasdaq l’action était cotée à 85 dollars aujourd’hui elle s’échange quelquefois à plus de 300 dollars. Elle est valorisée aujourd’hui à plus de 80 milliard de dollars, c’est-à-dire quatre fois plus que le premier constructeur automobile mondial GENERAL MOTORS. On comprend dès lors que chacune de ses nouvelles idées est appréciée par les investisseurs, mais accueillie avec une certaine inquiétude par ses concurrents.
Sa dernière idée en date : le GOOGLE PRINT. Pour ce dernier projet la concurrence s’inquiète bien évidemment, mais plus encore certains gouvernements du vieux continent s’émeuvent, pour ne pas dire plus, et entendent bien entrer en compétition contre ce qu’ils qualifient d’hégémonie anglo-saxonne de la culture.
LE PROJET GOOGLE PRINT OU LA BIBLIOTHEQUE D’ALEXANDRIE
Le 14 décembre 2004, GOOGLE annonçait qu’elle ambitionnait de numériser en six ans 15 millions d’ouvrages provenant de prestigieuses bibliothèques d’universités américaines et britanniques (Harvard, Stanford, Michigan, Oxford) et de la bibliothèque de New York. C’est évidemment beaucoup plus que les collections les plus importantes d’archives virtuelles (Gutenberg-www.gutenberg.org : 15.000 livres en 35 langues ; Internet Archive-www.archive.org : 50.000 livres et 20.000 concerts live et le projet Gallica de la Bibliothèque nationale de France www.gallica.bnf.fr : 76.000 textes, 80.000 images).
Non seulement c’est beaucoup plus, mais surtout GOOGLE ne compte pas s’arrêter à la digitalisation des textes … impératifs de recherches obligent. En effet, GOOGLE veut permettre la recherche via les mots apparaissant dans le texte ; comme pour les pages WEB. En conséquence elle ne se limite pas à scanner les ouvrages, elle applique au scan un logiciel OCR qui par essence permet la reconnaissance des caractères. Le fonds ne sera donc pas constitué d’une base de données d’images de texte, mais bien d’une base de textes, ce qui permet bien évidemment des recherches beaucoup plus puissantes. C’est le début du rêve de la bibliothèque universelle et peut-être, ainsi que l’affirment certains, un tournant comparable à celui de l’invention à caractères mobiles par Gutenberg vers 1450.
Mais le projet ne fait pas que des heureux. Dans le camp des mécontents on distingue, les défenseurs de la culture du vieux continent, les ayants droits des œuvres à scanner et bien sûr les concurrents.
LA LOCOMOTIVE GRANDE VITESSE FRANCAISE ET LE TRAIN DU VIEUX CONTINENT
Très vite après l’annonce officielle du lancement du programme GOOGLE PRINT, le président de la Bibliothèque de France et ancien ministre de la communication sous François Mitterrand, Jean-Noël Jeanneney est monté au créneau, dénonçant au journal Le Monde le projet en ces termes « Google défie l’Europe. Voici que s’affirme le risque d’une domination écrasante de l’Amérique dans la définition de l’idée que les prochaines générations se feront du monde ». Cette prise de position a immédiatement été suivie par une interpellation du pouvoir politique et d’une réponse de ce dernier. Dès mars 2005, Jacques Chirac recevait le Président de la Bibliothèque de France, ainsi que son ministre de la culture pour évoquer un projet de bibliothèque virtuelle européenne.
Même s’il s’en défend, ce projet est bien une réponse à GOOGLE PRINT. Quoiqu’il en soit, la réponse a été favorablement accueillie puisque en avril 19 bibliothèques nationales européenne s’accordaient pour un projet alternatif de bibliothèque numérique et 6 pays de l’Union demandaient à cette dernière de lancer sous son égide une bibliothèque numérique.
Au niveau de l’Union le message a été bien compris également puisque la commissaire européenne à la société de l’information Viviane Reding, a annoncé le déblocage de fonds pour développer un moteur de recherche européen et permettre la numérisation des ouvrages des bibliothèques européennes.
Cette réponse nous semble la plus intelligente possible, car plutôt que de diaboliser un acteur économique qui répond à sa logique propre, elle tend vers le pluralisme. Et l’on sait qu’en matière de média, c’est sans doute le pluralisme qui donne les meilleures garanties pour une saine formation de l’opinion publique. Reste à voir maintenant si l’Europe éclatée des nationalités, du public et du privé pourra se fédérer et avoir autant de poids que le très puissant acteur privé unique.
Aujourd’hui, GOOGLE a bien compris la réponse européenne et le site qui commente et fait la promotion de GOOGLE en accord avec cette dernière (www.zorgloob.com) s’exprime en ces termes:
« Quaero, c’est le nom du projet de moteur de recherche européen et de la bibliothèque numérique européenne (une sorte de google, en mieux nous dit-on, à la sauce franco-germanique). Pour l’instant ce n’est qu’un projet mais il pourrait créer une fracture en Europe : d’une part les éditeurs qui choisissent (depuis peu) les services de Google Print (dont le site été ouvert pour les éditeurs Français), de l’autre côté les bibliothèques européenne qui feront confiance à Quaero…
Un combat de titan s’annonce… Espérons que cela profitera aux utilisateurs… »
Pour notre part, nous le confirmons, en matière de médias, le pluralisme reste la pierre angulaire d’une saine formation de l’opinion publique. Nos meilleurs vœux de réussite donc à GOOGLE PRINT et QUAERO !
LES AYANTS DROITS
Autres cailloux dans la chaussure du géant GOOGLE, ceux qu’on appelle les ayants droits. Alors que le PDG français de GOOGLE annonçait récemment « Notre mission est d’organiser l’information du monde et de la rendre accessible et utile à tous », les éditeurs et auteurs des ouvrages s’émeuvent du « photocopillage » auquel GOOGLE propose de se livrer. En effet, d’un point de vue juridique la digitalisation entraîne forcément la reproduction. Or la reproduction nécessite l’accord des ayants droits. Pour cette raison, l’ASSOCIATION OF AMERICAN UNIVERSITY PRESSES, qui réuni une centaine d’éditeurs de livres et de revues universitaires américaines, a écrit un courrier à GOOGLE dans lequel elle s’alarme « d’une violation systématique et à grande échelle du copyright ». De son côté, dans un premier temps, GOOGLE a considéré qu’elle avait le droit copier les livres selon le principe du « fair use » américain qui permet par exemple la copie privée d’un CD ou l’enregistrement d’une émission de télévision. En tout état de cause, cet argument n’a convaincu ni les ayants droits, ni GOOGLE elle-même qui a finalement annoncé qu’elle postposait son projet jusqu’en novembre en ce qui concernait les ouvrages couverts par un droit d’auteur. Par contre, pour les ouvrages faisant partie à présent du domaine public Google va continuer la numérisation.
Par ailleurs, pendant le moratoire qui expirera en novembre GOOGLE place la balle dans le camps des éditeurs, en affirmant qu’il leur appartient de mettre à profit ce délai pour signaler les ouvrages qui doivent faire partie d’une liste d’exclusion à la digitalisation, parce qu’ils sont par exemple couvert par un droit d’auteur.
D’un point de vue juridique, la position de GOOGLE semble très probablement être incorrecte, tant d’un point de vue anglo-saxon que d’un point de vue européen. Ceci dit, il n’est pas impossible que GOOGLE remporte la partie, pour des raisons purement économiques. En effet, il n’est pas exclu que les ayants droits voient finalement dans l’initiative de GOOGLE une manière d’être plus visibles sur le WEB et donc de grossir leurs chiffres de ventes. Logique économique versus rationalité juridique. L’issue du match est incertaine et il pourrait d’ailleurs être arbitré par d’autres gros acteurs ou par des concurrents.
LES GROS ACTEURS ET LES CONCURRENTS
On se souviendra que récemment l’Agence France-Presse a assigné GOOGLE en justice pour reproduction sans autorisation des photographies, des titres et des introductions d’articles sur son site d’informations GOOGLE NEWS. On pourrait également imaginer que des sociétés de gestion en charge des intérêts de photographes assignent GOOGLE pour reproduction illicite de photographies pour ce qui concerne la fonction de recherches « images » comprise dans GOOGLE. Il n’est pas exclu non plus qu’à terme un autre gros acteur comme MICROSOFT qui est de plus en plus présent dans les contenus utilise ses droits de propriété intellectuelle pour contrer GOOGLE. A cet égard on se rappellera le procès intenté en 2000 par GOOGLE contre MICROSOFT pour abus de position dominante et qui avait failli coûter à la firme de Richmond son démantèlement, si, in fine, une transaction amiable n’avait pas été conclue avec le département de la justice.
Réponse du berger à la bergère… ou réponse d’un monopole à un nouveau monopole ? Comme on dit au pays du Bourbon « Nothing Changes really ».
* Partie du titre de l’ouvrage de Jean-Noël Jeanneney, Président de la Bibliothèque de France (Quand Google défie l’Europe, plaidoyer pour un sursaut, Ed. Fayard, coll. « Mille et une nuits »)