Google doit en principe déréférencer les articles faisant état de condamnations passées
Publié le 08/05/2023 par Etienne Wery
Dans son arrêt du 23 avril 2023, le Conseil d’Etat rappelle que lorsque des données judiciaires sont en cause, par exemple parce qu’un article publié dans un journal jadis fait état d’une procédure pénale, Google doit, après un certain temps, en principe accepter le déréférencement demandé par la personne concernée. Il ne peut refuser d’y procéder que si des circonstances particulières justifient de privilégier l’intérêt du public à prendre connaissance de cette information.
L’arrêt de la CJUE
En septembre 2019, la CJUE rendait un arrêt particulièrement important pour celles et ceux qui sont confrontés au rappel sur Internet de leur passé judiciaire.
Elle jugeait en effet que :
- L’exploitant d’un moteur de recherche est en principe obligé, sous réserve des exceptions prévues par cette directive, de faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées par ces dispositions.
- Cet exploitant doit, sur la base de tous les éléments pertinents du cas d’espèce et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les droits fondamentaux de la personne concernée se demander si le maintien du lien s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à la page web référencée.
La CJUE créait ainsi une sorte de présomption : le moteur de recherche doit en principe répondre favorablement à une demande de déréférencement des contenus judiciaires, sauf s’il justifie le maintien du lien en raison de l’intérêt de l’information pour le public compte tenu des circonstances.
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Ne surtout pas confondre le moteur de recherche et l’article vers lequel il renvoie
Dans son arrêt, la CJUE soulignait l’importance de la distinction entre le moteur de recherche d’une part, et la source primaire de l’information (c’est-à-dire l’article référencé) : le régime favorable créé pour la personne concernée ne vise que le moteur de recherche.
Cela se comprend aisément.
Du point de vue de la contribution à l’information du public, la presse et le moteur de recherche ne doivent pas être confondus : la première crée du contenu au profit de l’ensemble de société qui peut ainsi s’informer ; le second ne crée aucun contenu : il exploite la création des autres.
Du point de vue de l’ingérence que constitue la suppression d’un contenu ou son déréférencement, la presse et le moteur de recherche sont également sur des plans tout à fait différents. La disparition d’une source primaire est l’atteinte la plus grave puisqu’elle supprime l’information même, privant à jamais le public de la possibilité d’en prendre connaissance. Dans le cadre de l’analyse des conditions de nécessité et proportionnalité, la Cour privilégie donc logiquement le déréférencement via le moteur de recherche, qui présente l’avantage de supprimer très largement les nuisances subies par la personne concernée, tout en maintenant intacte la source primaire.
L’arrêt du 20 avril 2023 du Conseil d‘Etat
La CNIL ayant refusé de contraindre un moteur de recherche à déréférencer un lien vers des articles rappelant la condamnation passée du plaignant, celui-ci s’est tourné vers le Conseil d’Etat.
L’arrêt rappelle d’abord la portée de l’arrêt de la CJUE : « lorsque des liens accessibles depuis un moteur de recherche mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales visées à l’article 10 du RGPD, l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée est susceptible d’être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données. Il s’ensuit qu’il appartient en principe à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), saisie d’une demande tendant à ce qu’elle mette l’exploitant d’un moteur de recherche en demeure de procéder au déréférencement de liens renvoyant vers de telles pages web, publiées par des tiers et contenant de telles données, de faire droit à cette demande.
Il n’en va autrement que s’il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d’information, que l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public. Pour apprécier s’il peut être légalement fait échec au droit au déréférencement au motif que l’accès à des données à caractère personnel relatives à une procédure pénale à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public, il incombe à la CNIL de tenir notamment compte, d’une part, de la nature des données en cause, de leur contenu, de leur caractère plus ou moins objectif, de leur exactitude, de leur source, des conditions et de la date de leur mise en ligne et des répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée et, d’autre part, de la notoriété de cette personne, de son rôle dans la vie publique et de sa fonction dans la société. Il lui incombe également de prendre en compte la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée. »
Appliquant cela au dossier, le Conseil d’Etat estime que l’article de presse litigieux ne comporte pas d’analyses ou de commentaires de nature à nourrir un débat d’intérêt public sur les enjeux liés à la procédure pénale de M. A. De plus, le requérant ne jouit pas d’une notoriété particulière, et il n’y a pas d’autres commentaires publics sur l’affaire dans laquelle il a été condamné. L’article de presse ne reflète pas non plus la situation judiciaire actuelle de l’intéressé. Étant donné que l’article en question est accessible en ligne à partir d’autres informations que le nom de M. A. et que maintenir le lien litigieux peut avoir des répercussions négatives sur sa situation personnelle, le déréférencement du lien ne peut plus être considéré comme une atteinte injustifiée au droit à l’information du public.
L’arrêt du Conseil d’Etat est disponible en annexe.