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Google abuse-t-il de sa position dominante ? Décryptage du dossier.

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Nous faisons le point sur l’enquête de la Commission européenne. Que reproche-t-on à Google ? Quelles sont les chances de succès de la plainte ? Google est-il hors d’atteinte ? Le dossier est complexe sur le plan juridique mais aussi technique. Décryptage.

Les comparateurs de prix

La Commission européenne a adressé à Google une communication des griefs faisant valoir que l’entreprise avait abusé de sa position dominante sur les marchés des moteurs de recherche en favorisant systématiquement son propre comparateur de prix dans ses pages de résultats de recherche générale.

Les comparateurs de prix permettent aux consommateurs de rechercher des produits sur des sites d’achat en ligne et de comparer les prix entre différents vendeurs. Dans son enquête ouverte en novembre 2010, la Commission a conclu à titre préliminaire que Google réservait systématiquement un traitement favorable à son comparateur de prix (actuellement appelé «Google Shopping») dans ses pages de résultats de recherche générale, par exemple en mettant Google Shopping en exergue à l’écran. Ce faisant, elle risque par conséquent de détourner artificiellement le trafic des services de comparaison de prix concurrents et d’empêcher ces services de lui faire concurrence sur le marché.

La Commission craint que les utilisateurs ne voient pas nécessairement les résultats les plus pertinents répondant à leurs requêtes, ce qui porte préjudice aux consommateurs et entrave l’innovation. La Commission estime à titre préliminaire que, pour mettre fin à un tel comportement, Google devrait traiter son propre service de comparaison de prix de la même manière que celui de ses concurrents.

En particulier, les conclusions préliminaires de la Commission sont les suivantes:

·         « De manière systématique, Google positionne et met en évidence son service de comparaison de prix dans ses pages de résultats de recherche générale, sans tenir compte de son niveau de performance. Ce comportement remonte à 2008.

·         Google n’applique pas à son propre service de comparaison de prix le système de pénalités qu’il applique aux autres services du même type sur la base de paramètres définis, pénalités qui peuvent amener à ce que ces services soient moins bien classés dans les pages de résultats de recherche générale de Google.

·         Froogle, le premier service de comparaison de prix de Google, ne bénéficiait d’aucun traitement de faveur et n’était pas performant. Grâce au traitement de faveur systématique dont ils ont bénéficié, les services de comparaison de prix ultérieurs de Google, à savoir «Google Product Search» et «Google Shopping», ont connu un taux de croissance plus élevé, au détriment des services de comparaison de prix concurrents.

·         Le comportement de Google a une a des effets négatifs pour les consommateurs et l’innovation. En effet, les utilisateurs ne voient pas nécessairement les résultats de comparaison de prix les plus pertinents en réponse à leurs requêtes. Les concurrents sont aussi moins incités à innover, car ils savent que même s’ils fournissent le meilleur produit possible, ils ne bénéficieront pas de la même visibilité que le produit de Google. »

La commission a donc envoyé une « communication des griefs ». Il ne s’agit pas, comme on le lit parfois, d’une « décision ». Par la communication des griefs, la commission ne fait que notifier à Google l’existence de soupçons en invitant celle-ci à faire part de ses observations. Ce n’est qu’à l’issue de l’enquête qu’une décision sera éventuellement prise, elle-même soumise à différents recours devant la justice européenne.

Android aussi

La Commission a aussi ouvert une procédure formelle d’examen concernant le comportement de Google en ce qui concerne le système d’exploitation pour appareils mobiles Android.

Android est un système d’exploitation à code source libre, ce qui signifie qu’il peut être librement utilisé et développé par n’importe qui. La majorité des fabricants de téléphones intelligents et de tablettes utilisent toutefois le système d’exploitation Android en combinaison avec un éventail d’applications et de services propriétaires de Google. Pour obtenir le droit d’installer ces applications et services sur leurs appareils Android, les fabricants doivent conclure divers accords avec Google.

La Commission relève que depuis 2005, Google est à la pointe du développement du système d’exploitation pour appareils mobiles Android. Ces dernières années, Android est devenu le premier système d’exploitation pour appareils mobiles intelligents dans l’EEE; à tel point qu’aujourd’hui, la majorité des téléphones intelligents en Europe fonctionnent sous Android. Parmi les autres systèmes d’exploitation pour appareils mobiles, citons l’iOS d’Apple (qui est la propriété d’Apple et ne fonctionne que sur les iPhones et les iPads) et Windows Phone (qui est utilisé sur les téléphones intelligents et les tablettes de Microsoft et d’autres fabricants).

Plus précisément, sur la base des informations dont la Commission dispose actuellement, l’enquête portera, à ce stade, sur les trois questions suivantes:

·         « Google a-t-elle illégalement entravé le développement et l’accès au marché des applications ou services pour appareils mobiles de ses concurrents en obligeant ou en incitant les fabricants de téléphones intelligents et de tablettes à préinstaller exclusivement les applications ou services de Google?

·         Google a-t-elle empêché les fabricants de téléphones intelligents et de tablettes qui souhaitent installer des applications et des services de Google sur certains de leurs appareils Android de développer et de commercialiser des versions modifiées et potentiellement concurrentes d’Android (les «forks d’Android») sur d’autres appareils, entravant ainsi illégalement le développement et l’accès au marché des systèmes d’exploitation pour appareils mobiles ainsi que des applications ou services de communication mobile de ses concurrents?

·         Google a-t-elle illégalement entravé le développement et l’accès au marché des applications et services de ses concurrents en liant ou groupant certains services et applications de Google distribués sur des appareils Android avec d’autres applications, services et/ou interfaces de programmation d’applications de Google? »

Décryptage : combien d’affaires au total ?

Première précision à apporter : les deux dossiers sont des affaires distinctes. Qu’il s’agisse du marché de référence (les moteurs de recherche et services annexes tels les comparateurs de prix dans un cas, et les systèmes d’exploitation mobiles dans l’autre cas) ou des réflexes juridiques, les deux affaires ne suivront pas nécessairement un cours commun.

Certes, l’annonce est faite au même moment mais c’est plus probablement un souci de communication et/ou un agenda politique qui explique ce synchronisme.

De ce constat en découle un autre : il pourrait avoir une troisième, une quatrième, … affaire. En effet, une des marques de fabrique de Google consiste à essayer énormément de choses. Du cloud aux voitures, en passant par les comparateurs de prix et les actualités, Google fait beaucoup de choses.

Décryptage : qu’est-ce qu’un référencement « juste » ?

Derrière l’enquête de la Commission se profile très rapidement une question fondamentale concernant le référencement naturel opéré par Google : à partir de quand ce référencement est-il juste ou injuste ?

Il faut en effet se rappeler que Google est un service privé qui offre un service de moteurs de recherche fonctionnant selon un algorithme qui est sa propriété et qui est un secret d’affaires. Il y a du reste d’autres moteurs de recherche (et paradoxalement il y en a peut-être plus aujourd’hui qu’avant).

Le problème provient de la position dominante de Google. Pour un service de la société de l’information, et de façon générale pour tout type d’entreprise, il est devenu impossible de faire sans Google. D’où l’obsession des responsables de sites Web d’obtenir le meilleur référencement possible et, si un concurrent se positionne devant eux, d’y voir immédiatement une manipulation suspecte et d’accuser Google ou leur concurrent.

Ce n’est pas un hasard si de plus en plus de procès se déroulent autour de la notion de spamdexing : un opérateur reproche à un autre d’utiliser des techniques de référencement qui trompent le moteur de recherche et améliorent artificiellement son référencement.

Or, nous l’avons déjà dit et écrit, il n’y a rien qui ressemble un tant soit peu à un référentiel unique et mondial. Il existe une grande quantité de moteurs de recherche, qui  utilisent tous leur propre algorithme : ce qui apparait bon pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre et ainsi de suite. Certes, Google mène le jeu de facto mais on ne peut malgré tout pas se baser sur ce qui déplait à un acteur pour décider ce qu’est un référencement acceptable ou non. Cette caractéristique a été très correctement soulignée par la cour d’appel de Bruxelles dans les termes suivants : il est difficile de « tracer la frontière entre ce qui constitue  les  méthodes  de  référencement  honnêtes  et  celles  qui versent dans le répréhensible (…) cette difficulté tient notamment  à  l’absence  de  toute  norme  internationale  ou  nationale édictée par une autorité compétente et aux particularités des moteurs de recherche, chacun utilisant son propre algorithme (…) ».

La commission doit donc éviter de fonder son raisonnement sur la notion de référencement juste ou de référencement optimal, car elle se heurtera immédiatement à la liberté de Google de concevoir et faire évoluer son algorithme, ainsi qu’à l’absence de référentiel.

Tout autre chose est évidemment la situation dans laquelle il y aurait en réalité dans l’algorithme de Google un paramètre qui avantagerait artificiellement le site partenaire, soit que ce site paye pour cela, soit qu’il soit membre du groupe Google.

C’est très clairement ce que la Commission suspecte quand elle écrit : qu’elle « enquêtera également sur les allégations selon lesquelles Google aurait dégradé le « Score de Qualité » de services de recherche verticaux concurrents dans ses résultats de recherche payants. Le « Score de Qualité » est un des facteurs qui détermine le prix à payer pour l’affichage d’une publicité sur Google. »

La question n’est donc pas la liberté de Google de concevoir son algorithme, mais plutôt les indices selon lesquels il n’y aurait pas un algorithme, mais deux : l’algorithme valable pour la plupart des sites, et l’algorithme modifié qui s’appliquerait à certains sites triés sur le volet, par exemple parce qu’ils font partie du même groupe de sociétés que le moteur de recherche.

Si tel était le cas, alors pourrait se poser la question d’un abus de position dominante (voir ci-après) mais plus certainement d’une tromperie du consommateur puisque l’avantage ainsi concédé ressemble à une campagne publicitaire qui ne dit pas son nom.

Décryptage : entre position dominante et abus

N’en déplaise à tous les pourfendeurs des géants américains, la Commission ne reproche pas à Google d’être en position dominante. Il n’y a aucune règle juridique qui limite la puissance d’une entreprise. Certains le regrettent, certes, mais le débat sur ce point est politique et non juridique.

Le droit ne se mêle de la position dominante d’un opérateur économique que s’il utilise celle-ci de façon illicite en en abusant.

C’est bien cela que la commission va tenter de détermine : y a t-il eu un abus ?

Il tombe sous le sens qu’il n’est pas illicite en tant que tel pour une entreprise de proposer des services annexes ou nouveaux à sa clientèle.

Rien n’empêche une librairie de livres de voyages d’ouvrir une agence de voyage, et d’afficher partout dans la librairie l’existence de l’agence et les prix avantageux qu’elle propose à la clientèle du libraire.

Dans la situation décrite au paragraphe précédent, on comprend bien que la situation commence à devenir différente si la librairie n’est plus une librairie de quartier, mais le plus grand réseau du pays.

Poursuivons notre exemple et imaginons que Amazon, plus grande librairie du monde, fasse la même chose.

On perçoit intuitivement qu’il y a un seuil à partir duquel on est face à un abus. Toute la difficulté est de déterminer ce seuil et c’est cela que devra faire la Commission, et que les juges vérifieront ensuite.

Décryptage : les sanctions possibles

On l’a lu et relu, l’amende peut aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. Soit, approximativement, 6 milliards d’euros dans ce cas-ci.

Il est évident que c’est une somme importante, surtout si l’on sait que celle-ci entre directement au budget européen. Ce serait une fameuse recette pour la Commission. Inversement, c’est aussi une somme importante pour Google qui, même si la société est riche, ne payera pas de gaieté de cœur.

Pourtant, ce n’est pas l’enjeu le plus important nous semble-t-il.

Le risque le plus important pour l’opérateur économique, est le démantèlement ou plus précisément la scission. Il s’agit d’imposer à Google de séparer juridiquement et économiquement le moteur de recherche du reste de ses activités. Google pourrait poursuivre ses autres activités mais uniquement à la condition que le moteur de recherche, devenu une unité juridiquement et économiquement séparée, traite tous les autres sur un pied d’égalité.

Décryptage : Google Forever ?

Qui se souvient de Nokia, indétrônable superstar des téléphones mobiles il y a 15 ans ? Le groupe a disparu du secteur. Qui craint encore IBM, poursuivie régulièrement pour abus de position dominante dans le secteur de l’informatique et dont la marque a disparu aujourd’hui de plusieurs segments ? Que l’on songe encore à Microsoft, perçue aujourd’hui comme une entreprise sympathique alors qu’elle était le diable en personne dans les années 90 ?

La question n’est pas de savoir si Google est là pour toujours car la réponse est : non. Il y a eu un avant Google, et il aura un après Google.

La question est de savoir ce qui fera perdre à Google sa suprématie.

Cela pourrait être l’Internet mobile, qui dépend de plus en plus des applications et de moins en moins du web, avec une conséquence néfaste pour Google : sur le mobile, il est beaucoup plus rare de chercher une information via un moteur de recherche. Cela tient du réflexe, de la taille de l’écran, etc., peu importe mais le phénomène est établi. Cela tient aussi du comportement de certains fabricants, tel Apple qui installe par défaut Safari qui ne s’entend pas bien avec Google…

Cela pourrait être l’infobésité. Google a fondé son succès sur la recherche d’une information déstructurée. Le Web est un ensemble d’informations déstructurées sur lequel Google recherche sur la base de mots-clés, pour afficher un résultat qui ne restructure pas l’information : il se limite à mettre en avant l’information la plus populaire. Or, de plus en plus, l’être humain se retrouve confronté à un problème de restructuration de l’information. La masse de connaissances disponibles sur le Web rend le besoin de structuration de plus en plus prégnant.

Cela pourrait être le marché des smartphones. Google n’est pas passée loin de la catastrophe. Entre Apple et Samsung, elle a manqué rater le virage de l’Internet mobile et a réagi avec le brio en créant Android. Derrière les smartphones, c’est toute la question de l’Internet mobile qui se profile, une fois de plus.

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