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Filmer une agression avec un GSM ? Allez en prison sans passer par la case départ … !

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Le happy slapping sera dorénavant sévèrement puni. Cette mode d’un goût douteux, consiste à utiliser la fonction caméra d’un téléphone portable pour filmer l’agression d’un inconnu par le propriétaire dudit téléphone ou par un complice, dans le but de diffuser ce petit film sur le web. L’identité de la victime importe peu (celle là ou…

Le happy slapping sera dorénavant sévèrement puni. Cette mode d’un goût douteux, consiste à utiliser la fonction caméra d’un téléphone portable pour filmer l’agression d’un inconnu par le propriétaire dudit téléphone ou par un complice, dans le but de diffuser ce petit film sur le web. L’identité de la victime importe peu (celle là ou une autre, c’est aussi bien) ; le but est d’abord et avant tout de filmer et de rediffuser.

Dans le cadre de la loi sur la prévention de la délinquance, récemment adoptée et encore plus récemment validée par la Conseil constitutionnel, cette pratique sera désormais punie, et sévèrement !

Le happy slapping

Même si un esprit raisonnable a du mal à saisir l’intérêt de l’opération, il demeure que le phénomène connaît un grand succès, auprès des adolescents essentiellement.

Le phénomène inquiète de plus en plus les milieux chargés de l’éducation des jeunes. C’est que l’on dénombre chaque semaine en France et en Belgique plusieurs incidents de ce type dans les cours de récréation, et que le seuil de la violence ainsi filmée a tendance à augmenter dangereusement. D’une gifle au départ, l’ampleur de l’agression s’est aggravée et l’on assiste aujourd’hui à de véritables passages à tabac filmés.

Outre les séquelles physiques parfois graves, la victime est toujours très marquée psychologiquement.

L’impact est encore plus grand lorsque l’agression a lieu en milieu scolaire, car : (1) la victime connait l’agresseur ; (2) l’attaque a lieu dans une zone où la victime est a priori en confiance ; (3) la victime a peur d’être montrée du doigt par un tissus social qu’elle connait, etc.

Réprimer ou éduquer ? Le débat n’est pas neuf

La députée UMP Nathalie Kosciusko-Morizet (« NKM » comme elle l’indique elle-même sur son site) avait déjà demandé en mars 2006 que les portables soient purement et simplement interdits d’utilisation dans les établissements scolaires. A l’époque, le ministre de l’éducation Gilles De Robien lui avait opposé une fin de non recevoir. Elle a réitéré sa demande récemment, suite à de nouveaux incidents relativement graves qui se sont produits en France au cours des dernières semaines. Certaines associations (tel l’Association SOS Benjamin qui lutte contre les violences à l’école) lui ont apporté leur soutien.

Jusque récemment, le gouvernement avait refusé de prendre en considération la demande, s’interrogeant notamment sur l’opportunité d’une mesure nationale alors que chaque établissement a la responsabilité de son règlement en fonction de l’importance et de la nature des problèmes rencontrés.

Du côté des Associations d’écoles et de parents, et des milieux spécialisés dans la jeunesse et l’éducation, la réponse est nuancée. On ne nie pas l’existence d’un réel problème et on insiste sur la nécessité de procéder à une analyse d’un phénomène dont la gravité ne doit en aucun cas être sous-estimée. Par contre, on souligne aussi que le téléphone portable remplit bien d’autres fonctions. Sécuritaire tout d’abord : un grand nombre de parents sont ravis d’offrir un portable à leurs jeunes adolescents et se sentent rassurés de pouvoir être joints à tout moment par leur enfant. En outre, ils soulignent que ce n’est pas une interdiction qui solutionnera le problème. Enfin, ils relèvent qu’une interdiction en milieu scolaire déplacera seulement le problème de la cour de récréation vers la sortie de l’école ou les rues avoisinantes.

Bref, la solution passerait plutôt par l’éducation.

La loi sur la prévention de la délinquance

Le gouvernement a changé il y a peu son fusil d’épaule. Le ministre de l’Intérieur, par ailleurs candidat à la magistrature suprême, a en effet déposé un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.

L’objet du projet est décrit comme suit : « Touchant tous les aspects de la politique de lutte contre la délinquance, ce projet de loi entend faire du maire le pivot de la politique de prévention dans la commune et renforcer le rôle du parquet dans cette politique. Il comporte un volet sanitaire et social qui s’organise autour de quatre thèmes : le repérage et le soutien des familles fragiles, les impératifs de sécurité en matière d’habitat et d’urbanisme, la prise en charge des personnes présentant des troubles mentaux dangereux et les moyens de punir et de soigner les usagers de drogues ».

Après un passage à l’Assemblée Nationale, le projet a été voté en 2ème lecture au sénat.

Une nouvelle disposition stipule que :

« Art. 222-43-2. – Est constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne prévues par les articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31 et est puni des peines prévues par ces articles le fait d’enregistrer ou de diffuser par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions.

« Le présent article n’est pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou sont réalisés afin de servir de preuve en justice. »

Les infractions visées par les articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31 du code pénal, sont essentiellement les tortures et actes de barbarie (Articles 222-1 à 222-6-2), les violences (Articles 222-7 à 222-16-2), le viol (Articles 222-23 à 222-26), les autres agressions sexuelles (Articles 222-27 à 222-32).

C’est le fait d’enregistrer ou [nous soulignons] de diffuser par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions.

La happy (si mal nommé) slapping tombe donc sous le coup de ce texte, suggéré par les sénateurs et justifié comme suit :

Par ailleurs, votre commission vous propose par un amendement de compléter cet article afin d’incriminer le fait d’enregistrer et de diffuser les images concernant la commission d’infractions de violence.

Cette pratique récente, connue sous le nom de « happy slapping », se développe en effet dans des proportions inquiétantes.

Elle consiste à filmer à l’aide de moyens divers comme les téléphones mobiles équipés de caméras une personne ou un groupe de personnes se précipitant sur une victime qui ne soupçonne pas l’imminence d’un assaut. L’objectif final est de diffuser les images ainsi enregistrées.

Si l’idée de filmer une infraction n’est pas nouvelle, la banalisation et la disponibilité de caméras vidéo encouragent la planification des agressions et les rendent facilement diffusables.

Les actes de violence perpétrés dans le cadre du « happy slapping » dépassent la simple gifle. Ils peuvent, dans certains cas, aboutir au décès de la victime ou concerner des viols.

L’amendement proposé par votre commission ne concerne pas les agresseurs physiques de la victime dans la mesure où il existe déjà des textes réprimant les infractions liées aux actes violents.

En revanche, il tend à incriminer le comportement de celui qui se borne à filmer la scène violente lorsqu’il ne peut pas être considéré comme l’instigateur de l’agression à laquelle il ne participe pas directement. Actuellement, il ne saurait être poursuivi en qualité de complice. Tout au plus pourrait-on lui reprocher de n’avoir pas empêché la commission de l’infraction, mais cela suppose qu’il était capable de le faire.

Il apparaît donc nécessaire de sanctionner le comportement de celui qui filme des agressions, en prévoyant qu’un tel comportement constituera une forme particulière de complicité des actes de tortures, des viols et des agressions sexuelles.

Définir ces faits comme des actes de complicité permettra d’en réprimer les auteurs comme les auteurs directs des violences elles-mêmes. Ainsi, les circonstances aggravantes encourues, comme celles liées à la qualité de la victime, seront applicables.

Quel risque pour la liberté d’expression et d’information ?

Nous ne nous prononcerons sur l’opportunité du choix politique et sociétal que représente ce texte. L’auteur du slapping sera puni aussi sévèrement que l’auteur de l’infraction. Dont acte.

Présentation du problème

D’aucuns s’inquiètent des risques pour la liberté d’expression, et plus précisément pour l’un de ses corollaires, la liberté d’information protégée par l’article 10 CEDH.

Le problème vient de l’exception, telle qu’elle est rédigée : « Le présent article n’est pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou sont réalisés afin de servir de preuve en justice ».

En limitant l’exception aux seuls professionnels de l’information, le texte condamne comme l’auteur de l’infraction, celui qui, alors qu’il n’a aucun lien avec l’agresseur, se trouve être le témoin par hasard d’une agression et filme et ou diffuse la vidéo dans le but de dénoncer, témoigner ou informer.

Cette nouvelle incrimination pour le moins dissuasive frappe donc de plein fouet les reporters en herbe (non professionnels) qui exercent pourtant leur droit à la liberté d’information. De nombreux reportages parfois utiles et informatifs (comme les émeutes qui ont touché les banlieues françaises) proviennent de vidéos amateurs réalisées dans l’unique souci de témoignage de la réalité.

L’article 10 CEDH

L’article 10 de la CEDH est rédigé comme suit :

« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations ».

« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Au niveau des personnes protégées, la Cour chargée de l’application de la CEDH a clairement affirmé que « l’article 10 garantit la liberté d’expression « à toute personne » ; il ne distingue pas d’après la nature du but recherché ni d’après le rôle que les personnes, physiques ou morales, ont joué dans l’exercice de cette liberté. (…) Il concerne non seulement le contenu des informations mais aussi les moyens de leur diffusion, car toute restriction apportée à ceux-ci touche le droit de recevoir et communiquer des informations » (Cour EDH Cetin et autres c. Turquie du 13 février 2003, n° 40153/98 et 40160/98 (Sect. 2) (bil.) CEDH 2003-III).

Par conséquent, toute personne quelle qu’elle soit bénéficie de la liberté d’expression et, partant de la liberté de recevoir ou de communiquer des informations. Tout particulier dispose de ce droit dans les limites prévues pas la Convention et déterminées par la loi, sans avoir égard à sa qualité de professionnel de l’information ou non.

Concernant les propos protégés, la Cour a toujours retenu une définition très large en affirmant que la liberté d’expression « (…) vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il ne saurait y avoir de société démocratique » (Cour EDH, 7 décembre 1976, Handyside, série A n° 24 ; Cour EDH, 21 janv. 1999 [aff. du Canard enchaîné] : req. n° 29183/95, Fressoz et a. c/ France: JCP G 1999, II, 10120, note E. Derieux ; RTD civ. 1999, p. 359, obs. J. Hauser et p. 910, obs. J.-P. Marguénaud et J. Reynard ; RTD com. 1999, p. 783, obs. F. Deboissy ; D. 1999, somm. p. 272, obs. N. Fricelo).

On le voit, la loi adoptée comporte une limitation sérieuse à un droit reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme dès l’instant où il ne prévoit d’exception qu’au profit des seuls journalistes professionnels.

Mais le problème ne s’arrête pas là. Il touche aussi la protection de sources.

La Cour de Strasbourg a maintes fois précisé qu’au titre d’accessoire de la liberté d’expression et de la liberté de la presse en particulier, l’article 10 protège le secret des sources du journaliste (Ernst et autres c. Belgique du 15 juillet 2003, n° 33400/96 et Roemen et Schmitt c. Luxembourg du 25 février 2003 n° 51772/99 (Sect.4) (bil.) CEDH 2003-IV). En effet « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général » (Ernst et autres c. Belgique du 15 juillet 2003, précité).

Toute restriction apportée à cette protection doit, selon la Cour, répondre à un impératif prépondérant d’intérêt public et s’expose en conséquence à un examen « des plus scrupuleux » (Cour EDH, Roemen et Schmitt c. Luxembourg du 25 février 2003, précité).

Ainsi, un journaliste ne peut être sommé in abstracto de révéler ses sources (Cour EDH, Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, 16/1994/463/544, confirmé par Cour EDH, Ernst et autres c. Belgique du 15 juillet 2003, précité. ). Concrètement, celui qui filme une agression et fournit la vidéo à un journaliste est considéré comme une source journalistique protégée par l’article 10 de la CEDH.

La loi ne met-elle pas en danger la protection des sources en tolérant, comme seule exception, l’enregistrement par des professionnels de l’information uniquement ? Que fera le journaliste qui n’a pas filmé la scène et qui est sommé d’identifier sa source. En se taisant, il couvre ce qui est manifestement une infraction. En livrant le nom du non-professionnel qui a fourni le film, il viole une norme fondamentale du droit des médias.

Les limites de l’article 10 de la CEDH

L’article 10 autorise deux types de limitations à la liberté d’information.

L’une est spécifique à cette liberté et touche les entreprises de radiodiffusion, cinéma et télévision, qui peuvent être soumises à un régime d’autorisations (paragraphe 1 in fine).

L’autre est une réserve générale d’ordre public (paragraphe 2), qui autorise trois catégories de restrictions à l’exercice de la liberté d’information:

  • pour protéger l’intérêt général,
  • pour protéger d’autres droits individuels,
  • pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Ces restrictions, pour être compatibles avec la CEDH, doivent être prévues par la loi et constituer des «mesures nécessaires dans une société démocratique».

Tout en laissant aux Etats une certaine marge d’appréciation pour déterminer les limites du droit à la liberté d’information, la Cour de Strasbourg, exerce un contrôle d’autant plus rigoureux en la matière que la liberté d’information est perçue comme l’un des fondements essentiels de la société démocratique CEDH, Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, précité ; Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, 2-217).

Ce contrôle porte sur :

  1. la légalité et la finalité de l’ingérence
  2. sa nécessité, qui suppose un «besoin social impérieux»,
  3. sa proportionnalité au but légitime poursuivi et la pertinence des motifs invoqués par l’autorité nationale.

Si la loi devait être portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme, que penseraient les juges strasbourgeois d’un texte qui :

  • porte atteinte à la liberté de recevoir des informations puisqu’il aurait pour conséquence de priver le public de nombreuses images destinées à l’information ;
  • porte atteinte à la liberté de communiquer des informations puisque les individus se trouveraient restreints dans leur liberté de filmer ou de diffuser des vidéos à des fins d’information du public.

En vertu du contrôle exercé par la Cour EDH, cette ingérence de l’Etat ne saurait être tolérée si l’atteinte à la liberté d’expression et d’information est disproportionnée par rapport au but recherché, ou non nécessaire dans une société démocratique.

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