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Filmer la police ? La CJUE est plutôt favorable

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C’est un arrêt très attendu qui a été rendu par la CJUE la semaine passée : un citoyen peut-il, pour critiquer son comportement, filmer la police en activité et surtout diffuser les images ? La réponse était connue pour ce qui concerne la prise d’image. Mais qu’en est-il de la diffusion ? Via une interprétation extensive de l’exception de journalisme, la CJUE ouvre très largement la porte.

Les faits

Alors qu’il se trouvait dans les locaux du commissariat de la police nationale, M. Buivids a filmé la prise de sa déposition dans le cadre d’une procédure d’infraction administrative.

M. Buivids a publié la vidéo ainsi filmée (ci-après la « vidéo en cause »), qui montrait des membres de la police et leur activité dans le commissariat, sur youtube.

À la suite de cette publication, l’Autorité nationale de la protection des données a considéré, dans une décision du 30 août 2013, que M. Buivids avait violé la loi relative à la protection des données (défaut d’information, défaut de notification du traitement, etc.).

M. Buivids se défend : il a voulu, par la publication de la vidéo en cause, attirer l’attention de la société sur une action de la police qu’il considérait comme illégale.

La Cour suprême de Lettonie, saisie, émet des doutes :

  • le fait donner à de filmer, dans un commissariat de police, des membres de la police dans l’exercice de leurs fonctions et le fait de publier la vidéo ainsi enregistrée sur Internet relèvent-ils du champ d’application de la directive 95/46 ?
  • quelle portée l’exception du traitement de journalisme, figurant à l’article 9 de la directive 95/46 ?

Première question : la directive s’applique-t-elle en principe ?

La première question revient à se demander si l’enregistrement vidéo de membres de la police au sein d’un commissariat, lors d’une prise de déposition, et la publication de la vidéo ainsi enregistrée sur un site Internet de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager celles-ci, relève de la directive sur les données personnelles. (précision : il s’agit ici de l’ancienne directive 95/46).

Selon la jurisprudence de la Cour, l’image d’une personne enregistrée par une caméra constitue une « donnée à caractère personnel », au sens de l’article 2, sous a), de la directive 95/46, dans la mesure où elle permet d’identifier la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, Ryneš, C‑212/13, EU:C:2014:2428, point 22).

Quant à la notion de traitement appliquée dans le cadre d’un système de vidéo-surveillance, la Cour a déjà jugé qu’un enregistrement vidéo des personnes, stocké dans un dispositif d’enregistrement continu, à savoir le disque dur de ce système, constitue, conformément à l’article 2, sous b), et à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 95/46, un traitement de données à caractère personnel automatisé (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, Ryneš, C‑212/13, EU:C:2014:2428, points 23 et 25).

Reste la diffusion : sans surprise, la CJEU renvoie à sa jurisprudence ayant déjà considéré que l’opération consistant à faire figurer des données à caractère personnel sur une page Internet est à considérer comme un traitement (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2003, Lindqvist, C‑101/01, EU:C:2003:596, point 25, ainsi que du 13 mai 2014, Google Spain et Google, C‑131/12, EU:C:2014:317, point 26).

En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de s’éloigner de sa jurisprudence, même pas le fait que « enregistrement [litigieux] n’a eu lieu qu’une seule fois » : cet élément est « sans incidence sur la question de savoir si cette opération relève du champ d’application de la directive 95/46. En effet, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 2, sous b), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci, ladite directive s’applique à « toute opération » qui constitue un traitement de données à caractère personnel, au sens de ces dispositions. »

L’exception de traitement domestique ?

On sait que la directive exclu de son champ d’application :

  • Les traitements qui ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire, telles que celles prévues aux titres V et VI du traité sur l’Union européenne dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et, en tout état de cause, des traitements ayant pour objet la sécurité publique, la défense, la sûreté de l’État et les activités de l’État relatives à des domaines du droit pénal ;
  • Les traitements de données à caractère personnel effectués par une personne physique pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques.

La CJUE rappelle qu’en tant qu’elles rendent inapplicables les règles de protection des données, ces exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2017, Puškár, C‑73/16, EU:C:2017:725, point 38, et du 10 juillet 2018, Jehovan todistajat, C‑25/17, EU:C:2018:551, point 37).

Pour la Cour, en publiant, sans restriction d’accès, la vidéo en cause sur un site Internet de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager celles-ci, rendant ainsi accessibles des données à caractère personnel à un nombre indéfini de personnes, M. Buivids a ôté au traitement la possibilité de s’inscrire dans des activités exclusivement personnelles ou domestiques.

L’exception de journalisme ?

La seconde question revient à se demander si l’enregistrement vidéo de membres de la police dans un commissariat, lors d’une prise de déposition, et la publication de la vidéo ainsi enregistrée sur un site Internet de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager celles-ci, constituent un traitement de données à caractère personnel aux fins de journalisme, au sens de la directive 95/46 ?

La Cour se pose une question préalable : quel est l’objectif de l’exception ? Elle répond que c’est un équilibre qui est recherché entre la libre circulation des données à caractère personnel et leur protection d’une part, et le droit fondamental de la liberté d’expression d’autre part.

Pour la Cour, « afin de tenir compte de l’importance que détient la liberté d’expression dans toute société démocratique, il convient d’interpréter les notions y afférentes, dont celle de journalisme, de manière large ».

Que recouvrent alors les « activités de journalisme » ? La Cour répond que ce sont « celles qui ont pour finalité la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, sous quelque moyen de transmission que ce soit (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, C73/07, EU:C:2008:727, point 61). »

La CJUE fournit quelques précisions :

  • Le fait que M. Buivids ne soit pas un journaliste de profession n’apparaît pas de nature à exclure que l’enregistrement de la vidéo en cause ainsi que la publication de celle-ci sur un site Internet de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager celles-ci puissent relever de cette disposition ;
  • Le fait que la diffusion se fasse sur Youtube (site pas vraiment journalistique) ne saurait, en soi, ôter à ce traitement de données à caractère personnel la qualité d’avoir été effectué « aux seules fins de journalisme » ?
  • Pour savoir si un contenu a pour finalité la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, la juridiction de renvoi pourra notamment prendre en considération le fait que, selon M. Buivids, la vidéo en cause a été publiée sur un site Internet afin d’attirer l’attention de la société sur les pratiques prétendument irrégulières de la police qui se seraient déroulées lors de sa prise de déposition. La Cour précise toutefois que la constatation de telles pratiques irrégulières ne constitue pas une condition pour l’applicabilité de l’exception de journalisme.
  • Il convient de coller aussi fortement que possible à la jurisprudence de la CEDH pour rapprocher la Charte européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, « aux fins d’effectuer la mise en balance entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme a développé une série de critères pertinents qui doivent être pris en considération, notamment la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, le mode et les circonstances dans lesquelles les informations ont été obtenues ainsi que leur véracité (…). De même, doit être prise en considération la possibilité pour le responsable du traitement d’adopter des mesures permettant d’atténuer l’ampleur de l’ingérence dans le droit à la vie privée. »

La Cour en conclut que l’article 9 de la directive 95/46 doit être interprété en ce sens que des circonstances de fait telles que celles de l’affaire au principal, à savoir l’enregistrement vidéo de membres de la police dans un commissariat, lors d’une prise de déposition, et la publication de la vidéo ainsi enregistrée sur un site Internet de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager celles-ci, peuvent constituer un traitement de données à caractère personnel aux seules fins de journalisme, au sens de cette disposition, pour autant qu’il ressorte de ladite vidéo que ledit enregistrement et ladite publication ont pour seule finalité la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

L’arrêt et les conclusions de l’avocat général sont disponibles en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Conclusions de l’AG

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