FAI : Douloureux arbitrage entre copyright et privacy (USA)
Publié le 20/11/2002 par Julien Clainche
L’industrie musicale américaine a introduit une action en justice contre le fournisseur d’accès Internet (FAI) Verizon, dans le but d’obtenir le nom d’un abonné partageant des milliers de fichiers musicaux via le réseau «Kazaa». Cette action fait suite à l’abandon des poursuites contre les principaux opérateurs de télécommunication américains qui permettaient l’accès au site «listen4ever.com»…
L’industrie musicale américaine a introduit une action en justice contre le fournisseur d’accès Internet (FAI) Verizon, dans le but d’obtenir le nom d’un abonné partageant des milliers de fichiers musicaux via le réseau «Kazaa».
Cette action fait suite à l’abandon des poursuites contre les principaux opérateurs de télécommunication américains qui permettaient l’accès au site «listen4ever.com» [1]. La nouvelle stratégie judiciaire semble donc être de poursuivre les FAI et non plus les seuls opérateurs de télécommunication.
Si la protection des droits de propriété intellectuelle est légitime, la traque des contrefacteurs doit se faire dans le respect des «libertés civiles», traditionnellement reconnues outre-Atlantique.
L’industrie de la production artistique souhaite que les fournisseurs d’accès Internet communiquent , sans contrôle judidicaire, les informations relatives à l’activité de leurs clients sur Internet. La cour américaine devra donc trouver le point d’équilibre entre le respect des droits de propriété intellectuelle et les libertés civiles.
Les négociations engagées entre Verizon et la Recording Industry Association of America (RIAA) ont abouti à une possibilité de transmission des informations relatives aux abonnés, dans l’hypothèse où l’industrie de la production artistique introduit une plainte spécifique pour chaque client du FAI.
La RIAA a cependant estimé que cette stratégie se solderait par une perte de temps et d’argent. Elle entend faire prendre conscience aux internautes du caractère illégal de leur comportment sur le réseau par l’envoi d’une lettre. A ce titre, l’avocat de la RIAA, Cary Sherman, expose clairement la politique de dissuasion :
«One of the things we’re discovering is that people are not aware that they are engaging in conduct that is clearly illegal. If you got a letter from RIAA saying we know that you’re doing this, I’d say there’s a pretty good chance that you would stop»
Les parties contestent réciproquement leur interprétation du «Digital millenium Copyright Act» (DMCA) de 1998.
En effet, Verizon prétend devoir fournir la liste de ses clients, dans la seule et unique hypothèse où les morceaux protégés par le copyright sont stockés sur un ordinateur lui appartenant. La RIAA prétend quant à elle, qu’une telle situation n’est pas celle qu’elle a accepté dans le cadre du DMCA. La RIAA se fonde sur des termes revenant à plusieurs reprises dans le DMCA :
«Information Residing on Systems or Networks»
La question qu’auront à trancher les juges sera donc de savoir si cette disposition doit s’appliquer aux faits en cause, mais encore, si elle est compatible avec les standards de la Privacy.
Les entreprises composant la RIAA n’ont pas attendu l’intervention de décisions de justice pour traquer les présumés pirates, avec parfois des erreures cinglantes.
Ainsi, des FAI se sont vus demander de couper l’accès Internet de clients qui, ne s’étaient pourtant pas livrés aux agissements reprochés. Verizon pointe du doigt les logiciels qui, traquent les présumés pirates, puis envoient automatiquement une lettre au FAI demandant la coupure de l’accès Internet. En effet, Verizon pourrait alors se voir reprocher par son client d’avoir insuffsamment garanti la confidentialité et l’intégrité de ses données et d’être ainsi responsable d’une atteinte illégitime à sa privacy.
Les FAI espèrent donc par cette décision obtenir une clarification de leurs obligations, tant envers l’industrie de la production artistique qu’envers leurs clients.
En pratique, les FAI européens et américains ne font pas difficultés pour couper l’accès Internet, dès lors que l’infraction est manifeste : contenus à caractère pédophile, vente de produits stupéfiants…
Il est toutefois remarquable que pour certains FAI, le caractère manifestement illicite du comportement du client est indissociable de l’image qu’ils souhaitent donner : ce qui est manifestement illicite se résume alors à ce qui est préjudicialble pour l’image du FAI auprès des consommateurs.
Or, il est évident que le respect de leur vie privée importe plus aux internautes que le respect des droits de proprité intellectuelle sur les réseaux. Les seuls FAI et opérateurs réellement déterminés à lutter contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle sont ceux détenus par des groupes de sociétés ayant également une activité de production artistique, Aol Time Warner en est une illustration.
Dans le contexte législatif américain qui tend à sacrifier les libertés individuelles, il faut espérer que les juges sauront encadrer leur décision de toutes les garanties nécessaires au respect des droits des personnes. Par exemple, en subordonnant sur le modèle français, la communication des données à l’obtention d’une autorisation judiciaire.