Facebook à nouveau terrassée par le petit poucet Schrems ?
Publié le 28/11/2017 par Etienne Wery , Thierry Léonard, Bojana Salovic
M. Schrems, bien que militant, peut invoquer sa qualité de consommateur pour poursuivre Facebook devant les juridictions autrichiennes en ce qui concerne l’usage privé de son propre compte Facebook (il ne doit donc pas assigner en Irlande). En revanche, il ne peut pas invoquer cette qualité pour faire valoir des droits qui lui ont été cédés par d’autres consommateurs.
Les faits
Maximilian Schrems, originaire d’Autriche, a intenté une action contre Facebook Ireland devant des juridictions autrichiennes. Il soutient que Facebook Ireland a violé ses droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.
Il soutient également que Facebook a pareillement violé les droits de sept autres utilisateurs de Facebook, qui lui ont cédé le droit de faire valoir leurs prétentions suite à une invitation en ce sens qu’il avait publiée en ligne. Ces utilisateurs sont domiciliés en Autriche, en Allemagne et en Inde.
Facebook Ireland conteste la compétence internationale des juridictions autrichiennes.
Premièrement, elle soutient que M. Schrems ne peut pas ou, en tout cas, ne peut plus être considéré comme un consommateur dans le cadre de son action contre Facebook. Selon Facebook Ireland, M. Schrems a perdu sa qualité de consommateur en raison des activités professionnelles qu’il a exercées en relation avec ses revendications contre elle. Ainsi, M. Schrems ne pourrait pas bénéficier de la règle de l’Union qui permet aux consommateurs d’attraire un partenaire contractuel étranger devant les tribunaux de leur domicile (« privilège du for du consommateur »). En tout état de cause, la page Facebook créée par M. Schrems impliquerait que celui-ci fait un usage professionnel de Facebook.
Deuxièmement, Facebook Ireland soutient que le privilège du for du consommateur est strictement personnel et ne peut pas être invoqué pour faire valoir des droits cédés.
La question posée
L’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) demande à la Cour de justice de clarifier ces deux points au regard du privilège du for du consommateur.
L’Oberster Gerichtshof expose le contexte de l’affaire et indique que M. Schrems est spécialisé en droit de l’informatique et en droit de la protection des données personnelles et qu’il prépare une thèse de doctorat concernant les aspects juridiques de la protection des données personnelles. Il utilise Facebook depuis 2008.
Tout d’abord, il a uniquement utilisé un compte Facebook à des fins privées, sous un faux nom.
Depuis 2010, il utilise un compte Facebook sous son nom, écrit en cyrillique, pour son usage privé (téléchargement de photographies, affichage en ligne et utilisation du service de messagerie pour converser). Il a environ 250 « amis Facebook ».
Depuis 2011, il utilise également une page Facebook. Cette page contient des informations sur les conférences qu’il donne, ses participations à des débats, ses interventions dans les médias, les livres qu’il a écrits, un appel aux dons qu’il a lancé ainsi que les actions judiciaires qu’il a introduites contre Facebook Ireland.
M. Schrems a publié deux livres concernant ces actions en justice, donné des conférences (dont certaines rémunérées), enregistré de nombreux sites Internet (blogs, pétitions en ligne, sites de financement participatif pour les actions menées contre Facebook Ireland), obtenu différentes distinctions et fondé une association visant à faire respecter le droit fondamental à la protection des données (Verein zur Durchsetzung des Grundrechts auf Datenschutz). Il a constitué une équipe de 10 personnes, avec un noyau dur de cinq personnes, qui le soutiennent dans sa « campagne contre Facebook ».
Un militant reste-t-il un consommateur ?
Dans ses conclusions de ce jour, l’avocat général Michal Bobek suggère tout d’abord à la Cour de répondre à l’Oberster Gerichtshof que l’exercice d’activités telles que la publication de livres, la tenue de conférences, l’exploitation de sites Internet ou la collecte de dons n’implique pas qu’un consommateur perde sa qualité de consommateur lorsqu’il souhaite faire valoir des droits concernant son propre compte Facebook utilisé à des fins privées.
Il semble ainsi que M. Schrems peut être considéré comme un consommateur s’agissant de ses propres prétentions issues de l’usage privé de son propre compte Facebook. Toutefois, il appartiendra à l’Oberster Gerichtshof de vérifier ce point.
Selon l’avocat général, en règle générale, la qualité de consommateur dépend de la nature et de la finalité du contrat au moment où ce dernier a été conclu.
Une modification ultérieure de l’usage ne peut être prise en compte que dans des cas de figure exceptionnels.
Lorsque la nature et la finalité du contrat sont mixtes, c’est-à-dire à la fois privées et professionnelles, il est encore possible de conserver la qualité de consommateur si le « contenu » professionnel peut être considéré comme marginal. La connaissance, l’expérience, l’engagement social ou le fait d’avoir acquis une certaine renommée en raison d’actions en justice n’empêchent pas, en soi, une personne de pouvoir être qualifiée de consommateur.
Nul ne plaide par procureur
L’avocat général propose de répondre ensuite qu’un consommateur qui est en droit d’intenter une action contre son partenaire contractuel étranger devant les tribunaux de son domicile ne peut pas faire valoir, en même temps que ses propres droits, des droits ayant le même objet cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.
Selon l’avocat général, il ressort clairement des dispositions applicables que le privilège du for du consommateur est toujours limité aux parties concrètes et spécifiques du contrat.
Il serait incompatible avec ces dispositions de permettre à un consommateur de faire également usage de ce privilège pour des droits qui lui ont été cédés par d’autres consommateurs aux fins d’une action en justice. Une telle extension permettrait de regrouper des prétentions et de choisir, aux fins d’actions collectives, le lieu de la juridiction la plus favorable en cédant toutes les prétentions à un consommateur domicilié en ce lieu. Une telle solution pourrait conduire à une multiplication de cessions ciblées en faveur de consommateurs relevant d’une juridiction dotée d’une jurisprudence plus favorable, de frais de justice moins élevés ou d’une aide judiciaire plus généreuse, ce qui pourrait conduire à surcharger certaines juridictions.
L’avocat général reconnaît que les actions collectives contribuent à une protection juridictionnelle effective. Si elles sont bien conçues et bien mises en œuvre, elles peuvent aussi être bénéfiques pour le système judiciaire, par exemple, en diminuant le nombre de procédures parallèles nécessaires. Toutefois, il appartient non pas à la Cour de créer de telles actions collectives en matière de contrats conclus par un consommateur, mais, en fin de compte, au législateur de l’Union.
Conclusion
Jolie victoire en perspective pour M. Schrems si l’avocat général est suivi par la Cour : puisqu’il est un consommateur par rapport à la violation alléguée de ses droits propres, il peut poursuivre Facebook en Autriche par application du privilège du for en droit de la consommation. Le refuge irlandais de Facebook est décidément de moins en moins sûr …