Face aux dispositifs techniques de protection des œuvres, la Cour d’appel de Paris sauve l’exception pour copie privée
Publié le 02/05/2005 par Pascal Reynaud
Dans un arrêt du 22 avril 2005, la Cour d’appel de Paris estime que l’exception relative à la copie privée est opposable aux ayants-droit de l’auteur. L’acheteur du DVD Mulholland drive de David Lynch doit pouvoir faire des copies pour un usage privé, même lorsque le DVD est verrouillé par des dispositifs de protection anti-copie.…
Dans un arrêt du 22 avril 2005, la Cour d’appel de Paris estime que l’exception relative à la copie privée est opposable aux ayants-droit de l’auteur. L’acheteur du DVD Mulholland drive de David Lynch doit pouvoir faire des copies pour un usage privé, même lorsque le DVD est verrouillé par des dispositifs de protection anti-copie. Ce litige oppose notamment l’association U.F.C. Que Choisir à la Société Universal Pictures Video France.
Pour mémoire, la Cour a aussi décidé que le distributeur avait manqué à son devoir d’information préalable en ne prévenant pas suffisamment clairement le consommateur de l’existence de protections techniques (art. L. 111-1 du Code de la consommation).
Peut-on remettre en cause la faculté de faire des copies privées ?
L’article L.122-5 § 2 du CPI qui permet la copie privée d’œuvres protégées est-il opposable aux sociétés qui produisent et distribuent des DVD assortis de dispositifs anti-copie ? En clair, il s’agit de tracer la limite des prérogatives des titulaires de droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre. Il faut aussi se souvenir que ce type de dispositif est souvent mis en place pour éviter la copie sur le disque dur d’un ordinateur et sa mise en ligne par l’intermédiaire de systèmes de P2P.
En première instance, le 30 avril 2004, le tribunal de Paris a considéré, sans doute de manière excessive, que la faculté de faire des copies de DVD pour un usage privé portait atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et causait un préjudice injustifié aux auteurs. Dès lors, l’exception de copie privée était inopposable aux ayants-droit de l’auteur. De manière plus équilibrée, la Cour d’appel a pris le contre-pied de cette analyse.
Une place pour l’exception de copie privée
A titre liminaire, la Cour prend soin de préciser que l’acheteur ne dispose pas d’un droit absolu à la copie. Cependant, les ayants-droits ne peuvent pas rajouter d’autres limites à la faculté de copier que celles précisées dans les textes. Ainsi, les juges prennent d’emblée une position médiane dans cette controverse qui oppose depuis quelques années les ayants-droit et le public.
Premier point du raisonnement, la Cour estime que la faculté de faire des copies n’est pas limitée à un support particulier. Dès lors, l’acheteur est libre de faire des copies sur le support qu’il souhaite. Il est ensuite rappelé plusieurs éléments dont il faut tenir compte, à savoir la nécessité d’assurer un juste équilibre entre les intérêts du public et des ayants-droit et l’existence d’une rémunération pour copie privée au profit de ces derniers (Cf. L. 311-1 et suiv. CPI).
Ensuite, la Cour se concentre sur la conformité de l’exception pour copie privée à l’article 5.5 de la directive du 22 mai 2001 sur le « droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ». Cet article reprend le fameux test des trois étapes issu de l’article 9-2 de la Convention de Berne du 9 septembre 1886.
Art. 5.5 : « Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »
Tout d’abord, les juges estiment que cette faculté de faire des copies privées, « en son principe et en l’absence de dévoiement répréhensible » ne fait pas échec à l’exploitation normale de l’œuvre. En outre, La Cour relève qu’il n’est pas démontré un préjudice injustifié porté aux auteurs par cette pratique. Au contraire, le raisonnement du TGI avait pour conséquence de remettre en cause le principe même de l’exception pour copie privée.
En définitive, c’est la notion de copie privée patiemment définie par la jurisprudence qui doit servir de cadre en la matière. Il ne s’agit pas d’un arrêt qui donne un blanc-seing à toute forme de copie. La copie destinée à un usage collectif reste illégale sans l’accord des titulaires de droits. Simplement les ayants-droit sont tenus de respecter l’article L. 122-5 du CPI et ils ne peuvent utiliser des mesures techniques incompatibles avec l’exception de copie privée.
Une remise en cause des protections techniques ?
Une telle prise de position peut-elle rendre illicite tout type de protection technique ? En effet, ces mesures peuvent empêcher toutes les reproductions de l’œuvre peu importe leurs finalités. Cet arrêt, s’il devait faire jurisprudence, ne va pas simplifier le travail des producteurs et distributeurs de CD et de DVD. Il faudra mettre à disposition des acheteurs une protection technique qui rende possible la copie privée mais qui interdise l’usage collectif de cette même reproduction.
Le futur article L. 331-6 al. 2 du CPI, tel qu’il est rédigé dans le projet de loi concernant la transposition de la directive « droit d’auteur et société de l’information » semble contourner cette difficulté en permettant aux ayants-droit de limiter « le nombre de copies » que le bénéficiaire de l’exception pourra faire. On attend avec intérêt la traduction technique et concrète de ces différents principes …
En sens inverse, une autre source d’inquiétude apparaît lorsqu’on quitte les DVD et les CD pour s’intéresser plus particulièrement à Internet.
L’avenir de la copie privée sur Internet
Concernant l’Internet, les dispositions particulièrement alambiquées de l’article 6.4 de la directive précitée et du projet de loi permettant sa transposition ne vont pas faciliter la tâche des juges (cf. art. 8 du projet de loi).
En effet, la limite entre les prérogatives de l’auteur et la faculté de faire des copies sur Internet pourra être réglée de manière contractuelle… On peut imaginer que les contrats proposés ne seront guères favorables aux Internautes. Reste à savoir si cette liberté contractuelle concédée aux ayants-droit connaîtra elle-même des limites. La recherche d’un équilibre entre les intérêts du public et des ayants-droit est donc loin d’être terminée.
Plus d’infos ?
En consultant la décision commentée, disponible sur notre site.
En consultant le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information sur le site legifrance.