Esso obtient la condamnation de Greenpeace pour contrefaçon de sa marque dans une campagne de sensibilisation
Publié le 16/07/2002 par Etienne Wery
Après l’affaire Danone, c’est cette fois Esso qui arrive à invoquer son droit à la marque pour obtenir la condamnation d’un groupe de pression contestant la politique de gestion du titulaire de la marque. Plusieurs voix dénoncent le danger de limiter abusivement la liberté d’expression. Les faits La célèbre association de défense de l’environnement n’apprécie…
Après l’affaire Danone, c’est cette fois Esso qui arrive à invoquer son droit à la marque pour obtenir la condamnation d’un groupe de pression contestant la politique de gestion du titulaire de la marque. Plusieurs voix dénoncent le danger de limiter abusivement la liberté d’expression.
Les faits
La célèbre association de défense de l’environnement n’apprécie pas du tout la politique écologique de Esso, accusée d’être « l’ennemi climatique n° 1 » (sic). Pour appuyer sa campagne de sensibilisation, Greenpeace a reproduit sur son site la marque complexe « ESSO » (écriture en rouge sur fond blanc inscrite dans un ovale bleu) en remplaçant les deux S par des dollars censés symboliser l’attitude de Esso, qui sacrifierait l’environnement sur l’autel du profit. La marque modifiée devient donc « E$$O » (couleurs et graphisme inchangés).
Les thèses en présence
Dans son assignation, Esso prend soin de rappeler qu’elle ne veut pas museler la critique (même si elle conteste évidemment les accusations proférées). Par contre, Esso refuse la déformation de sa marque, « pour désigner des produits identiques à ceux visés dans l’enregistrement des marques en cause, à tout le moins en relation avec ceux-ci ». Et Esso d’expliquer que « de tels usages de signes imités sont faits pour entraîner l’association de ce signe par l’internaute avec les marques invoquées et ainsi, susciter une confusion dans l’esprit du public avec les marques dans leur forme authentique ».
Esso signale également que la reprise de la marque à l’ identique serait tout aussi interdite, Greenpeace n’ayant pas besoin de cela pour informer ou désinformer le public : la reprise de la dénomination suffirait. On retrouve ici l’influence directe de la jurisprudence Danone.
Enfin, Esso a pris soin de faire constater par huissier que grâce à ceci, le site Greenpeace apparaît en troisième position dans les moteurs de recherche en cas de recherche sur « Esso France ».
Le jugement
Dans une décision de référé dont il faut saluer le soin de la motivation, le tribunal s’aligne sur la célèbre affaier Danone.
Selon l’ordonnance rendue le 8 juillet 2002, l’usage des signes protégés est de nature à créer un « risque de confusion dans l’esprit du public » et ne se justifie pas au regard des finalités informatives du site. Pour le président du tribunal, l’utilisation des marques, qui évoquent incontestablement les produits et services de la société demanderesse pour l’ »internaute moyennement attentif », « ne participe pas exclusivement de la nécessité de communiquer les opinions de l’association et ses objectifs ».
Pour arriver à cette conclusion, le juge a d’abord écarté le droit de la propriété littéraire et artistique pour se replacer sur le droit des marques. La précision est importante car le droit des marques ne connaît pas, au contraire du droit d’auteur, l’exception de parodie ou de critique. Certains plaident pour son intégration par analogie, ou à tout le moins pour une mise en balance avec la liberté d’xpression, mais la jurisprudence reste très réservée. C’est donc sur le critère de la confusion que le juge rend sa décision.
Pour le juge, la volonté n’est pas uniquement di’nformer. A tout le moins, la reproduction de la marque n’est pas nécessaire à cette information : « l’appropriation opérée de la marque (…) ne participe pas exclusivement de la nécessité de communiquer les opinions de l’association, et ses objectifs« .
S’agissant de l’hébergeur, sa responsabilité ne pourrait être engagée que s’il ne prenait pas les mesures nécessaires pour empêcher l’accès au site au cas où Greenpeace ne respecterait pas elle-même l’injonction. Cette décision constitue une nouvelle application de la loi du 1er août 2000.
Commentaires
Greenpeace annonce déjà son intention de faire appel. Le débat est important car il met en balance la liberté d’expression et le droit exclusif du titulaire de la marque. La jurisprudence française semble s’affirmer pour considérer que l’appropriation de la marque est illicite si elle ne participe pas « exclusivement » de la nécessité de communiquer les opinions protégées par la liberté d’expression. Cette exclusivité serait en revanche appréciée moins sévèrement pour la dénomination sociale ou le discours oral.
Le juge du fond avait tranché de la manière le litige Danone en estimant que la bataille que livraient les syndicats contre la politique sociale de l’entreprise ne justifiait pas la déformation de la marque, car cette utilisitaion n’était pas nécessaire aux opinions exprimées.
Il faudra bien un jour que la Cour de cassation, ou mieux encore la Cour de Strasbourg, fixe les règles du jeu. A titre personnel, nous pensons qu’elle pourrait bien sanctionner l’appréciation actuelle des juges du fond.
Plus d’infos
En consultant la décision, en ligne sur le site de Greenpeace.