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Entre principe de précaution et défaut d’information, Monsanto est condamnée

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Pour la première fois, une cour d’appel a condamné la société Monsanto pour avoir manqué à son obligation d’information et de renseignement quant aux risques liés à un produit qu’elle fabrique, et aux précautions à prendre lors de l’emploi. C’est une première française – et européenne. L’arrêt relance le débat sur le principe de précaution.

Ce 10 septembre 2015, la cour d’appel de Lyon a rendu une décision historique. Une première. Tout en refusant de condamner Monsanto pour avoir mis sur le marché un produit dangereux, elle lui reproche – et la tient responsable des conséquences – une violation à son obligation d’information et de renseignement, omettant particulièrement de signaler les risques liés à l’inhalation du produit phytosanitaire qu’elle fabrique.

Les faits

Monsieur François est agriculteur.

Le 27 avril 2004, lors de l’ouverture d’une cuve de traitement sur un pulvérisateur autonome, il inhale les vapeurs d’un herbicide commercialisé par la société MONSANTO sous le nom de LASSO.

C’est herbicide a été retiré du marché le 28 avril 2007 compte tenu de ses effets cancérogènes.

Le malheureux agriculteur est hospitalisé en état d’intoxication aigue.

Malheureusement, cet épisode laisse des traces importantes sur la santé de Monsieur François. Il souffre depuis lors de violents malaises, de vertiges, de moments d’absence et de chutes avec perte de connaissance, notamment lors de trois crises importantes, dont l’une dix mois après l’exposition au cours de laquelle il avait expulsé dans ses urines deux pics importants de métabolites de l’alachlore, l’un des deux constituants de l’herbicide.

Monsieur François introduit divers procédures judiciaires.

Il obtient gain de cause en première instance, mais Monsanto fait appel.

L’arrêt d’appel a été rendu le 10 septembre 2015.

L’affaire connaît plusieurs volets, nous nous concentrons sur un seul visant plus spécifiquement la responsabilité du fabricant à l’égard d’un produit dangereux. Celles et ceux que l’affaire intéressent dans tous ses volets, liront l’arrêt que nous publions par ailleurs.

Pour la cour, il ne fait aucun doute que Monsieur François a inhalé accidentellement les vapeurs toxiques du LASSO. Elle se base sur un certain nombre d’éléments de fait pour tirer cette conclusion, notamment les rapports et notes des médecins lors de l’hospitalisation en urgence.

Il lui reste alors à analyser la responsabilité du fabricant.

La faute

C’est à la faute que la cour consacre ses premiers développements.

Pour la cour, le simple fait de mettre un produit dangereux sur le marché n’est pas en soi une faute : « Le tribunal a justement retenu que le fait de mettre un produit phytosanitaire dangereux sur le marché n’était pas en lui-même et en dehors de toute autre considération constitutif d’une faute, le fournisseur ayant reçu le 31 décembre 1968 pour le LASSO une autorisation à cette fin. »

La cour estime également que le fait de ne pas avoir retiré (plus rapidement) le produit du marché, n’est pas non plus en tant que tel constitutif de faute. C’est que le produit en cause a finalement été retiré du marché français en 2007, et plus vite encore dans d’autres pays. Cela ne suffit pas aux yeux de la cour : « L’intimé n’avance aucun élément de nature à établir que la société MONSANTO aurait manqué à son obligation de vigilance en ne retirant pas ce produit du marché. »

La faute est ailleurs. Elle réside dans l’étiquetage et les précautions qui doivent entourer la mise sur le marché et les instructions données aux utilisateurs.

Monsieur Paul FRANÇOIS soutient que les mentions figurant sur l’étiquetage et l’emballage du LASSO sont insuffisantes, d’une part, en ce que, contrairement à ce qui est prescrit à l’article 34 de l’arrêté du 6 septembre 1994 portant application du décret n° 94-359 du 5 mai 1994, la quantité de chlorobenzène présente dans le produit incriminé n’est pas précisée, d’autre part, en ce que ne sont pas signalés les risques liés à l’inhalation du produit ainsi que la nécessité de porter un appareil de protection respiratoire.

La Cour relève – comme le tribunal en première instance – que la fiche toxicologique du chlorobenzène ou mono chlorobenzène éditée en 1997 par l’INRS précise notamment que le chlorobenzène est rapidement absorbé par voie pulmonaire, que la voie respiratoire est la voie usuelle d’intoxication en milieu professionnel, que la toxicité sur l’homme peut être aigüe ou chronique, que l’inhalation prolongée de vapeurs peut être à l’origine de signes neurologiques (céphalées, somnolence, vertiges, paresthésies, troubles de la sensibilité), et qu’il est recommandé s’agissant de la manipulation d’éviter l’inhalation de vapeurs, de prévoir des appareils de protection respiratoire pour des travaux exceptionnels de courte durée et de ne jamais procéder à des travaux sur ou dans des cuves ou réservoirs contenant ou ayant contenu du chlorobenzène sans prendre les précautions d’usage.

Au vu de ces éléments, la Cour estime que : « c’est à bon droit que le tribunal a retenu que la société MONSANTO avait failli à son obligation d’information et de renseignement, omettant particulièrement de signaler les risques liés à l’inhalation de monochlorobenzéne présent en quantité importante dans le LASSO et de préconiser l’emploi d’un appareil de protection respiratoire, notamment pour le nettoyage des cuves, et a retenu que ce manquement contractuel à l’égard de la coopérative de Civray et Chives [NDR : le produit avait été acheté à l’intermédiaire de la coopérative puis utilisé par l’agriculteur] constituait une faute délictuelle à l’égard de Monsieur Paul FRANÇOIS. 

C’est également à juste titre qu’il a considéré que si Monsieur Paul FRANÇOIS avait reçu une formation professionnelle d’agriculteur, il ne possédait pas de connaissance particulière en matière de chimie, de sorte qu’il ne pouvait se voir reprocher d’avoir ignoré le danger, au demeurant non signalé, présenté par l’inhalation du LASSO. »

Le lien de causalité

La SAS MONSANTO alléguait qu’aucun lien de causalité ne peut être retenu entre le préjudice de Monsieur FRANÇOIS et les omissions fautives qui lui sont reprochées, observant que même si elle avait fait figurer sur les étiquetages de ses produits la quantité exacte de monochlorobenzène et une mention relative à la nécessité de porter un masque de protection respiratoire, l’accident serait néanmoins survenu, la victime ayant déclaré qu’elle pensait que la cuve était vide.

Pour la Cour, il est toutefois manifeste que « si l’attention de Monsieur Paul FRANÇOIS avait été plus spécialement attirée sur les risques graves pour la santé générés par l’inhalation du produit précédemment contenu dans la cuve, ce qu’il n’ignorait pas, il aurait nécessairement agi avec plus d’attention en prenant les précautions qui auraient dû précisément être recommandées sur l’étiquette ou le contenant du produit. »

Il s’ensuit que « Le lien de causalité entre le non-respect de l’obligation d’information et le préjudice est donc établi. »

Commentaires

Pour des questions propres aux faits de la cause et à la procédure, la cour ne se prononce pas sur le préjudice qui relève d’une autre juridiction.

Au-delà du défaut d’information, l’arrêt constitue par ailleurs une contribution importante au débat relatif au principe de précaution.

Certains observateurs estiment que le principe de précaution peut aller jusqu’à mettre en cause la responsabilité du fabricant qui met sur le marché un produit innovant potentiellement dangereux – et/ou l’y maintient.

La cour a refusé d’entrer dans ce raisonnement.

En ce qui concerne la mise sur le marché, elle a rejeté explicitement cette thèse, jugeant insuffisante, en termes de faute et de responsabilité, la seule mise sur le marché d’un produit dangereux.

Il est probable que la Cour a été influencée par le fait que ce type de produit requiert une autorisation de mise sur le marché (AMM), laquelle avait été obtenue. En matière de médicaments, ce serait le même raisonnement qui serait suivi puisque ces produits font aussi l’objet d’une AMM. Qu’en serait-il face à un produit qui ne fait pas l’objet d’une AMM ? L’arrêt ne permet pas de préjuger de la réponse qui aurait été donnée dans ce cas.

En ce qui concerne le retrait du marché, la cour a aussi rejeté cette thèse mais avec moins de conviction. Il nous semble que lorsque l’arrêt considère que « l’intimé n’avance aucun élément de nature à établir que la société MONSANTO aurait manqué à son obligation de vigilance en ne retirant pas ce produit du marché », il faut en réalité comprendre le message suivant : le fabricant qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché, supporte une obligation de vigilance devant l’amener à retirer celui-ci du marché s’il y a des éléments de nature à établir que l’absence de retrait est constitutive de faute.

On remarquera enfin l’absence d’attendus relatifs à la responsabilité du fabricant d’un produit défectueux. Ce n’est pas étonnant. On lit parfois des commentaires qui font l’amalgame entre un produit défectueux, et un produit dangereux. Les deux ne doivent pas être confondus. En l’espèce, le produit est dangereux, mais pas défectueux en ce sens qu’il fonctionne tel que prévu. Le problème vient précisément du fait que ce fonctionnement, normal, entraîne des dangers qui nécessitent une information préalable renforcée. Dans l’arrêt commenté, c’est bien cela qui a été reproché au fabricant, et non la dangerosité intrinsèque de son produit.

À notre connaissance, cette décision est une première en France, et peut-être même en Europe. Il n’y a apparemment pas de précédent dans lequel un fabricant de produits phytosanitaires – et de façon générale le fabricant d’un produit chimique – a été condamné pour défaut de précaution dans les instructions données aux utilisateurs finaux.

Comme chaque fois, cette décision va ouvrir des portes. Il y en aura donc d’autres. Grâce à cette affaire, on saura donc, dans le futur, de façon plus précise ce que les juges pensent exactement du très controversé principe de précaution.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon

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