En autorisant le travail de nuit pour l’e-commerce, la Belgique veut devenir un leader européen
Publié le 16/10/2016 par Etienne Wery
C’est un très joli cadeau que le gouvernement vient de faire au secteur du commerce électronique. La loi sur le travail de nuit va être réformée afin d’autoriser cette pratique, indispensable au succès du commerce électronique. De là à espérer attirer en Belgique des opérateurs Français, il n’y a qu’un pas.
L’importance du délai de livraison
Les études sont concordantes : un des critères importants des clients lorsqu’ils décident de recourir à un achat en ligne, est le délai de livraison.
Ce délai de livraison joue un rôle central aussi bien dans l’arbitrage que fait le client entre le commerce électronique et le commerce en brick and mortar, que dans le choix du site sur lequel il va acheter :
· Le client n’a pas toujours besoin d’obtenir ce qu’il achète dans la seconde. Parfois, il peut attendre 24 ou 48 heures. Le client va-t-il prendre sa voiture, aller en ville, se garer, faire ses courses, et revenir, pour acheter des dosettes de café sachant qu’il a encore un jour ou deux de réserve ? Si ce client reçoit d’un site de commerce électronique la garantie d’être livré le lendemain, il est probable qu’il privilégiera le commerce en ligne.
· Au sein de deux sites de commerce électronique qui offrent une prestation et un prix similaires (ou proches), le client va souvent privilégier la livraison la plus rapide.
Dans certains secteurs, par exemple la pharmacie en ligne, ce délai est encore plus important car il y a une sorte de présomption d’urgence.
C’est ce qui explique que les sites de commerce électronique insistent autant sur la qualité de la livraison. On l’oublie souvent, mais ce métier est en bonne partie un métier de logisticien. Assurer la prise de commande, le traitement et la livraison en 24 heures, est une véritable gageure.
L’enjeu derrière le travail de nuit
Le travail de nuit est indissociable de la question du délai de livraison.
Dans les métiers de la presse, tout le monde sait (ou l’a vu au cinéma) qu’il y une heure de « cut » : c’est le délai ultime pour pouvoir insérer un article dans le journal qui doit être dans tous les kiosques le lendemain matin. Reporter l’heure de cut est un enjeu stratégique.
Il en va de même pour le commerce électronique. Il y a une heure limite à partir de laquelle il n’est plus possible de traiter une commande en vue de sa livraison le lendemain. Chez certains c’est midi, chez d’autres c’est 16 heures voire plus en cas d’urgence.
Pour reporter autant que possible l’heure du cut, le travail de nuit est fondamental.
Si l’on peut s’assurer de la présence de personnel dans le centre logistique pendant la nuit, cela permet d’accepter des commandes jusque relativement tard, de les traiter et de déposer le colis au centre postal ou de messagerie pour livraison le lendemain. C’est ce qui permet à certains, parfaitement organisés, d’accepter des commandes jusqu’à 20 ou 21 heures et de les livrer le lendemain dans la matinée.
L’enjeu n’est pas mince, par exemple pour les sites qui s’adressent au consommateur qui rentre chez lui et commande à moment-là après sa journée de travail.
La législation actuelle
En principe, le travail est interdit la nuit entre 20 heures et 6 heures du matin. Des dérogations sont prévues. Elles s’appliquent de la même manière aux travailleurs masculins ou féminins de plus de 18 ans.
Travailler la nuit est autorisé si la nature des travaux ou de l’activité le justifie, notamment : dans les hôtels ; dans les entreprises de spectacles et de jeux publics ; dans les entreprises de journaux ; dans les établissements dispensant des soins de santé ; dans les pharmacies ; pour l’exécution de travaux agricoles ; dans les boulangeries et pâtisseries artisanales ; dans les maisons d’éducation et d’hébergement.
Pour le reste, s’il est nécessaire de travailler la nuit, l’entreprise devra obtenir l’accord de la délégation syndicale.
Même si le personnel est d’accord – voire souhaite – travailler plus tard, le cadre juridique actuel impose de faire intervenir la délégation syndicale qui doit d’une part marquer son accord de principe sur le travail de lui, et d’autre part consentir aux modalités de mise en œuvre du travail de nuit. La France connaît le même genre de régime comme la démontré il y a deux ans la triste procédure judiciaire du Sephora situé sur les Champs-Élysées.
Autant dire que les syndicats sont difficiles à convaincre. Et lorsque la direction arrive à les convaincre, ils ont tendance à monnayer chèrement leur accord.
Il y a bien eu une tentative d’aboutir à une réglementation sectorielle pour le commerce en ligne, mais ce fut un échec.
La législation modifiée
Le ministre libéral De Croo (responsable notamment de l’agenda numérique) n’a jamais caché sa volonté de modifier le cadre légal, jugé trop restrictif surtout par comparaison au travail de nuit tel qu’il est déjà organisé dans certains pays limitrophes. Par exemple, la Hollande autorise le travail de nuit dans le secteur du commerce électronique, depuis très longtemps.
Le gouvernement a décidé de passer aux actes. La loi va être modifiée.
Le gouvernement va reprendre à son compte une proposition de loi existante, qui supprime pour le secteur du commerce électronique, l’obligation d’obtenir l’accord des syndicats et de discuter avec eux des modalités de mise en œuvre.
L’enjeu économique
Derrière cette volonté politique, il y a évidemment l’envie de soutenir un secteur en pleine croissance, soumis on l’a vu à une rude concurrence venant des pays limitrophes dans lesquels le travail de nuit est déjà autorisé.
Il y a aussi l’espoir, grâce à la croissance attendue dans le commerce électronique, d’augmenter les recettes fiscales liées à l’impôt des sociétés.
Il y a enfin, même si ce n’est pas dit, l’envie d’attirer en Belgique un certain nombre d’opérateurs étrangers, notamment Français. La Belgique, idéalement situé au centre de l’Europe, a investi depuis de très nombreuses années dans une infrastructure logistique hors-pair. On ne compte plus les centres logistique qui y sont établis. Grâce à l’autorisation du travail de nuit dans le secteur du commerce électronique, le gouvernement espère secrètement inciter de gros opérateurs Français à délocaliser leurs activités.