EIRL et Statut d’Entrepreneur Individuel
Publié le 12/09/2010 par murielle cahen
Le secteur de l’innovation n’est pas composé que de gros groupes, loin s’en faut. L’innovation est aussi le fait de centaines de micro entreprises et de personnes physiques qui ont une idée et tentent de la mettre en oeuvre, avec les risques y associés. D’où l’importance de la loi du 15 juin 2010 qui introduit l’EIRL en droit français, vise avant tout à protéger les biens non professionnels de l’entrepreneur des poursuites des créanciers liés à l’activité professionnelle. Le besoin de cette protection est aujourd’hui accentué par la multiplication des entreprises individuelles induite par la création de l’auto-entrepreneur par la LME du 4 août 2008.
L’adoption de la loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) a pris moins de six mois. La loi nouvelle a fait l’objet d’un passage devant le Conseil constitutionnel (Cons. const., déc. 10 juin 2010, n° 2010-607 DC), qui l’a amputée d’un certain nombre de cavaliers législatifs, dont le lien avec l’EIRL pouvait se défendre pour certains d’entre eux.
La loi nouvelle elle consacre ainsi pleinement le principe d’un patrimoine d’affectation, en fractionnant le patrimoine de l’entrepreneur individuel, sans pour autant recourir à la création d’une personne morale nouvelle. L’idée de permettre à l’entrepreneur individuel de séparer son actif et son passif professionnel du reste de son patrimoine est particulièrement intéressante car elle conduit à la dissociation de l’entreprise et de l’entrepreneur.
Le dispositif mis en place n’est cependant pas encore complet. Des dispositions réglementaires sont attendues. Surtout, le Gouvernement devra adapter, par voie d’ordonnance, les dispositions relatives aux difficultés des entreprises avant fin 2010.
Il conviendra donc d’abord d’exposer le nouveau statut juridique de l’entrepreneur individuel (1), puis de décrire le fonctionnement de son patrimoine d’affectation (2).
1. Vers la création d’un statut juridique de l’entrepreneur individuel
Le sigle « EIRL » signifient « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée ». Par conséquent, l’EIRL désigne une personne physique, un entrepreneur individuel. En effet, l’article 2 de la loi du 15 juin 2010 évoque « l’entreprise individuelle à responsabilité limitée ». Alors EIRL, entrepreneur ou entreprise ? Il faudrait privilégier la première solution.
L’EIRL n’est pas une nouvelle forme juridique pour l’entrepreneur individuel, car EIRL ou non, l’exploitation est toujours réalisée en nom propre, sans le relais d’une société. Néanmoins, il existe un risque de requalification de l’EIRL en personne morale par le juge.
Aussi, l’EIRL, qui désigne l’entrepreneur et non formellement l’entreprise, est une institution juridique destinée à « tout entrepreneur individuel ». On peut considérer que si la nouvelle loi ne définit pas ce qu’est l’entrepreneur individuel, c’est parce que cela va de soi. Serait concernée toute personne physique qui se livre à une activité d’entreprise (commerciale, agricole, artisanale, libérale) sans recourir à une structure dotée de la personnalité morale ou à une organisation non personnifiée, qui ferait de l’entrepreneur individuel un entrepreneur « collectif ». Une question sensible subsiste néanmoins, qui est celle de la nécessité de l’exercice à titre professionnel de cette activité d’entreprise. Si c’est une « activité professionnelle » qui est exercée par l’EIRL, l’auto-entrepreneur est-il concerné ? La question reste ouverte.
Il faut noter qu’en admettant que l’EIRL ne soit pas une personne morale, il n’est pas inutile de se demander si cette forme sociétale rencontrera le succès escompté. Sans que l’on puisse aller jusqu’à dire que la société unipersonnelle (SASU) est un échec, il apparaît que le nombre d’entrepreneurs individuels est très élevé, alors pourtant que les conditions de constitution et de fonctionnement d’une EURL ou d’une SASU sont aujourd’hui peu contraignantes. Dès lors, n’est-ce pas un pari trop audacieux que de mettre à disposition des entrepreneurs individuels une organisation juridique supplémentaire, s’appréhendant moins facilement encore que la société unipersonnelle ?
Enfin, le dispositif EIRL concerne aussi biens les commerçants que les artisans, ainsi que toute profession exercée en nom propre. Ne serait-il alors pas possible d’envisager une autre législation, plus large, relative à l’entreprise individuelle commerciale et artisanale ?
2. Le fonctionnement du patrimoine de l’EIRL
« Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ». Telle est la nouvelle règle énoncée à l’article 1er de l’article L. 526-6 du Code de commerce issu de la loi du 15 juin 2010.
Si l’institution de l’EIRL donne naissance à un patrimoine affecté, ou distinct, l’entrepreneur individuel est donc une personne physique placée à la tête de deux patrimoines, voire plus lorsque la possibilité en aura été ouverte, à compter du 1 janvier 2013. L’objectif premier de l’institution de l’EIRL était véritablement de soustraire une partie des biens de l’entrepreneur individuel aux poursuites de ses créanciers.
Le patrimoine affecté est doté d’un contenu minimum et obligatoire. Il est en effet « composé de l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle » (C. com., art. L. 526-6, al. 3). Au-delà de ce minimum, l’entrepreneur individuel peut décider d’affecter au patrimoine professionnel créé par la loi les biens, droits, obligations ou sûretés dont il est titulaire et qui sont utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle, sans toutefois être nécessaires à cette activité. Certains biens seront donc nécessairement inclus dans le patrimoine affecté tandis que d’autres ne le seront que par choix.
Il faudra tout de même s’interroger sur l’impossibilité que des patrimoines affectés soient tenus simultanément d’une même dette, puisqu’une obligation ne peut entrer dans la composition de plusieurs patrimoines affectés.
A cet égard, en cas d’impossibilité pour les créanciers de se satisfaire sur l’un des patrimoines de l’EIRL. la loi nouvelle ne prévoit rien, mis à part que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de sa publication, les dispositions nécessaires pour adapter au patrimoine affecté de l’EIRL les dispositions du Livre VI du Code de commerce relatives aux difficultés des entreprises.
La composition du patrimoine affecté fait par ailleurs l’objet d’un certain nombre de règles contraignantes, pour protéger les intérêts des créanciers de l’EIRL (dépôt de la déclaration constitutive d’état du patrimoine, évaluation des biens affectés, etc.).
Aussi, le patrimoine affecté, pourra être repris par les héritiers, ou pourra faire l’objet d’une cession à titre onéreux ou gratuit, voire même servir d’apport à une société.
La doctrine s’interroge encore sur la nature de ce patrimoine. Et tel qu’il est envisagé par la loi du 15 juin 2010, il semblera difficile d’apporter une réponse suffisante. Il conviendra donc d’attendre la publication des textes d’application d’ici fin 2010 pour se prononcer.