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Egypte : condamnation de Hosni Moubarak pour avoir coupé l’accès à internet

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En janvier 2011, face à la pression de la rue, le régime égyptien coupait l’internet et la téléphonie mobile. Une mesure sans précédent qui ne laisse pas de doute sur la détermination du pouvoir mais qui pose question sur le plan des libertés individuelles. La justice a rendu son verdict mais l’avenir d’un internet non censuré reste toujours hypothéqué. D’autant que l’Egypte a fait quelques émules.

L’internet, reporter de guerre


Tous les gouvernements le savent : lorsque l’ordre vacille dans un pays, l’internet joue souvent le rôle de vitrine du monde. Iran, Irak, Chine, etc. Tous ces pays ont un jour été confronté à la puissance de l’internet.
Avec un simple téléphone muni d’une caméra, une étudiante iranienne a plus fait pour son pays que cinquante édito d’un grand journal américain. Il lui a suffit de filmer la répression policière et de « balancer » le scoop sur l’internet pour que le monde entier s’offusque.
Plus récemment, la Tunisie a connu le même phénomène. Les médias internationaux s’approvisionnaient en nouvelles sur twitter et facebook.


Aujourd’hui, avec l’internet, le monde est potentiellement peuplé de plusieurs milliards de reporters de guerre.


Les TIC, outil de contestation


Lors d’un conflit civil, l’internet (et de façon plus générale les TIC) est aussi un outil utilisé par la rue pour s’organiser contre un régime supposé organisé. Quand la police utilise des radios cryptées, les manifestants s’envoient des courriels et textos pour organiser la résistance.
L’internet, créé pour que l’information circule à tout prix.
Avant d’être ce que l’on connait aujourd’hui, l’Internet était un projet militaire connu sous le nom d’arpanet.
Le cahier des charges était simple : la défense américaine voulait mettre en place un réseau de communication américain selon une architecture "répartie", c’est à dire qu’il ne devait pas y avoir de centre névralgique qui pourrait être détruit par une attaque nucléaire des soviétiques. Telle était la terreur des militaires : que la destruction du serveur névralgique coupe les troupes de leur centre de commandement.


L’architecture répartie devait solutionner ce problème, tout comme la commutation par paquets : au lieu de transmettre un document en une fois, la technique consiste à envoyer ce même document en plusieurs petits paquets autonomes. Chacun suit son propre chemin, et tous les paquets sont recoupés à l’arrivée pour reconstituer le document de départ.
Ce sont donc des raisons historiques qui font qu’il est tellement difficile de brider l’information sur l’internet.


Le contrôle de l’internet, rêve des autorités


Pour contrôler le net, il n’y a pas trente six solutions.


La première, que l’on mentionne pour la forme : la destruction simultanée des six ou sept centres informatiques névralgiques mondiaux comprenant notamment les serveurs DNS principaux du système. Ce n’est pas simple (c’est un euphémisme) car les dits serveurs sont en principe secrets et parait-il plutôt bien gardés. Mais sur un plan théorique, les observateurs affirment que cela est possible.


La seconde, utilisée (selon la rumeur) en partie par la Chine : la création d’un goulet d’étranglement entre le réseau ternational et son branchement sur le réseau mondial, afin de pouvoir contrôler tout ce qui entre et ce qui sort. Il est vrai que si tout passe par un goulet, le contrôle à ce niveau est relativement efficace. Faiblesse du système : il ne permet pas aussi efficacement de contrôler ce qui se passe sur le réseau national.


La troisième : le filtrage. Technique bien connue et relativement simple à mettre en œuvre, elle n’assure pas une étanchéité parfaite mais présente un rapport coût/efficacité/rapidité plus qu’honorable. Elle est pratiquée couramment, parfois même en toute légalité lorsqu’elle est ordonnée par un juge pour lutter contre des contenus illégaux. Utilisée à d’autres fins par un régime contesté, la mesure fait évidemment désordre.

La quatrième voie est celle retenue en Egypte. Il suffit de couper l’accès internet sur tout le territoire.


La coupure Egyptienne – Services internet et réseaux mobiles


C’était une première dans l’histoire d’Internet. Le 28 janvier 2011, en pleines manifestations populaires menées à l’encontre du régime en place, les dirigeants Egyptiens prenaient la mesure drastique de couper totalement l’accès internet et le réseau de téléphonie mobile sur leur territoire.


Ils avaient optés – dans une perspective à peine dissimulée de museler l’opposition et de la désorganiser dans ses rassemblements et appels à manifestations via le net et le réseau mobile- , d’enjoindre :
– aux quatre principaux fournisseurs d’accès à internet du pays de fermer leurs services ( une mesure rapide et efficace, d’autant plus simple quand la loi l’autorise et/ou quand il y a peu d’acteurs -ici : uniquement quatre) et ;
– aux trois opérateurs de téléphonie mobile de faire de même avec leurs réseaux pour empêcher l’usage des mobiles, et surtout des caméras, ou l’alimentation comptes twitter et facebook.
Le pays avait donc été plongé dans un black out inédit rompant les canaux de communication majeurs de la population égyptienne et les calfeutrant dans un certain mutisme vis-à-vis de l’extérieur.


La mesure de coupure de l’internet était en ce sens singulière puisqu’elle visait la population locale : le monde entier continuait à parler de l’Egypte, mais les égyptiens ne le savaient pas et ne participaient pas au débat. Il s’agissait donc d’empêcher les informations de sortir et entrer, mais pas d’empêcher l’information de circuler dans le reste du monde. Familièrement dit, c’est un doigt d’honneur virtuel à la communauté internationale : « je me fiche de ce que vous dites sur moi du moment que personne ici ne le sait ».


Bien entendu, une telle mesure posait problème sur le plan des libertés individuelles mais cela n’était en principe pas ce qui tracassait le plus les autorités confrontées à des soucis plus immédiats.


La condamnation à une amende de 63,5 millions d’euros


On apprend ce samedi 28 mai, que l’ancien président Hosni Moubarak, son ancien premier ministre et ministre de l’intérieur ont été condamnés pour ces faits à une amende totale de 540 millions de livres égyptiennes (63,5 millions d’euros). Il leur est substantiellement reprochés d’avoir « porté préjudice à l’économie nationale ». (1)


Selon le politologue Nabil Abdel Fattah, cette condamnation se présente comme « un tournant pour certaines entités égyptiennes qui vivent toujours dans une culture autoritaire concernant le traitement des services de communication et des libertés qu’ils offrent ». (2)

D’autres, tels les jeunes révolutionnaires du 25 janvier, en nuancent toutefois la portée et craignent que cette condamnation ne soit que « de la poudre aux yeux » visant à absorber leur mécontentement face à la lenteur de la justice. Des parents de victimes l’estiment également insignifiante : « l’amende ne représentant même pas 1% de l’argent que Moubarak a détourné ». (3)

D’après l’OCDE, l’impact de cette coupure est significatif et pourrait à long terme être encore plus important: « les services bloqués par la coupure comptent pour 3 à 4 % du PIB égyptien, soit une perte de 18 millions de dollars [13 millions d’euros] par jour. (…) Son impact pourrait être supérieur alors que les entreprises coupées du réseau domestique et international produisent des services à destination du reste du monde.» Elle ajoute en outre qu’ « il sera dorénavant beaucoup plus difficile pour l’Egypte d’attirer ce type d’entreprises et leur garantir un accès sans faille au réseau » alors que « jusqu’ici, attirer ces sociétés a été une stratégie clé du gouvernement égyptien »

Il s’agit de la première condamnation pour Hosni Moubarak qui, déchu depuis le 11 février 2011, doit encore répondre d’accusations plus graves, consécutives à l’ordre qu’il avait donné, de tuer des manifestants. Il est enfin empêtré dans des affaires de corruption. Beaucoup réclament la potence.

Une première ?

Cette coupure d’accès à internet en Egypte fut une première de par son ampleur. En 24 heures, 97 % du trafic internet égyptien disparaissait. Le black out dura 5 jours.

Mais d’autres pays s’y étaient essayés tels que la Birmanie en 2007 ou l’Iran, en 2009, également lors de révoltes populaires mais cette fois, de façon plus temporaire et ciblée.

La Tunisie, aussi, avait manipulé internet mais sans coupure. Des routes spécifiques avaient été bloquées.

A plusieurs reprises, l’Afghanistan a, pour sa part opté pour le blocage des réseaux mobiles dans la province méridionale du Helmand, sur ordre des talibans. En mars 2011, les opérateurs de téléphonie mobile se sont notamment vus contraints de suivre ces ordres sous la menace de voir leurs installations attaquées. Ces coupures ont principalement eu lieu pendant la nuit, lorsque les troupes internationales menaient de nombreuses opérations contre les rebelles.

Enfin, à une échelle plus limitée mais pas moins critiquable, on sait que la Chine est réputée pour sa censure de certains sites internet et plus récemment de comptes de messagerie Gmail. On dit qu’elle a mis sur pied « une grande muraille informatique » qui censure les sujets sensibles pour les autorités tels que les droits humain ou les critiques du régime communistes. Elle a déjà en outre bloqué les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) ou You Tube et Dailymotion.(4)

Des émules ?

Avec son black out du pays, l’Egypte a aussi fait des émules, notamment en Libye. Confrontée à une crise politique similaire, le pays a décidé, en février durant les nuits puis en mars de cette année, de suspendre l’internet. Cette coupure de quatre jours a été facilitée ici, pour la simple raison que le fils du dirigeant Khadafi est à la tête du principal fournisseur d’accès internet et est président de l’organisme libyen des télécommunications. Toutefois, à la différence de l’Egypte, les serveurs n’ont pas été mis hors ligne par les FAI mis sous pression. Les serveurs sont restés fonctionnels en apparence mais c’est le trafic qui a disparu, en aval. Ainsi, à la requête d’un internaute, ces serveurs répondaient, les routes étaient ouvertes mais par contre, il n’y avait juste plus de trafic.

La Syrie a aussi, sur fond de crises, suivi le pas. Le 3 juin dernier le gouvernement syrien décidait en effet de couper les réseaux internet pour 24 heures, alors qu’un manifestation était prévue le jour même. Il s’agit d’une première pour ce pays qui auparavant, s’était limité à des coupures ciblées et limitées. Il semblerait que durant ce black out, seuls les sites gouvernementaux n’aient été rendus accessibles sans toutefois être à l’abri de lenteurs ou plantages.

Le « kill switch »

Pour en revenir à l’Egypte, à la différence d’autres pays dans lesquels il suffit pour le gouvernement d’appuyer sur un bouton pour tout couper, elle a du recourir à une pression importante sur les fournisseurs d’accès à internet.

Or, d’après Jérémie Zimmerman (Quadrature du Net) : « A partir du moment où le gouvernement a la main sur les opérateurs pour filtrer, on peut considérer que c’est beaucoup plus facile pour lui d’ordonner la coupure totale »

Cette possibilité d’appuyer sur un bouton pour arrêter tout ou partie de l’Internet a été notamment consacrée en juin 2010 dans un projet de loi « Lieberman » – « Protecting Cyberspace as a National Asset Act of 2010 » – du Sénat américain, familièrement connu sous le nom : « The Internet Kill Switch Bill ». Il donnerait au président le pouvoir de prendre en urgence le contrôle de l’internet ou de le couper dans son entièreté ou par portions. Les opérateurs (fournisseurs de larges bande, moteurs de recherche) seraient tenus de se conformer à cette mesure sous peine de condamnation à des amendes. Cela supposerait la création d’un Centre National pour la Cybersécurité et les Communications (CNCE) qui serait institué à l’intérieur du Homeland Security. Il permettrait au Gouvernement fédéral de « préserver les réseaux et les actifs [du] pays et de protéger [le] peuple. » L’auteur du texte (Joe Lieberman) insiste en effet sur le fait, que pour l’ensemble de son « allure conviviale, l’Internet peut aussi être un endroit dangereux avec des pipelines électroniques qui s’exécutent directement partout, de nos comptes bancaires personnels aux infrastructures clés comme le gouvernement et les secrets industriels » (…) « Notre sécurité économique, sécurité nationale et la sécurité publique sont maintenant tous à risque face à de nouveaux types d’ennemis- cyberguerriers, cyberespions, cyberterroristes et cybercriminels ».

Ce projet a été approuvé par le Sénat en décembre 2010 mais a expiré avec le nouveau Congrès. Fait du hasard ou pas, il a été redéposé le même jour que la coupure Egyptienne sous l’appellation « Cybersecurity and Internet Freedom Act of 2011 ». Mis à part son titre aux abords plus conciliants, le projet reste substantiellement le même. Il permet toujours à la Maison Blanche de déclarer un état de «cyber emergency » qui autoriserait alors à certaines autorités de donner des ‘directives’ à des opérateurs internet, lesquels seraient sommés de s’y contraindre, le tout au nom de la menace à la sécurité nationale.

Il n’est aucun doute qu’une telle initiative fera encore beaucoup parler d’elle. Elle est en outre loin de rassembler l’unanimité aux Etats Unis.


Commentaires


Est-ce que la coupure de l’internet est une mesure imparable ? Il faut l’admettre, la mesure est efficace. Elle prive l’opposition d’une partie importante de ses moyens, et la contraint à l’improvisation. Plusieurs observateurs comparent cela à un pays envahi qui fait sauter tous ses ponts et détruit ses autoroutes pour empêcher l’avancée de l’ennemi.


La mesure n’est toutefois pas imparable ni absolument étanche, car les lignes fixes fonctionnent toujours, tout comme les satellites.
Il est donc possible d’appeler des correspondants et de leur parler.
Par ailleurs, certains fournisseurs français avaient proposé aux égyptiens de se connecter en France avec un bon vieux modem, via une ligne fixe. L’accès était gratuit, sauf que la communication internationale devait être payée par l’abonné égyptien. Google avait aussi pris l’initiative de permettre aux égyptiens d’utiliser twitter depuis un téléphone traditionnel


Quant à l’efficacité politique de la mesure ? On a pu constater qu’elle a eu différents impacts politiques mais aussi économiques.
Outre l’émoi suscité en Egypte et dans le monde entier devant une telle mesure, elle n’a en tout cas pas empêché la déchéance, le 11 février 2011, du Président Moubarak de son poste à la tête du pays et sa condamnation récente, le 28 mai 2011, à une amende salée pour avoir, par ces coupures, porté atteinte à l’économie nationale.
Même si, pour certains, cette amende de 63 millions euros peut paraitre encore bien faible par rapport à l’ampleur du préjudice que la suspension forcée de l’internet et des réseaux mobiles ont causé, causent et vont encore causer pour le pays, on peut toutefois saluer cette décision de justice, qui fondamentalement, condamne purement et simplement cette initiative de l’ancien leader Egyptien.

L’internet est un puissant outil démocratique véhiculant l’information. Sa censure pour autant qu’une telle mesure soit reconnue doit être considérée comme ultime et doit être proportionnée, en vertu de sa gravité et de ses impacts à l’échelle d’un pays. Elle ne peut s’accommoder d’une simple décision unilatérale, arbitraire du pouvoir en place.


L’Egypte a inspiré d’autres pays comme la Syrie et la Libye. Reste donc à voir quel sera l’aboutissement d’une telle mesure dans ces pays, toujours en proie à une contestation populaire grandissante.

(1) X, « M.Moubarak condamné pour avoir suspendu Internet en janvier », article Le Monde du 30 mai 2011
(2) Henry H., « Egypte : Moubarak condamné pour avoir coupé internet », article du 31 mai 2011 disponible à l’Url : http://www.generation-nt.com/egypte-hosni-moubarak-condamnation-coupure-internet-actualite-1210881.html
(3) X, « Egypte : première condamnation pour Hosni Moubarak »,article RFI du 29 mai 2011
(4) X, « Google accuse la Chine de bloquer sa messagerie, Gmail », article Le Monde du 21 mars 2011

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