Eclaircissements sur la gestion des noms de domaine en .fr (décret du 1er août 2011)
Publié le 02/10/2011 par Matthieu Bourgeois
Le décret adopté le 1er août dernier apporte enfin les précisions tant attendues en définissant les notions d’« intérêt légitime » et de « bonne foi », sur lesquelles l’AFNIC doit désormais se fonder pour apprécier – et éventuellement refuser – des demandes d’enregistrement de noms de domaine qui porteraient atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, ou qui comprendraient un terme identique ou apparenté à celui de la République Française ou d’une collectivité territoriale.
Le contexte
Ce décret complète le nouveau dispositif légal mis en place par la loi n°2011-302 du 22 mars 2011 (en vigueur depuis le 30 juin 2011), qui encadre de manière plus précise qu’auparavant les pouvoirs de l’AFNIC, à la suite d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6 octobre 2010. Les Sages avaient jugé contraire à la constitution les anciennes dispositions légales à la matière qui laissaient à l’AFNIC une latitude excessive pour fixer les règles d’attribution et de gestion des noms de domaine (portant atteinte notamment à la liberté de communication ainsi qu’à la liberté d’entreprendre).
En application de cette nouvelle loi, l’AFNIC peut désormais refuser à l’enregistrement ou au renouvellement un nom de domaine qui serait « susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité » ainsi qu’un nom de domaine qui serait « identique ou apparenté à celui de la République Française, d’une collectivité territoriale », sauf si le demandeur « justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi. »
L’adverbe « et » confirme que les demandeurs d’un nom de domaine susceptible d’attenter à un droit de propriété intellectuelle ou de la personnalité devront démontrer de manière cumulative, à la fois l’existence d’un « intérêt légitime », mais également leur « bonne foi ».
Les précisions du décret
Ce sont ces deux notions d’« intérêt légitime » et de « bonne foi » que définit ce décret du 1er août 2011.
1/- S’agissant de la première notion, l’article R.20-44-43 du Code des postes et communications électroniques instauré par ce décret la définit comme « notamment (…) le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :
- d’utiliser ce nom de domaine ou un nom identique ou apparenté, dans le cadre d’une offre de biens ou de services, ou de pouvoir démontrer qu’il s’y est préparé ;
- d’être connu sous un nom identique ou apparenté à ce nom de domaine, même en l’absence de droits reconnus sur ce nom ;
- de faire un usage non commercial du nom de domaine ou d’un nom apparenté sans l’intention de tromper le consommateur ou de nuire à la réputation d’un nom sur lequel est reconnu ou établi un droit ».
Tout d’abord, on relèvera l’emploi de l’adverbe « notamment » qui donne un caractère non limitatif à cette liste. Il est donc possible, pour un demandeur ou titulaire de nom de domaine, d’invoquer et démontrer l’existence d’un motif légitime qui ne serait pas visé expressément dans cette liste. Cette observation est également valable concernant la notion de « bonne foi », exposée plus loin.
Ensuite, on peut s’étonner que cette définition n’exige pas, comme condition inhérente à l’existence d’un « motif légitime », que les biens ou services soient « distincts » et dénués de « risque de confusion » avec ceux proposés ou commercialisés par le titulaire du droit de propriété intellectuelle auquel le nom de domaine est susceptible de porter atteinte, ni ne fasse référence à la notion d’« antériorité ».
En effet, les conflits entre un nom de domaine et un droit de propriété intellectuelle concernent principalement les marques, pour lesquelles la contrefaçon s’apprécie principalement au regard de la similitude des produits et services (et du risque de confusion qu’engendre une telle similitude auprès des consommateurs d’attention moyenne), ainsi qu’au regard de la règle d’antériorité (selon laquelle un nom de domaine enregistré antérieurement à une marque est, en principe, susceptible de détruire la validité de celle-ci).
En s’abstenant de telles références, le législateur a très certainement voulu éviter de donner à l’AFNIC un pouvoir d’appréciation trop important en cas de conflit survenant entre un nom de domaine et une marque, qui relève des tribunaux de droit commun.
2/- Ce décret donne également une définition négative de la notion de « bonne foi », en définissant son opposé, c’est-à-dire la « mauvaise foi ». Ainsi, ce texte définit la mauvaise foi comme « notamment (…) le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :
- d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement de ce nom principalement en vue de le vendre, de le louer ou de le transférer de quelque manière que ce soit à un organisme public, à une collectivité locale ou au titulaire d’un nom identique ou apparenté sur lequel un droit est reconnu et non pour l’exploiter effectivement ;
- d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de nuire à la réputation du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté ou à celle d’un produit ou service assimilé à ce nom dans l’esprit d’un consommateur;
- d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de profiter de la renommée du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou de celle d’un produit ou service assimilé à ce nom, en créant une confusion dans l’esprit du consommateur ».
Si les deux premiers cas donnés par cette définition visent des pratiques sanctionnées de manière constante par les tribunaux et dénommées par les praticiens sous les termes de « cybersquatting » (réservation de noms de domaine constitués d’une marque appartenant à un tiers afin de contraindre celui-ci à le racheter à un prix souvent exorbitant), ou de « typosquatting » (variante du cybersquatting consistant à enregistrer un nom de domaine constitué d’une marque comportant une faute d’orthographe usuelle et permettant de détourner du trafic), le troisième cas concerne une hypothèse plus large qui vise celle de l’utilisation de noms de domaine pour commercialiser des produits et services identiques ou similaires à ceux protégés par une marque.
Il est permis de s’interroger sur les termes employés par cette définition, notamment l’emploi de la formule « produit ou service assimilé » qui diffère de celle de « produits ou services similaires » résultant du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, la référence à la notion de « confusion dans l’esprit du consommateur », mentionnée par ce décret, devrait rassurer les praticiens sur la cohérence de ce texte avec le droit positif.
Avec ce décret, les droits des tiers (en particulier les droits de propriété intellectuelle et les droits de la personnalité) bénéficient désormais d’un cadre juridique qui assure leur protection à l’encontre des demandeurs ou titulaires de noms de domaine malveillants. Il conviendra désormais d’être attentif aux décisions de refus que sera amenée à prendre l’AFNIC, ainsi qu’aux éventuels contentieux devant les juridictions du fond. Affaire à suivre donc……