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E-governement : entre modernisation de la Fonction publique et 1984 de G. Orwell

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Comment paraître branché dans les cocktails mondains qui rassemblent les survivants de la nouvelle économie ? Y discourir savamment, un verre à la main, du A2B et A2C (soit, respectivement, Administration to Business et Administration to Citizens). Derrière ces acronymes à la mode se cache le phénomène de l’e-government, que l’on pourrait traduire par «…

Comment paraître branché dans les cocktails mondains qui rassemblent les survivants de la nouvelle économie ? Y discourir savamment, un verre à la main, du A2B et A2C (soit, respectivement, Administration to Business et Administration to Citizens).

Derrière ces acronymes à la mode se cache le phénomène de l’e-government, que l’on pourrait traduire par « administration électronique ». Ce terme regroupe l’ensemble des initiatives ayant pour but d’introduire et de généraliser l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les rapports que l’administration entretien avec ses clients (entreprises et citoyens). Loin d’être un vague projet perdu dans les limbes d’un agenda gouvernemental surchargé, l’e-government est une priorité dont les effets tangibles se sont déjà fait sentir à plusieurs reprises. Qu’on en juge par quelques initiatives importantes !

TVA électronique

Nom de code : « INTERVAT ». C’est sous ce nom barbare qu’a été baptisé le petit cadet de la famille déjà nombreuse de l’e-government. Depuis de ce 11 février 2002, ce système permet de remplir la déclaration mensuelle ou trimestrielle de TVA directement via l’internet. Il suffit de se connecter au site et d’y télécharger deux applets (aucune installation n’est nécessaire) gratuits. Le dépôt de la déclaration donne lieu à l’envoi d’une attestation de dépôt sous forme électronique, ce qui a nécessité une modification de l’article 53 octies § 3 du code TVA (les données électroniques enregistrées, conservées ou reproduites, ainsi que leur représentation sur un support lisible, ont dorénavant force probante pour l’application de la TVA). La déclaration est signée numériquement grâce à un certificat de classe 3, c’est-à-dire moyennant la vérification face à face de l’identité du titulaire. A l’heure actuelle, deux sociétés ont été autorisées à délivrer des certificats utilisables dans INTERVAT : E-Trust (Belgacom) et Globalsign. Le système a heureusement prévu un module de correction des erreurs et a modifié le système complexe des annexes dont le dépôt électronique était pour le moins malaisé.

Marchés publics électroniques

Les marchés publics représentent chaque année un enjeu économique formidable. Qu’il s’agisse de la construction d’une école, de l’acquisition de matériel de défense, du rééquipement informatique d’un département ou simplement de la fourniture du matériel de bureau des greffes, ce sont chaque année des sommes phénoménales qui sont octroyées dans le cadre de procédures ultra-réglementées et particulièrement lourdes. L’introduction des NTIC dans ces procédures est une telle évidence que la Commission européenne enfonce le clou chaque année depuis son Livre Vert de 1996 sur le sujet. Les avantages attendus sont nombreux : gain de temps dans la collecte et la transmission d’informations ; rapidité de la communication entre pouvoirs adjudicateurs et entrepreneurs ; diminution des risques d’erreurs ; gestion plus efficace des données innombrables que sécrètent les marchés publics ; abrègement des délais de paiement … sans parler de l’augmentation de la transparence et de la concurrence entre les soumissionnaires, qui justifient à elles seules que l’on s’intéresse au sujet.

La Belgique n’a pas encore adapté son cadre légal. C’est qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que la dématérialisation de la procédure confine à la recherche de la quadrature du cercle : les solutions techniques disponibles sont nombreuses et hautement évolutives là où la sécurité juridique et la transparence nécessitent malgré tout une grande stabilité. La France a quant à elle trouvé une solution provisoire en définissant des garanties et des finalités (concurrence, transparence, égalité des soumissionnaires, …) et en laissant la technique évoluer dans le cadre ainsi tracé.

Carte SIS et carte d’identité électronique

Dès novembre 2000, le conseil des ministres s’est penché sur la possibilité d’introduire une carte d’identité électronique. Le bébé dispose de plusieurs papas puisqu’il est le fruit des travaux conjoints du ministre de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, du ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations Publiques et du ministre de l’Economie et de la Recherche Scientifique …

Le but est d’accélérer l’échange de données entre les autorités et leurs clients, mais aussi entre les différentes autorités entre elles : pourquoi en effet donner plusieurs fois la même information à deux guichets séparés par quelques mètres ? La carte SIS de la sécurité sociale a été une première manifestation de ce souci. Non seulement il est dorénavant inutile de redonner chaque fois ses données, mais les services peuvent immédiatement vérifier l’assurabilité du patient et alléger ainsi le coût de la médecine au profit de l’ensemble de la société. La carte d’identité électronique est la prochaine étape, et devrait par exemple permettre de faire enregistrer son déménagement moyennant la simple lecture-réécriture de la puce électronique et, pourquoi pas, de prévenir du changement toutes les administrations et les contacts habituels (eau, gaz, électricité, etc.).

Dans les deux cas, la solution la plus simple et la plus efficace consiste à utiliser un seul identifiant, unique, par exemple le numéro de registre national. Cela ne manque pas de poser problème par rapport à l’interconnexion des fichiers et aux risques potentiels pour la vie privée (voir ci-après).

Initiatives de proximité

Enfin, et c’est peut être le plus important pour le citoyen, les localités peuvent tisser avec leurs administrés des liens plus étroits grâce aux NTIC : heures de consultation des hôpitaux et médecins de la commune, horaire et emplacement des gardes médicales, menu des repas servis par le CPAS avec un module de commande, demande de passage d’un assistant social ou d’un mandataire, demande de rendez-vous à heure fixe avec un fonctionnaire pour les personnes à mobilité réduite ou aux horaires surchargés, manifestations du prochain week-end, catalogue de la bibliothèque communale et réservation d’un ouvrage, surveillance et disponibilité des crèches, demande de collecte de déchets encombrants, etc. La liste est infinie.

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A côté de ses indéniables avantages, l’e-governement présente également des risques importants, notamment en terme d’exclusion sociale et de protection de la vie privée.

L’exclusion sociale des personnes non-connectées

Le succès de l’e-governement, et plus spécifiquement des initiatives de proximité, dépend notamment du taux de pénétration de l’informatique et de l’internet au sein de la population. On sait que la Belgique peine au niveau des utilisateurs privés mais les choses s’améliorent peu à peu, à tel point que certaines voix mettent à présent en garde contre le risque d’exclusion sociale des personnes non-connectées.

Le législateur européen s’en est ému et a adopté, le 7 mars 2002, le nouveau « package télécom », dont une directive concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »). Certes, les obligations de service universel semblent taillées sur mesure pour la téléphonie fixe, mais la directive prévoit néanmoins que toute demande raisonnable de raccordement doit être satisfaite par une entreprise au moins, et que le service offert doit au minimum permettre aux utilisateurs finals (sic) de donner et recevoir des appels téléphoniques locaux, nationaux et internationaux, des communications par télécopie et des communications de données, à des débits de données suffisants pour permettre un accès fonctionnel à Internet, compte tenu des technologies les plus couramment utilisées par la majorité des abonnés et de la faisabilité du point de vue technique.

Au niveau de la tarification, le texte précise que les Etats membres peuvent exiger des entreprises assumant des obligations de service universel qu’elles appliquent une tarification commune, y compris une péréquation géographique, sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des circonstances nationales, ou de respecter un encadrement des tarifs. En d’autres termes, l’Etat peut contraindre un opérateur à aligner ses tarifs pour éviter que l’offre de raccordement en zone rurale éloignée ne soit formulée à un prix tellement élevé qu’en pratique, cela mettrait à néant l’obligation de raccordement. En plus de cette péréquation ou d’autres mécanismes similaires, les Etats membres peuvent veiller à ce qu’une aide soit apportée aux consommateurs recensés comme ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques.

La protection de la vie privée

La protection de la vie privée est un autre grand enjeu. Les projets d’administration électronique entraînent en effet de multiples et délicats arbitrages entre les objectifs d’efficacité et de rationalité d’une part, et ceux de protection de la vie privée d’autre part.

Le risque est d’autant plus grand que les atteintes potentielles à la vie privée ne semblent pas avoir été pleinement appréhendées. Il est symptomatique de constater que ce risque ne figure pas parmi les treize lignes directrices dégagées début 2001 par la Commission de l’Intérieur et des Affaires Administratives du Sénat : (1) susciter des initiatives de la part des communes et des provinces, (2) désigner des responsa-bles informatiques, (3) créer des incitants pour promouvoir l’administration électro-nique, (4) investir dans le personnel et le matériel, (5) revaloriser le statut des infor-maticiens, (6) informer les citoyens, (7) faire appliquer la loi sur la signature électronique, (8) être attentif à la qualité du service offert, (9) généraliser le principe des trois niveaux administratifs [NDR : fédéral, provincial et local], (10) dresser une carte de tous les services publics en ligne, (11) développer l’interaction entre les différents sites Internet existants des autorités publiques, (12) se lancer dans une concertation pyramidale, (13) mettre à disposition des PC dans les communes.

On mesure l’ampleur du vide en comparant la situation avec celle de la France, dont le gouvernement a chargé un président honoraire de la Cour de Cassation de dresser un rapport ad hoc. Celui-ci a été remis le 26 février dernier au gouvernement sous forme d’un Livre Blanc pour la « Protection des données personnelles et administration électronique ».

Face à une administration ‘électronisée’ et interconnectée, le client (citoyen ou entreprise) se retrouve avec un interlocuteur unique qui possède d’innombrables sources de collecte d’informations, et de nombreuses possibilités d’interconnexions.

Que dira le citoyen, domicilié dans la commune X mais participant à un forum de discussion sur l’aménagement de la voirie dans la commune Y si, à cette occasion, ses propos sont écoutés par une oreille indiscrète du ministère des Finances qui s’en sert dans un litige dans lequel ce citoyen est précisément soupçonné d’être fictivement domicilié dans la commune X ? En terme d’interconnexion, que penser du cauchemar vécu par les Canadiens qui ont découvert que depuis 1985, le gouvernement fédéral avait constitué une giga-base de données rassemblant des informations sur 33 millions de contribuables, en interconnectant à leur insu des informations provenant de sources aussi diverses que le ministère des Ressources Humaines, les douanes, Revenu Canada et les gouvernements provinciaux ? Le scandale a été tel qu’en moins de trois semaines, le gouvernement a été contraint d’effacer toute la base de données.

La protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel est organisée par la loi de 1992, modifiée en 1998 pour la mettre en conformité avec le droit européen. Le régime légal est organisé autour de quelques règles, dont le principe fondamental de la finalité : les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. Chaque administration doit ainsi définir de manière individualisée la finalité qu’elle poursuit, et l’annoncer. Ultérieurement, il n’est pas permis de modifier la finalité dans un sens incompatible avec la finalité initiale. La compatibilité est une question qui doit être analysée au cas par cas, « compte tenu de tous les facteurs pertinents, notamment des prévisions raisonnables de l’intéressé et des dispositions légales et réglementaires applicables ».

Les mêmes règles s’appliquent en cas de session des données, dont on sait qu’elles sont fréquentes, y compris pour ce qui concerne les données issues du secteur public. Qui n’a été surpris de recevoir, quelques jours après l’immatriculation d’une voiture, une offre commerciale ciblée ? Sauf cas particulier, la loi ne pose aucun principe d’interdiction de cession, pour autant bien entendu que les autres dispositions sont respectées, y compris le principe de finalité. La cession de données personnelles est-elle justifiable, voire simplement souhaitable ? On peut en douter à la lecture de l’article 4, 1° de la loi qui pose l’exigence du traitement loyal. En communiquant ses informations personnelles, l’administré s’attend à ce que l’administration fasse preuve de prudence dans le traitement, et ne les utilise que dans la mesure nécessaire à l’exercice de sa mission ; est-il « loyal » de les céder ensuite, et cela entre-t-il dans les « prévisions raisonnables » de l’intéressé ?

Pourtant, d’un point de vue purement économique, les données issues du secteur public constituent une formidable ressource qui n’attend qu’à être réutilisée par les opérateurs privés, lesquelles créeront ainsi de nouveau services, de la richesse et des emplois. Devant les inégalités nationales criantes, la Commission européenne a récemment remis une proposition de directive sur la réutilisation des données du secteur public, qui pose en principe l’autorisation de réutilisation sauf si la loi sur la protection de la vie privée s’y oppose.

Enfin, malheureusement, la conservation des données et leur sécurité échappent trop souvent au débat. Conformément à l’article 4, 5° de la loi, les données doivent être conservées pendant une durée qui n’excède pas celle nécessaire à la finalité pour laquelle elles sont collectées et traitées. Quant à l’article 16, § 4, il met à charge du responsable du traitement l’obligation de prendre les mesures techniques et opérationnelles pour protéger les données, étant entendu que plus une donnée est sensible, mieux elle doit être protégée. Lorsque toutes les données auront été interconnectées ou le seront potentiellement, ces obligations deviendront un casse-tête pour les responsables informatiques : parmi les données globalisées, certaines devront être isolées car elles seront conservées différemment des autres en terme de temps et/ou de qualité de conservation.

On le voit, l’enjeu est à la mesure des défis juridiques. La prochaine étape devrait idéalement être, dans la foulée de ce qui s’est passé dans d’autres pays européens, la nomination d’un ministre ou d’un commissaire du gouvernement à la société de l’information, chargé notamment de recenser et coordonner les initiatives parfois dispersées qui foisonnent à tous les échelons de la vie administrative. Par exemple, le responsable français a logiquement commencé sa tâche en dressant un état des lieux qui lui a permis de s’apercevoir que son pays comptait, en février 2002 : 4.700 sites web publics, 1.123 formulaires administratifs en ligne soit 65% de l’ensemble des formulaires utilisés, 131 téléservices (déclaration TVA, recherche d’emploi, etc.). S’interrogeant sur l’opportunité de cette débauche de moyens, il a observé les statistiques de fréquentation du portail de l’administration et constaté qu’actuellement, 1 million de visites sont enregistrées chaque mois !

Quand on vous dit que A2B et A2C sont à la mode …

Cette actualité a été publiée dans le journal L’ECHO, Chronique « droit & multimédia »

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