E-consommateurs : deux nouvelles procédures et plus de droits. L’industrie IT doit-elle trembler?
Publié le 11/11/2014 par Thierry Léonard, Hervé Jacquemin
Le nouveau Code de droit économique introduit en droit belge deux nouvelles procédures pour garantir un niveau élevé de protection des consommateurs, notamment dans l’environnement numérique : l’action en réparation collective et le règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Sans pouvoir parler de révolution, on peut sans doute y voir une évolution marquante. L’industrie IT est-elle visée?
Nombreuses sont les dispositions légales ou réglementaires qui ont été adoptées pour protéger les consommateurs dans leurs relations avec des professionnels, en particulier dans le secteur IT (télécom, commerce électronique, paiements en ligne, réseaux sociaux, nouveaux médias, etc.). Elles prévoient notamment un renforcement des obligations d’information, l’octroi d’un droit de rétractation au consommateur, la multiplication des règles de forme, l’interdiction des clauses abusives ou des pratiques commerciales déloyales, l’interdiction de certains paiements, etc.
Lorsque ces règles sont violées par les prestataires, le consommateur ne fera qu’exceptionnellement valoir ses droits devant les juridictions compétentes. Qui d’entre nous intenterait une procédure judiciaire contre son opérateur mobile, Netflix ou même un site de réservation de voyages en ligne ? Les montants en jeu (et les gains potentiels) restent souvent trop faibles en comparaison des coûts à supporter, tenant compte de la durée de la procédure et de son issue incertaine. Par ailleurs, le consommateur pourrait choisir de se tourner vers un mode alternatif de règlement des différends (médiation ou conciliation, par exemple) mais il ignore généralement s’il existe une entité compétente (spécialement s’il s’agit d’un litige transfrontalier, très fréquent dans le domaine du commerce électronique) et peut s’interroger sur son indépendance ou son impartialité.
Le Code de droit économique prévoit deux nouvelles procédures en vue de répondre à ces difficultés : elles concernent le règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (Livre XVI du Code, en vigueur, suivant les dispositions concernées, le 13 mai 2014 ou le 1er janvier 2015) et l’action en réparation collective (Livre XVII du Code, en vigueur le 1er septembre 2014).
Règlement extrajudiciaire des litiges de consommation
Les nouvelles règles en matière de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (REL) ont pour but de transposer la directive européenne 2013/11/UE . Le but est de permettre au consommateur de s’adresser à une entité de règlement extrajudiciaire des litiges présentant des garanties d’impartialité, de transparence, d’indépendance et de compétence, dans le cadre d’une procédure simple, rapide et peu onéreuse. En ce sens, les nouvelles dispositions légales imposent diverses exigences aux entités de REL (dites qualifiées), dont la liste sera tenue par le SPF Economie et publiée sur son site web. Ces dispositions ne font pas de distinction suivant le secteur concerné (et relevant, ou pas, du secteur IT). La procédure devant l’entité de REL est également organisée, notamment au niveau du coût (gratuit ou à coût réduit pour les consommateurs) et sur le plan des délais (normalement, règlement du litige dans les nonante jours qui suivent la réception de la demande complète). Un nouveau service de médiation pour le consommateur est créé, avec pour triple mission d’informer les acteurs sur leurs droits, spécialement en matière de REL, d’aiguiller le consommateur vers l’entité qualifiée de REL compétente et, s’il n’y en a pas, de traiter elle-même le litige. En Belgique, il existe déjà des entités offrant des mécanismes alternatifs de règlement des différends mais, sous réserve du service de médiation pour les télécommunications, aucune n’est spécifique à l’IT (pour les litiges eCommerce, par exemple). Aussi faut-il espérer qu’avec ces nouvelles règles, des entités de REL voient le jour dans ce secteur spécifique.
Action en réparation collective
L’autre procédure a pour objet d’introduire une action en réparation collective en droit belge, sans toutefois les inconvénients et les excès de la « class action made in USA », qui défraie régulièrement la chronique par les montants astronomiques obtenus au bénéfice des victimes… et de leurs avocats ! La nouvelle loi détermine par qui et selon quelles modalités l’action en réparation collective pourra être introduite, tout en réglant précisément la procédure. L’action en réparation collective ne pourra être introduite qu’au bénéfice de consommateurs, personnes physiques, victimes de certains agissements d’entreprises, qui méconnaîtraient leurs obligations contractuelles ou certains de leurs devoirs légaux ou réglementaires (les règles en matière de contrats conclus à distance et en ligne, de publicité par voie électronique, de vie privée ou de communications électroniques, etc.). Le risque est bien réel dans le secteur IT, comme le montre la class action introduite devant les juridictions autrichiennes contre Facebook pour violation des règles de vie privée.
Les entreprises du secteur IT et des télécommunications doivent-elle craindre l’arrivée de ces nouvelles procédures ?
Une réponse nuancée s’impose. Il est difficile de prédire à ce stade le succès des procédures de REL (qui dépendra notamment du nombre des entités de REL spécialement compétentes dans le secteur IT et de l’efficacité des procédures mises en place) mais il peut être bénéfique pour les entreprises de régler rapidement leur différend de cette manière. Il faut toutefois garder à l’esprit que, durant le traitement de la plainte, la procédure de recouvrement introduite par l’entreprise peut être suspendue, de même que la prescription. S’agissant de l’action en réparation collective, il est hautement probable que les recours restent limités, eu égard à la manière dont les représentants potentiels du groupe sont limitativement énumérés et compte tenu des moyens financiers et humains dont ils devront disposer pour se lancer dans une procédure longue et incertaine.