Drones et Covid ne font pas bon ménage
Publié le 07/01/2021 par Etienne Wery
En France et en Belgique, la police est rappelée à l’ordre : les drones, aussi performants soient-ils, ne peuvent être utilisés pour la surveillance du respect des mesures Covid que moyennant de nombreuses conditions strictes. Le risque d’intrusion grave dans la vie privée est jugé important sans offrir, pour l’instant, les garanties adéquates. L’État est invité à une réflexion globale qui fait défaut jusqu’à présent.
Dans l’approche actuelle de la lutte anti-covid, les drones peuvent en théorie jouer un rôle important.
Leur capacité à détecter, suivre et surveiller facilement et en temps réel les déplacements de foule (grâce à la caméra thermique et/ou vidéo) en fait des instruments de rêve pour assurer la mise en œuvre des mesures prises par les autorités. Ils sont de surcroit relativement peu onéreux comparé au coût de déploiement d’un bataillon de policiers, ils ne mettent pas en péril l’intégrité physique des forces de l’ordre et ils peuvent, en outre, réaliser des enregistrements à titre de preuve … Bref, l’outil de surveillance quasiment absolu.
Bémol toutefois : dans la mesure où les mesures anti-covid constituent très largement des restrictions aux libertés individuelles fondamentales, les mesures et la surveillance de leur respect doivent forcément être temporaires, exceptionnelles nécessaires et proportionnées.
Or les drones sont, par leur discrétion et leur capacité à surveiller les endroits privés, extrêmement intrusifs. Il est donc vital, pour éviter de vivre comme dans minority report, de trouver un équilibre qui, jusqu’à présent, est difficile à atteindre.
En France : le Conseil d‘État
La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme ont demandé au tribunal administratif de Paris d’ordonner l’arrêt de la surveillance par drones mis en place par la préfecture de police afin de faire respecter les mesures de confinement. Leur requête ayant été rejetée par le tribunal, les associations ont fait appel devant le Conseil d’État.
Dans sa décision de mai 2020, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné à l’État de cesser immédiatement la surveillance par drone du respect des règles sanitaires en vigueur lors de la période de déconfinement.
La préfecture de police de Paris avait indiqué que les drones n’étaient pas utilisés pour identifier des personnes, mais uniquement pour détecter des rassemblements du public à Paris contraires aux mesures sanitaires en vigueur et pouvoir ainsi procéder à la dispersion du rassemblement ou l’évacuation des lieux (les drones survolant la ville à une hauteur de 80 à 100 mètres, en utilisant un grand angle et sans capturer d’images en l’absence de carte mémoire).
Le juge des référés a toutefois relevé que les drones utilisés sont dotés d’un zoom optique et peuvent voler en dessous de 80 mètres, ce qui permet de collecter des données identifiantes. Il a observé que les drones ne sont dotés d’aucun dispositif technique permettant de s’assurer que les informations collectées ne puissent conduire à identifier des personnes filmées, et ce, pour un autre usage que l’identification de rassemblements publics.
Dès lors, le juge des référés a estimé que l’utilisation de ces drones relève d’un traitement de données à caractère personnel et doit respecter le cadre de la loi informatiques et libertés du 6 janvier 1978. Constatant que ce cadre n’avait pas été respecté, il a par conséquent ordonné à l’État de cesser sans délai la surveillance par drone, tant qu’un arrêté ou décret ministériel n’aura pas été pris sur le sujet après avis de la CNIL, ou tant que les drones ne seront sont pas dotés d’un dispositif de nature à rendre impossible l’identification des personnes filmées.
Voir notre analyse plus détaillée.
En Belgique : l’organe de surveillance de la police
Suite à la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, l’Organe de contrôle de l’information policière (« Organe de contrôle » ou « COC ») est devenu une autorité de contrôle à part entière, investie d’une mission de surveillance et de contrôle de la gestion de l’information par les services de police.
Ayant pris connaissance, par voie de presse, de l’utilisation de drones dans une des zones de police du pays afin de surveiller le respect des mesures Covid, le COC a effectué un contrôle d’initiative.
Le rapport, rendu public récemment, confirme que trois drones sont utilisés : deux « petits » drones disposant uniquement d’une caméra, qui sert d’une part au pilote et d’autre part à l’obtention d’images des lieux survolés ; un « grand » drone capable d’embarquer trois caméras : une destinée à la visibilité (navigation) pour le pilote, une caméra thermique, et une caméra destinée à l’obtention d’images des lieux survolés. Les caméras peuvent être actionnées séparément. Les images des deux caméras (la caméra thermique et la caméra ordinaire) peuvent aussi être superposées et offrir ainsi une vue différente.
Première critique : l’absence de précision quant aux lieux surveillés
Le COC relève l’absence de clarté quant aux lieux qui peuvent être surveillés, ce qui aboutit à un risque réel qu’au-delà des espaces publics, des lieux privés soient également mis sous surveillance. Or, la surveillance des lieux privés relève d’un cadre juridique très précis qui n’est pas pris en compte dans la procédure d’utilisation des drones. La critique est d’autant plus lourde de sens que les drones volant à une altitude de plusieurs dizaines de mètres, ils sont la plupart du temps invisibles et, de surcroit, ils ne sont pas identifiables du sol en tant que drone volant pour le compte de la police. Le COC exige la clarté sur ce point.
Deuxième critique : l’absence de précision quant à la nature de la surveillance
Dans la police locale belge, le fonctionnaire de police peut être agent de police administrative à certains moments (quand il fait du travail de quartier par exemple) et agent ou officier de police judiciaire à d’autres moments (lors d’une enquête locale), en fonction de la mission, du travail, qu’il effectue. Plus la zone de police est petite et plus les agents et officiers sont polyvalents. Le COC relève que si les drones sont envisageables dans le cadre des deux missions, il demeure que les conditions de leur utilisation dépendent du cadre juridique de l’intervention. Or, cette distinction importante n’est pas prise en compte actuellement.
Suite à l’intervention du COC, la zone de police concernée a confirmé qu’elle n’utilisera dorénavant les drones que pour des missions de police administrative dans le cadre du crowd control (maintien de l’ordre public) et de la surveillance des flux de circulation, et qu’elle agira à la requête du ministère public ou du juge d’instruction dans le cadre de la fonction de police judiciaire.
Troisième critique : absence d’analyse d’impact
Tout en approuvant l’usage des nouvelles technologies par la police, le COC estime que la zone de police concernée doit désigner le fondement juridique adéquat sur lequel le traitement repose, et présenter l’analyse d’impact et de risques requise et appropriée concernant la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel. Ce n’est qu’alors que le Conseil communal pourra prendre en connaissance de cause une décision réfléchie autorisant ou non le recours aux drones.
En conséquence, le COC ordonne la réalisation d’une analyse d’impact et de risques concernant la protection de la vie privée, à soumettre dans les quatre mois aux Conseils communaux de la zone de police.
Commentaires et plus d’infos
On le voit, il y a des réflexes à acquérir :
- La nécessité d’une base légale claire et identifiée ;
- La prise en compte de la particularité de l’espace aérien à basse altitude : dans l’espace aérien, la délimitation entre zones publique et privée n’est pas marquée, mais vu l’altitude relativement basse le drone arrive sans difficulté à surveiller de façon intrusive les lieux privés.
- La prise en compte des critères-pivots que sont : d’une part la capacité à identifier des personnes, et d’autre part l’existence ou non d’un enregistrement photo/vidéo.
Le rapport du COC est disponible en annexe.