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Droit des médias : la Coupe du Monde et l’Euro de football sont-il des « évènements majeurs »?

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Lorsqu’une compétition sportive est qualifiée « d’évènement majeur », il y a de lourdes conséquences en droit des médias, à commencer par le fait que les Etats peuvent interdire les diffusions exclusives. Il y a donc un gros business de droits télévisuels derrière cette question.

Évènement majeur ?

Lorsque des compétitions sont considérées par les États membres comme événements d’importance majeure pour leur société, afin d’en garantir l’accès à un large public, ceux-ci peuvent exiger leur retransmission sur une télévision à accès libre

La directive relative à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle permet aux États membres d’interdire la retransmission exclusive des événements qu’ils jugent d’une importance majeure pour leur société, lorsqu’une telle retransmission priverait une partie importante du public de la possibilité de suivre ces événements sur une télévision à accès libre.

Coupe du Monde et Euro de football

La Fédération internationale de football association (FIFA) organise la phase finale de la Coupe du monde de football (« la Coupe du monde ») et l’Union des associations européennes de football (UEFA) organise le championnat d’Europe de football (l’ « EURO »). La vente des droits de retransmission télévisuelle de ces compétitions constitue une source importante de leurs revenus.

La Belgique et le Royaume-Uni ont dressé respectivement une liste des événements considérés comme ayant une importance majeure pour leur société. Ces listes contenaient notamment, pour la Belgique, tous les matchs de la phase finale de la Coupe du monde et, pour le Royaume-Uni, l’ensemble des matchs de la phase finale de la Coupe du monde et de l’EURO. Ces listes ont été envoyées à la Commission qui a décidé qu’elles étaient compatibles avec le droit de l’Union.

Cependant, la FIFA et l’UEFA ont attaqué ces décisions devant le Tribunal en contestant le fait que tous ces matchs puissent constituer des événements d’importance majeure pour le public de ces États. Le Tribunal ayant rejeté leurs recours, celles-ci ont introduit des pourvois devant la Cour de justice.

Les États disposent-ils d’une marge de manœuvre ?

Dans ses conclusions, l’avocat général M. Niilo Jääskinen examine, tout d’abord, la répartition des compétences entre les États membres et la Commission en ce qui concerne l’interdiction de la retransmission exclusive des événements ayant une importance majeure pour la société. Ainsi, il constate que, selon la directive, les États membres sont seuls compétents pour établir les listes nationales visant à garantir la retransmission des événements ayant une importance majeure pour leur société sur une télévision d’accès libre. À cet égard, ils disposent d’une certaine marge d’appréciation pour choisir les mesures qu’ils considèrent les mieux adaptées pour atteindre, dans le contexte des particularités nationales culturelles et sociales, l’objectif de la directive consistant à assurer la libre diffusion des émissions télévisées.

Par conséquent, M. Jääskinen considère que le contrôle que la Commission est habilitée à exercer sur l’application du pouvoir discrétionnaire de l’État membre dans la détermination des listes nationales est limité à la recherche de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. Ainsi, la Commission est surtout tenue de vérifier la procédure d’établissement des listes nationales au regard des critères de transparence et de clarté et de s’assurer que les événements désignés par les États membres peuvent effectivement être considérés comme étant d’importance majeure pour la société. De surcroît, la Commission est tenue de veiller à ce que les listes nationales ne prévoient pas une dérogation aux libertés fondamentales plus étendue que celle déterminée par la directive. De même, la Commission doit contrôler les listes nationales du point de vue des principes généraux, tels que l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité. Néanmoins, selon l’avocat général, le contrôle de la Commission se doit d’être de nature objective ainsi que de portée limitée.

Cependant, dans son processus décisionnel, la Commission ne doit pas se limiter à un automatisme dans la vérification des listes nationales. Au contraire, elle est tenue, dans les limites de son pouvoir, de respecter, notamment, le principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce. Toutefois, un tel contrôle n’exclut pas la répétition à l’identique de formulations figurant dans ses décisions, dès lors que les critères au regard desquels la Commission vérifie l’erreur manifeste d’appréciation des États membres restent inchangés.

Dans ce contexte, l’avocat général souligne que le contrôle que le Tribunal doit exercer sur l’application par la Commission de son pouvoir de vérification doit également se limiter à examiner si la Commission a constaté ou a rejeté à bon droit l’existence d’une erreur manifeste commise par l’État membre concerné.

Une atteinte disproportionnée aux droits de propriété ?

Ensuite, l’avocat général constate que, en réservant aux États membres la possibilité d’établir la liste des événements d’importance majeure pour leur société, le législateur de l’Union entendait concilier l’objectif de liberté de prestation des services dans le domaine de la radiodiffusion télévisuelle et celui de sauvegarde du droit à l’information dans le contexte des diversités culturelles des États membres. Ainsi, la restriction de cette liberté fondamentale a été volontairement envisagée par le législateur de l’Union comme indispensable aux fins de garantir l’accès d’un grand public aux événements d’importance majeure pour la société. Comme telle, elle doit, en principe, être considérée comme justifiée, et par conséquent proportionnée.

S’agissant de l’argument de la FIFA et de l’UEFA selon lequel la limitation de la retransmission exclusive des événements sportifs organisés par celles-ci porterait atteinte à leur droit de propriété, l’avocat général Jääskinen précise que le droit de propriété se rattachant à la retransmission des événements sportifs n’étant défini ni dans le droit national ni dans le droit de l’Union, son champ d’application dépend, de manière essentielle, des dispositions définissant ses limites, telles que celles de la directive. Pour cette raison, la mesure en cause ne constitue pas une entrave au droit de propriété au sens de la Charte des droits fondamentaux.

Enfin, l’avocat général Jääskinen propose à la Cour de confirmer que, bien que la Coupe du monde et l’EURO soient mentionnés dans la directive à titre d’exemples des événements d’importance majeure pour la société, cela ne signifie pas que l’intégralité de ces événements sportifs peut, dans tous les cas, être insérée sur la liste nationale indépendamment de l’intérêt que ceux-ci suscitent dans l’État membre concerné. En revanche, la mention de la Coupe du monde et de l’EURO dans la directive implique que, lorsque l’État membre inscrit les matchs de ces tournois sur la liste nationale, il n’est pas obligé de faire figurer dans sa communication à la Commission une motivation spéciale concernant leur caractère « en tant qu’événements d’importance majeure pour la société ».

Dans ces circonstances, l’avocat général considère que le Tribunal a exercé correctement son contrôle juridictionnel et propose donc à la Cour de rejeter les pourvois dans leur intégralité.

Et en France ?

On l’a vu, l’avocat général admet que ce régime spécifique est une forme atteinte aux droits de l’organisateur, qui se justifie notamment au regard de la sauvegarde du droit à l’information dans le contexte des diversités culturelles des États membres. Ainsi dit-il « la restriction de cette liberté fondamentale a été volontairement envisagée par le législateur de l’Union comme indispensable aux fins de garantir l’accès d’un grand public aux événements d’importance majeure pour la société. Comme telle, elle doit, en principe, être considérée comme justifiée, et par conséquent proportionnée. »

Par ailleurs, l’avocat général admet que les Etats ont une large marge de manœuvre. Logique lorsqu’on justifie l’atteinte notamment par la prise en compte de la diversité culturelle. Il en découle que la prise en compte du droit national est importante, ce que l’avocat général semble admettre lorsqu’il précise qu’en l’espèce, « le droit de propriété se rattachant à la retransmission des événements sportifs n’étant défini ni dans le droit national ni dans le droit de l’Union, son champ d’application dépend, de manière essentielle, des dispositions définissant ses limites, telles que celles de la directive. »

Or, la France présente une particularité en ce sens que la loi a placé l’organisateur de l’évènement sportif au centre du jeu en lui faisant un joli cadeau : l’article L.333-1 du code du sport dispose en effet que « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article L. 331-5, sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent ».

Les juristes français liront donc avec attention le prochain arrêt de la CJUE (qui suit généralement son avocat général mais pas toujours), pour déceler le subtil équilibre que celle-ci fera entre l’harmonisation européenne et les particularismes nationaux.

En fonction de la réponse, il se pourrait que ce que la CJUE condamne pour la Belgique et le Royaume-Uni, soit néanmoins possible en France.

Verra-t-on demain des fans de foot français privés d’un accès en clair aux matches de l’Euro, s’exiler à Bruxelles et à Londres le temps de la compétition pour y regarder tranquillement leur sport favori ? Après les exilés fiscaux, les exilés sportifs?

Droit & Technologies

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