Droit d’auteur : accord européen sur la nouvelle directive !
Publié le 14/02/2019 par Etienne Wery , Maud Cock
Vu les élections prochaines, il était presque trop tard. Pourtant, c’est fait : un accord politique a été dégagé entre le Parlement et le Conseil européens, ouvrant la voie à la nouvelle directive sur le droit d’auteur. Les journaux obtiennent un droit voisin. Les plates-formes de video à la demande sont considérées comme effectuant des actes relevant du droit d’auteur (communication au public ou mise à disposition du public) pour lesquels elles doivent obtenir une autorisation des titulaires de droits concernés.
Cet accord, arraché in extremis ce 13 février, permet de clôturer sous cette legislature un des chantiers emblémtiques de la Commision Juncker. Le texte coordonné n’est pas encore disponible, nous le dévoilerons dès que nous en aurons copie. En attendant, les communiqués du Parlement et de la Commission permettent d’en savoir un peu plus.
L’accord laissera des traces : rarement un texte aura été aussi âprement discuté. De tous côtés, les lobbies se sont déchainés, certains GAFA y voyant la mort de la liberté d’expression ou un monde sans Internet. Texte de compromis, la nouvelle directive fera forcément des mécontents, mais sur les deux dispositions phares, la ligne générale voulue par la Commission a été maintenue.
En quoi consiste la nouvelle directive sur le droit d’auteur?
Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne ont trouvé un accord politique sur une nouvelle directive relative au droit d’auteur, qui devra être approuvée par les deux institutions dans les semaines à venir.
Les technologies numériques ont transformé la manière de produire du contenu créatif, de le distribuer et d’y accéder. La nouvelle directive adapte la réglementation relative au droit d’auteur à cette évolution et à la manière dont les utilisateurs accèdent à des contenus en ligne. Par exemple, il existe des exceptions au droit d’auteur dans les domaines de l’éducation, de la recherche et de la préservation du patrimoine culturel, mais la réglementation existante, qui remonte à 2001, n’avait pas anticipé les utilisations numériques. Par conséquent, cela restreint les possibilités pour les utilisateurs (par exemple, les établissements d’enseignement, les instituts de recherche, les bibliothèques) de tirer parti du potentiel des nouvelles technologies. En outre, le cadre actuel de l’UE en matière de droit d’auteur ne répond pas aux problèmes qui sont apparus ces dernières années concernant la répartition de la valeur dans l’environnement en ligne.
La directive vise à instaurer un cadre global, dans lequel les contenus protégés par le droit d’auteur, les titulaires de droits d’auteur, les éditeurs, les prestataires de services et les utilisateurs pourront tous bénéficier de règles plus claires, adaptées à l’ère numérique.
Pour atteindre ce but, la directive sur le droit d’auteur se concentre sur trois objectifs principaux:
- des possibilités accrues d’utiliser des contenus protégés par le droit d’auteur à des fins d’éducation, de recherche et de préservation du patrimoine culturel: les exceptions permettant de telles utilisations ont été modernisées et adaptées à l’évolution technologique, afin de tenir compte des utilisations en ligne et dans un contexte transfrontière;
- l’élargissement de l’accès transfrontière et en ligne à des contenus protégés par le droit d’auteur pour les citoyens: la directive contribuera à accroître la disponibilité des œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande, facilitera la numérisation et la diffusion des œuvres indisponibles dans le commerce et garantira que tous les utilisateurs pourront diffuser en ligne, en toute sécurité juridique, des copies d’œuvres d’art se trouvant dans le domaine public;
- des règles du jeu plus équitables pour un meilleur fonctionnement du marché des droits d’auteur, qui stimulent la création de contenus de qualité, à savoir: un nouveau droit pour les éditeurs de presse en ce qui concerne l’utilisation de leurs contenus par des prestataires de services en ligne, le renforcement de la position des titulaires de droits pour négocier et être rémunérés pour l’exploitation en ligne de leurs contenus par des plateformes de mise en ligne de contenus par les utilisateurs, et des règles améliorant la transparence en matière de rémunération des auteurs, interprètes et exécutants.
Un nouveau droit voisin pour le secteur de la presse
Le nouveau droit des éditeurs de presse s’appliquera aux utilisations en ligne de publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information, tels que les agrégateurs d’informations ou les services de suivi des médias. L’objectif de ce droit est d’aider le secteur de la publication de presse à bénéficier d’un marché plus équitable et de promouvoir un environnement qui soit le plus favorable possible au développement de modèles commerciaux innovants. Le nouveau droit renforce la position de négociation des éditeurs de presse lorsqu’ils négocient l’utilisation de leurs contenus par des services en ligne.
Les journalistes, en tant qu’auteurs des contributions (les articles) dans les publications de presse, jouent un rôle essentiel dans le secteur de la presse pour assurer un contenu journalistique fiable et de qualité. En facilitant l’exploitation en ligne des publications de presse et en rendant plus efficace l’application des droits, la directive aura des effets positifs pour eux. De plus, afin de faire en sorte que les journalistes retirent des avantages économiques du droit des éditeurs de presse, la directive prévoit qu’ils recevront une part appropriée des recettes générées par ce droit. En assurant la pérennité du secteur de la presse, le nouveau droit favorisera la pluralité, l’indépendance et la qualité des médias, qui sont essentielles à la liberté d’expression et au droit à l’information dans notre société démocratique.
Le extraits (snipets)
Selon le texte adopté aujourd’hui, l’utilisation de mots isolés et de très courts extraits de publications de presse ne relève pas du champ d’application du nouveau droit. Cela signifie que les prestataires de services de la société de l’information resteront libres d’utiliser ces parties d’une publication de presse, sans qu’il soit nécessaire de demander l’autorisation des éditeurs de presse. Pour déterminer ce que sont les très courts extraits, il conviendra de tenir compte de l’incidence sur l’effet utile du nouveau droit.
Le lecteur
La directive ne vise pas les particuliers, mais cible les utilisations en ligne de publications de presse par des plateformes et services en ligne de grande envergure, tels les agrégateurs d’informations. Les utilisateurs de l’internet continueront à pouvoir partager des contenus sur les médias sociaux et établir des liens vers des sites web et des journaux (création d’hyperliens), tout comme aujourd’hui
En outre, la création d’hyperliens et la réutilisation de mots isolés ou de très courts extraits par les plateformes et services en ligne seront exclues du champ d’application du nouveau droit accordé aux éditeurs de publications de presse.
Le value gap ?
L’un des objectifs de la directive est de renforcer la position des créateurs et des titulaires de droits pour négocier et être rémunérés pour l’utilisation en ligne de leurs contenus par certaines plateformes de mise en ligne de contenus par les utilisateurs.
Selon l’accord politique intervenu aujourd’hui, les plateformes visées par l’article 13 sont considérées comme effectuant des actes relevant du droit d’auteur (c’est-à-dire des actes de communication au public ou de mise à la disposition du public) pour lesquels elles doivent obtenir une autorisation des titulaires de droits concernés.
En l’absence d’accords de licence conclus avec les titulaires de droits, les plateformes devront prendre certaines mesures si elles veulent éviter d’être tenues responsables. En particulier, elles devront i) faire tout leur possible pour obtenir une autorisation, ii) faire tout leur possible pour garantir l’indisponibilité des contenus non autorisés pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations nécessaires et pertinentes, et iii) agir promptement pour supprimer tout contenu non autorisé à la suite de la réception d’une notification et faire tout leur possible pour empêcher les mises en ligne ultérieures.
Les petites entreprises
Les nouvelles petites plateformes bénéficieront d’un régime allégé en l’absence d’autorisation donnée par les titulaires de droits.
Cela concerne les prestataires de services en ligne ayant moins de trois ans d’existence dans l’Union, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros et dont le nombre d’utilisateurs est inférieur à 5 millions par mois. Afin d’éviter d’être tenues responsables en ce qui concerne des œuvres non autorisées, ces nouvelles petites entreprises devront seulement prouver qu’elles ont fait tout leur possible pour obtenir une autorisation et qu’elles ont agi promptement pour supprimer de leur plateforme les œuvres non autorisées qui leur ont été signalées par des titulaires de droits.
Toutefois, lorsque le nombre de leurs utilisateurs qui effectuent une consultation unique dépasse 5 millions par mois, ces petites entreprises devront également prouver qu’elles ont fait tout leur possible pour s’assurer que les œuvres qui leur ont été signalées par des titulaires de droits ne réapparaissent pas ultérieurement sur la plateforme.
La rémunération équitable des auteurs, interprètes et exécutants?
La proposition de la Commission visait à accroître la transparence et l’équilibre dans les relations contractuelles entre les créateurs de contenus (auteurs, interprètes et exécutants) et leurs producteurs et éditeurs.
La version définitive de la directive contient cinq mesures différentes destinées à renforcer la position des auteurs, interprètes et exécutants:
- le principe d’une rémunération appropriée et proportionnée pour les auteurs, interprètes et exécutants;
- une obligation de transparence destinée à favoriser l’accès des auteurs, interprètes et exécutants à une meilleure information sur l’exploitation de leurs œuvres et interprétations;
- un mécanisme d’adaptation des contrats permettant aux auteurs, interprètes et exécutants d’obtenir une part équitable lorsque la rémunération initialement convenue devient exagérément faible par rapport au succès que rencontre leur œuvre ou leur interprétation;
- un mécanisme de révocation des droits permettant aux créateurs de récupérer leurs droits lorsque leurs œuvres ne sont pas exploitées; et
- une procédure de règlement des litiges pour les auteurs, interprètes et exécutants.
Les exceptions
Lorsqu’un particulier ou une institution bénéficie d’exceptions ou de limitations à un droit exclusif, il lui est permis d’utiliser des contenus protégés sans l’autorisation préalable des titulaires de droits. Les exceptions et limitations ont pour objet de faciliter l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur dans certains cas spécifiques, et de permettre d’atteindre des objectifs de politique publique, tels que l’éducation et la recherche. La nouvelle directive adapte le cadre de l’UE concernant les exceptions aux utilisations numériques dans certains domaines tels que l’éducation, la recherche et le patrimoine culturel. Elle introduit quatre exceptions obligatoires pour:
- la fouille de textes et de données à des fins de recherche;
- de manière générale, la fouille de textes et de données à d’autres fins;
- les fins d’enseignement et d’éducation;
- la préservation du patrimoine culturel.
L’objectif est d’ouvrir les possibilités offertes par les technologies numériques à la recherche, à l’analyse de données, à l’éducation et à la préservation du patrimoine, en tenant également compte des utilisations en ligne et transfrontières des contenus protégés par le droit d’auteur.
L’éducation, la culture et la recherche
L’exception au droit d’auteur pour la fouille de textes et de données simplifiera la procédure d’obtention des droits d’auteur pour les universités et les organismes de recherche. Elle leur permettra, en toute sécurité juridique, d’utiliser des technologies automatisées pour analyser de grands ensembles de données à des fins scientifiques, y compris dans le cadre de partenariats public-privé. Cela soutiendra les efforts et l’innovation scientifiques, par exemple en contribuant à trouver des remèdes contre les maladies ou de nouveaux moyens de lutter contre le changement climatique.
En complément, une exception supplémentaire concernant la fouille de textes et de données, en faveur d’autres utilisateurs, s’appliquera à la fouille de textes et de données en dehors du domaine de la recherche. Cette exception contribuera aux progrès de l’analyse de données et de l’intelligence artificielle dans l’UE.
La nouvelle exception en matière d’enseignement, pour les établissements d’enseignement et les enseignants, s’applique aux utilisations numériques transfrontières de contenus protégés par le droit d’auteur à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement, y compris en ligne. Elle garantira, par exemple, que les établissements d’enseignement pourront, en toute sécurité juridique, mettre des contenus pédagogiques à la disposition des étudiants à distance dans d’autres États membres, grâce à leur environnement électronique sécurisé, par exemple l’intranet d’une université ou l’environnement d’apprentissage virtuel d’une école.
La nouvelle exception relative à la préservation permettra aux bibliothèques et aux autres institutions de gestion du patrimoine culturel (par exemple, les archives, les musées) de réaliser des copies des œuvres de leurs collections, en tirant parti des nouvelles techniques de conservation numérique. Cette nouvelle règle permettra de numériser le patrimoine culturel de l’UE afin de le préserver. Elle facilitera l’accès des générations futures à notre patrimoine culturel.
La nouvelle disposition concernant le domaine public des œuvres d’art?
Lorsqu’une œuvre d’art n’est plus protégée par le droit d’auteur, par exemple un tableau ancien, elle tombe dans le domaine public. Dans ce cas, tout le monde devrait être libre de réaliser, d’utiliser et de partager des copies de cette œuvre. Cela n’est pas toujours le cas aujourd’hui, étant donné que certains États membres accordent une protection aux copies de ces œuvres d’art.
La nouvelle directive fera en sorte que personne ne puisse revendiquer la protection du droit d’auteur sur des œuvres relevant des arts visuels qui sont déjà tombées dans le domaine public. Grâce à cette disposition, tous les utilisateurs pourront, en toute sécurité juridique, diffuser en ligne des copies d’œuvres d’art se trouvant dans le domaine public. Par exemple, toute personne pourra copier, utiliser et partager en ligne des photos de tableaux, de sculptures et d’œuvres d’art du domaine public qu’elle a trouvées sur l’internet, et les réutiliser, y compris à des fins commerciales ou pour les télécharger sur Wikipédia.
La disposition relative aux œuvres indisponibles dans le commerce?
La directive introduit un nouveau mécanisme d’octroi de licences pour les œuvres indisponibles dans le commerce, c’est-à-dire les livres, films ou autres œuvres qui sont encore protégés par le droit d’auteur mais qu’il n’est plus possible de trouver nulle part sur le marché. Il sera ainsi beaucoup plus facile pour les institutions de gestion du patrimoine culturel, comme les archives et les musées, d’obtenir les licences nécessaires pour diffuser auprès du public, en particulier en ligne et dans un contexte transfrontière, le patrimoine se trouvant dans leurs collections. Ce système permet aux institutions de gestion du patrimoine culturel d’obtenir beaucoup plus facilement des licences négociées avec les organismes de gestion collective représentant les titulaires de droits concernés.
La nouvelle réglementation prévoit également une nouvelle exception obligatoire au droit d’auteur dans le cas où il n’existe pas d’organisme de gestion collective représentatif des titulaires de droits dans un domaine donné, les institutions de gestion du patrimoine culturel n’ayant alors pas d’interlocuteur avec lequel négocier une licence. Cette exception, dite «de repli», permet aux institutions de gestion du patrimoine culturel de rendre disponibles, sur des sites web non commerciaux, des œuvres indisponibles dans le commerce.
La nouvelle disposition relative à la concession de licences collectives étendues?
La nouvelle disposition relative à la concession de licences collectives étendues permet aux États membres d’autoriser les organismes de gestion collective à conclure, sous certaines conditions, des licences concernant les droits de non-membres. Ce mécanisme facilite l’obtention des droits dans des domaines où l’octroi de licences individuelles pourrait sinon être trop lourd pour les utilisateurs. La disposition comprend un certain nombre de garanties qui protègent les intérêts des titulaires de droits.
Le mécanisme de négociation pour les plateformes de vidéo à la demande?
Malgré la popularité croissante des services à la demande (tels que Netflix, Amazon Video, Universcine, Filmin, Maxdome, ChiliTV), il y a relativement peu d’œuvres audiovisuelles européennes disponibles sur les plateformes de vidéo à la demande (VoD). Moins de la moitié (47 %) des films européens sortis en salles entre 2005 et 2014 sont disponibles sur au moins un service de VoD. En outre, il est fréquent que les œuvres audiovisuelles européennes ne soient pas disponibles sur des plateformes en dehors de leur pays d’origine: environ la moitié des films européens ne sont disponibles en VoD que dans un seul pays et 80 % des films européens sont disponibles en VoD dans trois pays européens ou moins. Cela s’explique en partie par les difficultés, y compris d’ordre contractuel, rencontrées pour acquérir les droits.
La directive prévoit un nouveau mécanisme de négociation pour favoriser la disponibilité, la visibilité et la diffusion des œuvres audiovisuelles, en particulier européennes. Il est conçu pour parvenir à des accords contractuels et pour lever les difficultés liées à l’octroi des droits nécessaires à la mise à disposition de films et de séries sur les plateformes de VoD. L’augmentation du nombre de licences implique que davantage d’œuvres audiovisuelles européennes seront disponibles sur les plateformes de VoD et aura également un effet positif sur le type et la variété des œuvres mises à disposition sur les plateformes de VoD.