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DRM : le difficile équilibre entre utilisateurs et ayants droit

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Lorsque David Bowie, locomotive de la chanson, a lancé le 30 août 1999 le premier album entièrement téléchargeable sur Internet, les majors et la plupart des auteurs, compositeurs et interprètes furent réticents à suivre et à adapter leur offre de distribution aux nouvelles technologies. A la même époque, Napster commençait à populariser le téléchargement de…

Lorsque David Bowie, locomotive de la chanson, a lancé le 30 août 1999 le premier album entièrement téléchargeable sur Internet, les majors et la plupart des auteurs, compositeurs et interprètes furent réticents à suivre et à adapter leur offre de distribution aux nouvelles technologies. A la même époque, Napster commençait à populariser le téléchargement de musique en ligne et annonçait de manière catégorique la mort du CD à terme. Finalement, c’est le succès phénoménal de l’iPod d’Apple, lancé en 2001, et de son service de musique en ligne iTunes qui ont écrit les pages décisives de la dématérialisation de la musique et sans doute de la chronique d’une mort annoncée du support physique.

A l’époque cependant, peu d’entreprises ont anticipé les conséquences de cette dématérialisation en termes de nouveaux marchés tant pour les baladeurs numériques que pour la distribution de la musique. C’est en tout cas tout le modèle économique de la distribution musicale qui s’est modifié en quelques années et qui continue à se transformer chaque jour.

L’inadaptation entre l’offre et la demande d’un jeune public, grand consommateur d’Internet et de musique, explique, entre autres raisons, l’essor qu’a connu le P2P chez nous comme dans le reste du monde occidental.

La réussite du lancement d’iTunes a changé les esprits et entrainé à sa suite le développement d’une véritable offre légale de musique en ligne. En effet, depuis sa création, l’iTunes Music Store a atteint un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars et a en outre généré une vente de 28 millions d’iPod. Cela fait inévitablement rêver l’industrie et provoque un bel engouement sur le marché. Ainsi, le nombre de services payants de musique en ligne vient d’être multiplié par quatre en un an et on en compte aujourd’hui plus de 230 au niveau mondial et plus de 150 uniquement en Europe.

En 2004, l’IFPI (« International Federation of the Phonographic Industry”) indiquait que le nombre de titres téléchargés sur ces sites avait augmenté par dix et recensait plus de 200 millions de titres téléchargés aux Etats-Unis, Royaume Uni et en Allemagne.

On ne peut donc plus parler d’un marché marginal…

La presse

Un deuxième exemple de l’impact des nouvelles technologies sur les habitudes de consommation de biens culturels concerne la montée en puissance des sites d’information en ligne face à la presse traditionnelle.

Lancé en 1996, le site du Monde est aujourd’hui le premier site français d’actualité générale avec 3,8 millions de visiteurs uniques en septembre 2005. Il est directement suivi par le site de Libération. A l’instar du Monde, Libération a décidé d’introduire une zone payante pour les abonnés à partir du premier trimestre 2006.

Cependant, l’essor des sites internet de ces deux quotidiens de référence n’a pas permis d’endiguer une baisse régulière de leurs ventes papier, crise qui a touché au cours de ces dernières années l’ensemble du secteur. Selon certains observateurs, le développement d’éditions électroniques aurait, en modifiant les habitudes de lecture du (jeune) public, accéléré la perte d’influence et de lectorat de la presse papier.

Bien que pertinente, cette observation n’est cependant plus d’actualité. Pour les grands journaux, la question n’est plus celle de l’opportunité d’aller ou non sur Internet mais elle se situe désormais au niveau de la complémentarité nécessaire entre leurs éditions imprimées et numériques au niveau du contenu et de la forme. Internet devenant en 2005 le média affichant la plus forte croissance de recettes publicitaires, une réponse adéquate à cette question apparaît comme la seule manière de transformer une menace en opportunité et de répondre aux nouvelles pratiques de consommation de l’actualité.

L’édition

Pour quiconque a acheté un jour un livre en ligne, la qualité de l’offre de certains sites n’a d’égale que le plaisir d’éviter de passer son samedi après-midi dans la bousculade de certaines librairies. Pour d’autres au contraire, rien n’est comparable au plaisir de passer de longues heures à tâter et sentir les derniers romans ou essais et d’en discuter avec son libraire habituel.

Sans prétendre trancher ce débat, la progression du chiffre d’affaires des grandes librairies en ligne ces trois dernières années marque là encore de nouvelles habitudes de consommation du public. S’il ne s’agit pour l’instant que d’une nouvelle forme de distribution, la vraie révolution à venir est celle de l’ »ebook », autrement dit celle du livre électronique au contenu téléchargeable.

Pour l’instant il est évidemment déjà possible de télécharger des livres sur internet et de les imprimer chez soi ou de les lire directement sur son écran d’ordinateur. Mais la vrai révolution viendra sans doute d’entreprises comme Philips, avec la mise au point d’une encre électronique ou comme Sony, avec son livre électronique LIBRIe, qui sont en voie de concilier l’apparence du papier aux potentialités de l’électronique. En un seul livre, toute l’œuvre d’Alexandre Dumas, de Dostoievski ou de Georges Simenon … un tel ouvrage renverrait l’œuvre des encyclopédistes du 18ème siècle au rang d’aimables feuilletonistes !

Le moine copiste, la page empoisonnée et le gant de protection*

Les trois exemples précités illustrent les nouveaux défis auxquels les titulaires de droits d’auteur, qu’ils soient compositeurs, interprètes, écrivains, journalistes ou producteurs de musique, doivent faire face dès à présent et dans les années à venir. Ceci dit, que cela soit en matière de musique, d’informations ou de livres en ligne, ces œuvres s’accompagnent le plus souvent de « Digital Rights Management » (DRM), autrement dit de mesures techniques de protection.

Après la dissémination du savoir et de la culture, tant désirée depuis les moines copistes, le mouvement se dompte ou s’autocontrôle autour de la notion « d’utilisateur légitime ». Plus question de disséminer le savoir et la culture en dehors de ces limites strictes.

La nécessité d’adapter la législation sur le droit d’auteur à l’évolution des technologies et de trouver un nouvel équilibre entre ayants droit et consommateurs a conduit à l’adoption par le Parlement européen et le Conseil de la Directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes pour son retard, la Belgique n’a finalement transposé cette directive que le 22 mai 2005 en modifiant la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, celle sur les bases de données et le Code judiciaire.

Après avoir remodelé le droit de reproduction et de communication pour tenir compte de l’évolution technologique de la société de l’information, le législateur national a adapté certaines exceptions importantes au droit d’auteur et aux droits voisins. Il a également défini ce qu’on entend par mesures techniques de protection. Il s’agit de toute technologie, dispositif ou composant qui dans le cadre normal de son fonctionnement est destiné à empêcher ou à limiter en ce qui concerne les œuvres ou prestations, les actes non autorisées par les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins.

La nouvelle loi ne tranche toutefois pas nettement la question de l’équilibre entre l’exception pour copie privée au bénéfice des consommateurs et les mesures techniques de protection au bénéfice des titulaires de droit. En effet, la loi prévoit qu’une fois l’œuvre licitement publiée, l’auteur ne peut interdire la reproduction sur tout support autre que papier ou support similaire, d’œuvres, effectuée dans le cercle de famille et réservée à celui-ci. Se pose alors toute la question de la primauté, soit de la copie privée, soit du respect des mesures techniques de protection.

Nul lecteur quelque peu féru d’Internet ne peut aujourd’hui ignorer l’existence de logiciels Peer-to-Peer librement téléchargeables et des possibilités qu’ils génèrent en termes de téléchargement de musique ou de film. Ces logiciels et les pratiques de leurs adeptes a déjà donné lieu à un important contentieux notamment en France et aux Etats-Unis, mais beaucoup plus rarement en Belgique. Néanmoins en juillet 2003 déjà, l’Office belge de la propriété intellectuelle, dans une note rédigée à l’attention des membres de la Commission consultative des milieux intéressés par la rémunération pour copie privée s’exprimait en ces termes, « il n’est pas établi de manière certaine que de lege lata la reproduction à domicile d’œuvres et de prestations protégées mises illicitement à la disposition du public via Internet par exemple au moyen d’un logiciel de type « peer to peer » ne tombe pas dans le champ d’application pour copie privée prévues par les articles 22, §1er, 5°, et 46, 4° LDA ».

Autrement dit, selon cette note, le téléchargement d’œuvres sur Internet via un logiciel P2P réservées au seul usage du téléchargeur et de sa famille tomberait sans doute dans le champ d’application de l’exception pour copie privée. Mais, s’’il bénéficie de l’exception pour copie privée, le consommateur peut-il pour autant faire valoir cette exception comme un véritable droit subjectif à l’encontre d’une mesure technique de protection? C’est à cette question que deux juridictions belges, en première instance et en appel, ont récemment répondu par la négative.

L’affaire date de fin 2003. L’asbl Test Achats avait assigné Emi, Sony, Universal et Bertelsmann Music Group Belgium devant le président du Tribunal de première instance de Bruxelles pour obtenir la cessation de l’utilisation de procédés techniques qui contrôlent les copies de CD’s ce qui, selon elle, porterait atteinte à l’exercice des droits des consommateurs à la copie privée. Il était demandé, en outre, de retirer de la vente les CD’s munis de ce procédé technique et constater la violation du droit à la copie privée.

Confirmant la décision du premier juge, la Cour d’appel a fondé sa décision du 9 septembre 2005 sur le constat que selon elle, l’association n’a pas démontré que ce prétendu droit subjectif à la copie privée serait un droit d’auteur ou un droit voisin. L’exception de copie privée n’a pas pour effet de transférer à la personne qui effectue une copie privée un véritable droit. Il ne s’agit que d’une exception, donc d’une tolérance, rien de plus …

Une telle décision est-elle toujours d’actualité au regard de la nouvelle loi sur le droit d’auteur? On peut sérieusement en douter.

En effet, une nouvelle disposition vise les actions relatives à l’application des mesures techniques de protection. Elle prévoit notamment la compétence du président de première instance pour enjoindre aux ayants droit de prendre les mesures nécessaires permettant aux bénéficiaires des exceptions de bénéficier des dites exceptions dans la mesure nécessaire pour en bénéficier lorsque le bénéficiaire a un accès licite à l’œuvre ou à la prestation protégée.

Cette disposition, particulièrement alambiquée et indigeste, signifie qu’à condition que le Roi étende le bénéfice de cette action à l’exception pour copie privée, les bénéficiaires pourront intenter une action positive à l’encontre des ayants droit pour contrer une mesure technique de protection entravant cette fois ci ce qui devrait être considéré comme un “droit » à la copie privée. Autrement dit, un consommateur ayant acheté son CD dans une grande surface ou l’ayant emprunté auprès d’une institution de prêt constatant qu’il ne peut en faire une copie pour lui-même en raison d’une mesure technique de protection, pourrait intenter une action directe sur la base de cette nouvelle disposition contre l’éditeur de ce CD.

Il appartiendra toutefois aux cours et tribunaux de juger si cette nouvelle disposition est constitutive ou non d’un véritable droit subjectif dans le chef du bénéficiaire. Après le moine copiste, la page enduite de poison, voilà le gant de protection qui permettra peut-être de tourner les pages sans trépasser.

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