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Doctipharma l’emporte devant la CJUE. La Cour de cassation désavouée

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Un État membre ne peut interdire un service en ligne mettant en relation les pharmaciens avec les clients pour la vente de médicaments non soumis à prescription, que si le prestataire du service est jugé effectuer lui-même la vente alors qu’il n’est pas pharmacien. S’il n’est considéré que comme qu’un intermédiaire participant à la vente mais sans être lui-même le vendeur, son activité est distincte et relève de l’intermédiation qui doit être autorisée car il s’agit d’un service de la société de l’information.

Doctipharma : Une longue saga judiciaire

Le site Internet www.doctipharma.fr, exploité par la société Doctipharma SAS, permet aux internautes d’acheter, « à partir des sites d’officines de pharmacies » (ou, comme l’indique la juridiction de renvoi en d’autres termes, « auprès d’un pharmacien exploitant son site Internet de commerce à partir de la solution technique [de] Doctipharma »), des produits pharmaceutiques et des médicaments sans ordonnance.

La juridiction de renvoi décrit le fonctionnement de ce site Internet de la manière suivante.

  • L’internaute doit créer un compte client et remplir à cette fin un formulaire en fournissant des informations personnelles qui permettront de l’identifier et de lui faciliter l’accès aux sites Internet des pharmaciens de son choix.
  • Aux fins de la création du compte, l’internaute doit désigner le pharmacien auprès duquel il réalisera ses achats et rattachera son compte.
  • Le site Internet de Doctipharma présente les médicaments sans ordonnance sous forme de catalogue préenregistré que l’internaute peut « saisir » en vue d’une commande.
  • Ce site présente les médicaments proposés par les pharmacies sous forme de gammes de produits en indiquant leur prix et transmet la commande au pharmacien dont le site Internet est hébergé sur le site de Doctipharma.
  • Le paiement est effectué au moyen d’un système de paiement unique commun à l’ensemble des pharmacies associées.
  • Un message envoyé sur le compte client et à l’adresse mail de l’internaute ayant passé commande confirme la finalisation de la commande.

L’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) est une association qui regroupe des groupements d’officines pharmaceutiques. Elle considère que le procédé de vente en ligne proposé par Doctipharma aux pharmacies implique que cette société est un acteur du commerce électronique de médicaments et que, dans la mesure où celle-ci n’a pas la qualité de pharmacien, cette activité est illicite.

Par jugement du 31 mai 2016, le tribunal de commerce de Nanterre (France) a jugé que le site Internet de Doctipharma était illicite pour la vente de médicaments et a condamné, en substance, cette société à cesser le commerce électronique de médicaments sur ce site.

Doctipharma a interjeté appel devant la cour d’appel de Versailles (France) qui a infirmé ce jugement par un arrêt du 12 décembre 2017. Cette juridiction a, en effet, considéré que le site Internet de Doctipharma était licite, dans la mesure où les commandes des internautes, qui transitent seulement par la plateforme créée par Doctipharma en tant que support technique des sites Internet des pharmaciens d’officine, sont reçues par les pharmaciens eux-mêmes, sans que Doctipharma intervienne autrement dans leur traitement. Selon ladite juridiction, ce site permet de mettre directement en relation des clients et des pharmacies d’officine.

Par un arrêt du 19 juin 2019, la Cour de cassation (France) a annulé cet arrêt pour violation des articles L. 5125-25 et L. 5125-26 du code de la santé publique et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris (France), la juridiction de renvoi dans la présente affaire. Selon la Cour de cassation, il résulte de l’activité de Doctipharma, qui consiste notamment à mettre en relation des pharmaciens d’officine et des patients potentiels pour la vente de médicaments, que cette société a un rôle d’intermédiaire et participe ainsi au commerce électronique de médicaments sans disposer de la qualité de pharmacien, en violation de ces dispositions du code de la santé publique.

Des enjeux communautaires évidents

Par déclaration du 19 août 2019, Doctipharma a saisi la cour d’appel de Paris, en lui demandant ultérieurement d’adresser à la Cour plusieurs questions préjudicielles, portant, pour l’essentiel, sur l’interprétation de l’article 85 quater de la directive 2001/83 et sur le principe de libre circulation des services.

Doctipharma estime que son activité est une activité de conception et de maintenance techniques d’une solution mutualisée destinée à des pharmaciens d’officine, en vue de leur permettre d’éditer et d’exploiter leurs sites Internet de commerce électronique de médicaments sans ordonnance, conformément aux dispositions encadrant la vente en ligne de médicaments. Selon Doctipharma, les juridictions françaises doivent interpréter les articles L. 5125-25, alinéa 2, et L. 5125-26 du code de la santé publique à la lumière de l’article 85 quater de la directive 2001/83 afin de déterminer si la prohibition d’une intermédiation dans la vente de médicaments résultant de ces dispositions nationales doit s’appliquer à son activité.

En outre, Doctipharma fait valoir que la solution dégagée dans l’arrêt Asociación Profesional Elite Taxi (5) est fondée sur des circonstances spécifiques à cette affaire liées, notamment, à l’influence décisive exercée par la société Uber sur les conditions de prestation des chauffeurs et n’est, dès lors, pas transposable au litige au principal. Il en va de même, selon elle, de l’arrêt A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (6), étant donné que l’affaire ayant donné lieu à celui-ci concernait l’opposabilité des restrictions françaises en matière de publicité pour la vente de médicaments à une société ayant son siège dans un État membre autre que la France et qui les commercialise par l’intermédiaire de son site Internet à destination des consommateurs français et portait ainsi sur une problématique différente de celle en cause dans le litige au principal. Elle relève néanmoins que cet arrêt est pertinent en l’espèce, dans la mesure où la plateforme de vente en ligne de médicaments en cause dans cette affaire était un service de la société de l’information, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2000/31.

Dans le même ordre d’idées, en faisant référence à l’arrêt Asociación Profesional Elite Taxi (7), la juridiction de renvoi fait valoir, d’une part, que le service fourni par Doctipharma présente des caractéristiques différentes de celui visé dans cet arrêt dès lors que les pharmaciens d’officine sont, à la différence des chauffeurs non professionnels d’Uber, des professionnels de la vente de médicaments et, d’autre part, qu’il n’apparaît pas que Doctipharma intervienne dans la fixation du prix des médicaments. Quant à l’arrêt A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (8), la juridiction de renvoi indique qu’il ne porte pas sur les mêmes questions que celles soulevées dans le litige au principal, puisque cet arrêt concerne la compatibilité des restrictions françaises en matière de publicité des médicaments avec l’article 85 quater de la directive 2001/83.

Doctipharma est-il un service de la société de l’information ? Oui !

La première question posée par la juridiction de renvoi concerne la qualification de l’activité de Doctipharma, exercée via son site www.doctipharma.fr, comme un « service de la société de l’information » désignant tout service normalement fourni contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

La Cour a conclu que, sous réserve de vérifications complémentaires par la juridiction de renvoi, le service offert par Doctipharma doit être qualifié de « service de la société de l’information ».

Cette interprétation est conforme à la jurisprudence existante concernant les services qui mettent en relation des clients avec des prestataires de services de nature différente, et ce service est considéré comme distinct du service principal fourni par les prestataires.

La CJUE rappelle pour la Xème fois que le mode de financement (par le client final ou le pharmacien) est indifférent.

Le droit français est-il conforme au Code communautaire ? Non !

Les questions posées par la juridiction de renvoi, allant de la deuxième à la sixième, cherchent à déterminer si, selon l’article 85 quater de la directive 2001/83, les États membres ont le droit d’interdire un service en ligne qui connecte les pharmaciens aux clients pour la vente de médicaments non soumis à prescription via les sites Internet des pharmacies.

L’article 85 quater du Code communautaire sur les médicaments (à usage humain) stipule que les États membres doivent permettre la vente à distance de médicaments non soumis à prescription via des services de la société de l’information.

Les États membres ont la compétence de déterminer qui peut vendre des médicaments à distance, et ils peuvent imposer des sanctions à ceux qui offrent de tels médicaments sans autorisation. De plus, ils peuvent établir des conditions spécifiques pour la vente à distance, à condition que ces conditions soient justifiées par la protection de la santé publique.

Pour qu’un service comme celui offert par Doctipharma soit interdit par un État membre, il faudrait que la juridiction nationale détermine si Doctipharma, en fournissant son service de mise en relation, agit simplement comme un intermédiaire entre les pharmaciens et les clients, ou si elle doit être considérée comme le vendeur des médicaments.

  • Si Doctipharma est jugée être le vendeur, alors l’État membre pourrait justifier l’interdiction de ce service sur la base de l’article 85 quater, pour autant que Doctipharma ne soit pas autorisée à vendre des médicaments à distance selon la législation de cet État.
  • En revanche, si Doctipharma est considérée uniquement comme un intermédiaire fournissant un service de mise en relation distinct de l’acte de vente, alors ce service ne pourrait être interdit sur la base de l’article 85 quater. Cela signifierait que Doctipharma offre un service de la société de l’information conformément aux définitions des directives pertinentes, et que son activité ne relève pas des conditions de délivrance au détail qui pourraient être imposées par les États membres.

En conclusion, la directive 2001/83 permet aux États membres d’interdire la fourniture de services en ligne mettant en relation les pharmaciens avec les clients pour la vente de médicaments non soumis à prescription, mais seulement si le prestataire du service est jugé effectuer lui-même la vente sans l’autorisation ou l’habilitation requise par la législation nationale. Cette interprétation vise à équilibrer la facilitation de l’accès aux médicaments via les technologies de l’information avec la nécessité de protéger la santé publique en assurant que seuls les acteurs autorisés vendent des médicaments à distance.

Commentaires

Cet arrêt est un désaveu pour certains lobbies français de pharmaciens qui voulaient absolument maintenir un principe absolu de « vase clos » selon lequel le pharmacien doit avoir la maitrise de l’outil de vente en ligne, du début à la fin et de manière exclusive. Même si plusieurs observateurs avaient démontré que ce principe est de nature à nuire à la qualité de la vente en ligne (c’est un vrai métier, spécifique, et exiger que le pharmacien le maitrise exclusivement et totalement est, paradoxalement, de nature à créer un risque supplémentaire en terme de santé), ces lobbies y tenaient pour diminuer la pression concurrentielle (sur le prix notamment).

Cet arrêt est un désaveu de l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans ce dossier, car elle avait retenu une violation des articles L. 5125-25 et L. 5125-26 du code de la santé publique en considérant qu’il résulte de l’activité de Doctipharma que cette société a un rôle d’intermédiaire et participe ainsi au commerce électronique de médicaments sans disposer de la qualité de pharmacien, en violation de ces dispositions du code de la santé publique. C’est sur ce point essentiel que le droit français est désavoué : il ne suffit pas de participer au commerce électronique de médicaments sans disposer de la qualité de pharmaciens pour être sanctionné ; il faut déterminer qui est le « vendeur » et voir, ensuite, si ce vendeur est ou non un pharmacien.

Cet arrêt s’écarte également des conclusions de l’avocat général. Celui-ci avait tracé une ligne différente, suggérant de tolérer Doctipharma à moins qu’il soit démontré que son interdiction est à la fois apte et nécessaire à la protection de la santé publique. La cour est donc plus généreuse : si Doctipharma n’est pas identifié comme étant le vendeur, son activité doit être admise, point à la ligne.

Cet arrêt n’apaise pas ceux qui craignent des opérateurs de type Amazon. Si la présence de « boutiques de pharmaciens » (vendeurs tiers) sur Amazon n’est pas exclue par cet arrêt, au moins le site lui-même ne peut-il pas vendre de médicaments (sauf à trouver un État membre dans lequel il pourrait le faire sans avoir la qualité de pharmacien). C’est sur cette question que les enjeux les plus intéressants se situent désormais. Le diable est dans les détails et nous ne serions guère étonné de voir Amazon (et d’autres) tenter d’exploiter l’arrêt à la limite de l’acceptable, ce qui ferait naitre des tensions réelles et, surtout, créerait clairement des risques en termes de santé. Il ne faudrait pas créer une situation dans laquelle le vendeur reste le pharmacien (pour exploiter l’arrêt), mais avec délégation d’une nature et d’une ampleur telles que la prestation du pharmacien devienne, dans les faits, inexistante.

Droit & Technologies

Annexes

CURIA – Conclusions AG

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