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Dissolution du collectif Palestine Vaincra : quand l’inaction face à la haine devient une faute

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Le Conseil d’Etat a confirmé la dissolution du collectif « Palestine Vaincra ». D’une part, il estime que le positionnement politique du collectif, bien que radical, reste dans le cadre légal. D’autre part, il valide la dissolution en raison de l’absence de modération des commentaires haineux sous ses publications. Cette inaction a été jugée comme une provocation…

Le Conseil d’Etat a confirmé la dissolution du collectif « Palestine Vaincra ». D’une part, il estime que le positionnement politique du collectif, bien que radical, reste dans le cadre légal. D’autre part, il valide la dissolution en raison de l’absence de modération des commentaires haineux sous ses publications. Cette inaction a été jugée comme une provocation indirecte à la haine, justifiant ainsi la mesure prise par le gouvernement. Jugé que « si ses prises de position n’excèdent pas, en tant que telles, les limites de la liberté d’expression (…), les messages qu’il diffuse, radicaux et univoques, suscitent le dépôt, sur ses comptes ouverts sur les réseaux sociaux, de commentaires particulièrement agressifs et haineux ayant pour cible, sous couvert de viser les « sionistes », l’ensemble des citoyens israéliens de confession juive, et
parfois à connotation explicitement antisémite »
.

Les faits

Le Collectif Palestine Vaincra, un groupement militant pro-palestinien, a été dissous par un décret du 9 mars 2022 pris en Conseil des ministres.

Ce collectif a contesté cette dissolution devant le Conseil d’État, demandant son annulation. Il avançait plusieurs arguments, notamment une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté d’association garanties par la Convention européenne des droits de l’homme.

Le Conseil d’État, par une décision du 20 février 2025, a rejeté la requête et confirmé la dissolution du collectif.

Le cadre juridique

La dissolution a été fondée sur les articles L. 212-1 et L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure qui se lisent comme suit :

Article L. 212-1

Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

  1. Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
  2. Qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
  3. Qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ;
  4. Dont l’activité tend à provoquer la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ;
  5. Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.

Article L. 212-1-1

Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient.

Pour justifier la dissolution, le Conseil d’État raisonne en deux temps : le positionnement politique du collectif d’une part, et l’absence de modération des messages sur les réseaux sociaux d’autre part.

Le positionnement politique du collectif ne justifie pas sa dissolution

Le gouvernement accusait le collectif d’encourager le terrorisme en rendant hommage au Front Populaire de Libération de la Palestine et en contestant l’inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes.

« Il ressort des pièces du dossier que le groupement de fait « Collectif Palestine Vaincra », qui revendique soutenir la cause palestinienne sous toutes ses formes, y compris la lutte armée, exprime régulièrement sa sympathie, sur les réseaux sociaux, pour le Front populaire de libération de la Palestine, organisation reconnue comme terroriste par l’Union européenne, notamment en rendant hommage, lors de l’anniversaire de leur décès, à des membres de ce mouvement ayant été directement impliqués, par le passé, dans des actes de terrorisme. »

« Il a également exprimé, au travers d’un message, son indignation au sujet de l’inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes. »

L’arrêt égratigne la ligne politique du groupement qu’il n’apprécie pas, mais se refuse à dissoudre pour cette raison :

« Toutefois, ces prises de position, si contestables qu’elles soient, ne peuvent, en l’espèce, être regardées comme des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme, au sens des dispositions du 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat se montre extrêmement conciliant, peut-être en raison du contexte explosif de l’affaire, car l’état du droit positif lui permettait probablement de se montrer plus incisif. Le fait de soutenir par des actes positifs l’action terroriste, par exemple en organisant une célébration pour l’anniversaire de la mort d’une personne directement impliquée dans un acte terroriste, n’est-il pas déjà, en tant que tel, un allègre franchissement de la légalité ?

L’absence de modération des messages justifie la dissolution

Le Conseil d’État a validé la dissolution sur un autre fondement : l’inaction du collectif face aux discours haineux qu’il suscitait sur ses plateformes.

L’arrêt commence par relever que l’objet du collectif, ainsi que l’énonce sa charte constitutive, vise « la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain » (ce qui, pour ceux qui veulent bien consulter une carte, implique forcément la disparition de l’État d’Israël situé … entre les deux) et le combat contre l’État d’Israël « entité coloniale et raciste ».

L’arrêt relève aussi que cela se traduit en pratique par des « prises de position, exprimées notamment par l’intermédiaire de ses publications sur les réseaux sociaux » qui se « traduisent par un discours virulent prônant la disparition de l’État d’Israël. »

Inévitablement, ce genre de message provoque, par un effet d’entrainement, d’autres messages qui se font de plus en plus radicaux. C’est cela qui permet à l’arrêt de justifier la mesure de dissolution.

  • « Si l’antisionisme militant du groupement ne le conduit pas à tenir lui-même des propos à caractère antisémite, et si ses prises de position n’excèdent pas, en tant que telles, les limites de la liberté d’expression, les messages qu’il diffuse, radicaux et univoques, suscitent le dépôt, sur ses comptes ouverts sur les réseaux sociaux, de commentaires particulièrement agressifs et haineux ayant pour cible, sous couvert de viser les « sionistes », l’ensemble des citoyens israéliens de confession juive, et parfois à connotation explicitement antisémite. »
  • « De tels commentaires doivent être regardés comme des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence au sens des dispositions du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, imputables au groupement en application des dispositions de l’article L. 212-1-1 du même code dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il les aurait prévenus ou modérés à la hauteur des moyens dont il dispose. »

Commentaire : après l’arrêt Sanchez, l’arrêt ouvre une porte dans la lutte contre les discours haineux

L’arrêt commenté est à mettre en parallèle avec l’arrêt Sanchez de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme qui concernait la condamnation pénale d’un membre du Rassemblement National (France), candidat aux élections législatives, à qui il était reproché de n’avoir pas promptement supprimé la publication de messages de tiers qui régissaient, sur le mur Facebook du candidat, à des propos polémiques de celui-ci.

Les deux affaires ne sont pas identiques par rapport aux faits, mais il y néanmoins un point commun : dans l’affaire Sanchez, c’est également le manque de vigilance et de réaction de l’élu à l’égard des commentaires publiés par des tiers qui posait problème.

L’élu se défendait sur le thème « ce n’est pas moi », mais les juges français lui avaient rétorqué, en substance, qu’il devait se douter que ses propres propos, polémiques, allaient créer un enchainement de haine d’autant plus certain qu’on était en période électorale, et que l’absence de modération ne pouvait qu’avoir un aspect incitatif à « se lâcher » ce qui s’était bien entendu produit à travers des messages haineux explicites à l’agard d’une communauté.

Danss on communiqué, la CEDH (arrêt de grande chambre) relevait :

« Le requérant ayant décidé de rendre l’accès au mur de son compte Facebook public et d’avoir ainsi « autorisé ses amis à y publier des commentaires », la Cour relève ensuite qu’il ne pouvait ignorer, compte tenu du contexte local et électoral tendu qui existait à l’époque des faits, qu’une telle option était manifestement lourde de conséquences.

La Cour conclut, compte tenu de la marge d’appréciation de l’État défendeur, que les décisions des juridictions internes reposaient sur des motifs pertinents et suffisants, tant au regard de la responsabilité du requérant, en sa qualité d’homme politique, pour les commentaires illicites publiés par des tiers, eux-mêmes identifiés et poursuivis comme complices, qu’en ce qui concerne sa condamnation pénale. Dès lors, l’ingérence litigieuse peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ». Il n’y a donc pas eu violation de l’article 10 de la Convention. »

C’est donc le même raisonnement qui justifie l’ingérence dans les droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la restriction de la liberté d’expression ou de l’interdiction d’un collectif. Ce raisonnement est mieux connu sous le proverbe « qui sème le vent récolte la tempête » et pourrait être formulé comem suit : celui qui, par des propos qui ne sont pas clairement illicites ou flirtent avec la légalité, incite néanmoins les tiers à commenter sans modération, crée un effet d’enchaînement qui peut lui être reproché.

Plus d’infos en lisant l’arrêt commenté du Conseil d’État, ou l’arrêt Sanchez, tous les deux disponibles en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

AFFAIRE SANCHEZ c. FRANCE

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