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Deux décisions sévères contre la vidéosurveillance

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A deux reprises, la CEDH vient de s’opposer à la vidéosurveillance, y voyant une ingérence tantôt illicite, tantôt disproportionnée. Même lorsque la surveillance a pour but d’identifier parmi les membres du personnel l’auteur de vols avérés, la Cour estime qu’il y avait moyen de mieux concevoir la mesure.

Dans la première affaire (requête no 70838/13), deux professeurs de l’École de mathématiques de l’Université du Monténégro, Nevenka Antović et Jovan Mirković, critiquaient l’installation d’un système de vidéosurveillance dans leurs lieux d’enseignement. Ils soutenaient qu’il n’y avait eu aucun contrôle effectif sur les informations collectées et que la surveillance était illégale. Les tribunaux internes rejetèrent leur action, considérant que les amphithéâtres où ils enseignaient étaient des lieux publics et qu’en conséquence question de vie privée ne se posait.

Après avoir rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle la « vie privée » peut inclure les activités professionnelles, la CEDH juge que la vidéosurveillance constituait une ingérence illicite violant le droit interne car les tribunaux nationaux n’avaient même pas cherché à trouver une justification légale pour la surveillance (ils avaient décidé dès le départ qu’il n’y avait aucune atteinte à la vie privée).

La seconde affaire (requête no 1874/13) concerne la vidéosurveillance dissimulée d’employées d’une chaîne espagnole de supermarchés, mesure qui était destinée à faire la lumière sur des soupçons de vol. Les requérantes furent licenciées principalement sur le fondement de ces enregistrements vidéo, admis en tant que preuve par les juridictions espagnoles.

La Cour conclut qu’en vertu de la législation espagnole il aurait fallu faire savoir aux requérantes qu’elles avaient été placées sous surveillance, mais que ce ne fut pas le cas. Elle estime qu’il existait d’autres moyens de protéger les droits de l’employeur et que celui-ci aurait pu à tout le moins communiquer aux requérantes des informations générales concernant la surveillance. Les juridictions nationales n’ont donc pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et les droits patrimoniaux de l’employeur.

L’affaire Ribalda en détail

Les requérantes, Isabel López Ribalda, María Ángeles Gancedo Giménez, María Del Carmen Ramos Busquets, Pilar Saborido Apresa et Carmen Isabel Pozo Barroso sont cinq ressortissantes espagnoles qui sont nées respectivement en 1963, 1967, 1969 et 1974 et résident à Sant Celoni et Sant Pere de Vilamajor (Mme Pozo Barroso), en Espagne.

(L’affaire concerne la vidéosurveillance dissimulée des requérantes sur leur lieu de travail.) En juin 2009, les requérantes occupaient toutes un emploi de caissière chez M.S.A., une chaîne de supermarchés familiale. La vidéosurveillance fut mise en place par leur employeur qui souhaitait faire la lumière sur des soupçons de vol après que le directeur du magasin avait remarqué des incohérences entre le niveau des stocks et les chiffres des ventes quotidiennes.

L’employeur installa des caméras visibles et des caméras cachées. L’entreprise informa ses salariés de l’installation des caméras visibles mais ne leur dit rien de la présence de caméras cachées et les salariés ne surent donc jamais qu’ils étaient filmés. Tous les salariés soupçonnés de vol furent convoqués à des entretiens individuels lors desquels on leur montra les vidéos. Les caméras avaient filmé les requérantes en train d’aider des clients et des collègues à voler des articles et d’en voler elles-mêmes.

Les requérantes reconnurent avoir pris part aux vols et furent licenciées pour motifs disciplinaires.

Trois des cinq requérantes signèrent un accord par lequel elles reconnurent leur participation aux vols et renoncèrent à contester leur licenciement devant les juridictions du travail, tandis que l’entreprise qui les avait employées s’engagea à ne pas lancer de procédure pénale à leur endroit. Les deux autres requérantes ne signèrent pas d’accord. Toutes les requérantes finirent par saisir la justice, mais leurs licenciements furent confirmés en première instance par les juridictions du travail puis en appel par le Tribunal supérieur de justice. Les tribunaux admirent les enregistrements vidéo comme éléments de preuve, considérant qu’ils avaient été obtenus légalement.

Le droit espagnol impose d’informer clairement les individus sur le stockage et le traitement des données personnelles mais les requérantes n’ont pas été dûment informées. Les juridictions nationales ont conclu que ce manquement était justifié par l’existence de soupçons raisonnables de vol et par l’absence d’autre moyen qui aurait permis de protéger suffisamment les droits de l’employeur tout en portant moins atteinte à ceux des requérantes.

La Cour note qu’elle n’a pas conclu à une violation dans l’affaire Köpke c. Allemagne, qui concernait également la vidéosurveillance secrète d’une salariée. Cependant, dans cette affaire, le droit interne ne contenait pas de disposition claire sur la question et la surveillance avait été limitée. Dans la présente espèce, tous les salariés ont été surveillés pendant plusieurs semaines, pendant toute leur journée de travail.

La Cour ne partage pas l’appréciation des juridictions nationales quant à la proportionnalité de la mesure. Elle estime que la surveillance n’était pas prévue par le droit espagnol, en particulier s’agissant de la notification, et qu’il aurait été possible de protéger au moins dans une certaine mesure les droits de l’employeur en recourant à d’autres moyens. L’entreprise aurait par exemple pu communiquer aux requérantes des informations générales sur la surveillance et procéder à la notification requise au titre de la loi sur la protection des données personnelles.

La Cour conclut que les juridictions nationales n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les droits en jeu et qu’il y a eu violation de l’article 8 à l’égard des requérantes.

L’affaire Antovic en détail

Les requérants sont des ressortissants monténégrins. Ils résident à Podgorica.

En février 2011, le doyen de l’École de mathématiques annonça qu’il avait décidé de faire installer des caméras de surveillance à plusieurs endroits, notamment dans les amphithéâtres où les cours se déroulaient. Une décision rendue plus tard dans le mois précisait que la mesure visait à protéger les personnes et la propriété, ainsi qu’à surveiller l’enseignement.

En mars, Mme Antović et M. Mirković se plaignirent auprès de l’Agence de protection des données personnelles, soutenant que la vidéosurveillance et donc la collecte de données les concernant avaient lieu sans leur consentement. Ils ajoutèrent qu’ils ne voyaient aucun motif de se préoccuper de la sécurité de qui que ce fût et qu’il existait d’autres moyens de protéger les personnes et la propriété. Ils demandèrent également l’enlèvement des caméras.

Deux inspecteurs de l’Agence prirent d’abord position en faveur de l’École, mais, après objection de Mme Antović et M. Mirković, le conseil de l’Agence décida que la mesure en question n’était pas conforme à la loi monténégrine sur la protection des données personnelles. Le conseil considéra qu’il n’existait aucune raison valable justifiant la vidéosurveillance, car il n’y avait pas de danger pour les personnes et la propriété. Il nota aussi que la surveillance de l’enseignement ne figurait pas parmi les justifications prévues par la loi pour une telle mesure. Il ordonna l’enlèvement des caméras, qui fut effectué à la fin du mois de janvier 2012.

En janvier 2012, Mme Antović et M. Mirković demandèrent réparation en justice, invoquant l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale) et le droit national. Les tribunaux rejetèrent toutefois leur demande, jugeant que la question de la vie privée ne se posait pas, car les amphithéâtres où Mme Antović et M. Mirković enseignaient étaient des lieux publics. De plus, pour ce même motif, les données collectées par la vidéosurveillance en cause n’étaient pas des données personnelles.

La Cour commence par rejeter l’argument selon lequel aucune question relative à la vie privée des deux professeurs ne se posait, parce que la zone sous surveillance serait un lieu public de travail.

La Cour note qu’elle a considéré auparavant que la « vie privée » pouvait inclure les activités professionnelles.

La Cour rappelle ensuite qu’elle a considéré dans sa jurisprudence antérieure que la notion de vie privée pouvait inclure les activités professionnelles ou les activités qui ont lieu dans un contexte public. Elle observe que les amphithéâtres universitaires sont les lieux de travail des professeurs, où ceux-ci non seulement enseignent, mais aussi interagissent avec les étudiants, développent des relations avec autrui et forgent leur identité sociale. Elle a déjà jugé auparavant que la vidéosurveillance secrète au travail constituait une intrusion dans la vie privée de l’employé et elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion dans le cas d’une surveillance non secrète sur le lieu de travail. Par conséquent, la vie privée de Mme Antović et M. Mirković était en jeu et la vidéosurveillance était une ingérence dans l’exercice de leurs droits.

De plus, les tribunaux internes n’ont pas examiné la légalité de la mesure, puisque, dès le départ, ils ont estimé qu’aucune question relative à la vie privée ne se posait. Pourtant, l’Agence de protection des données avait été d’avis qu’il y avait ingérence et que celle-ci n’était pas prévue par la loi. Par exemple, la législation interne disposait que des caméras vidéo pouvaient être utilisées pour surveiller les zones d’accès à des locaux officiels, alors qu’en l’espèce de telles caméras avaient été installées dans des amphithéâtres.

La législation interne prévoyait aussi que la surveillance pouvait avoir lieu si le but de la mesure, par exemple la prévention des dangers pour la propriété ou les personnes, ne pouvait pas être atteint autrement. L’Agence de protection des données n’avait pas établi l’existence d’un tel danger et l’autre motif cité à l’appui de la mesure, la surveillance de l’enseignement, n’était pas du tout une des justifications prévues par la loi.

Partant, la Cour conclut que la vidéosurveillance en cause n’était pas prévue par la loi et qu’il y a donc eu violation de l’article 8.

Commentaires et infos

Si l’arrêt monténégrin était prévisible, la décision espagnole est plus interpellante. Certes, le droit espagnol semble n’avoir pas été respecté à la lettre. Mais la Cour va au-delà : elle s’immisce dans l’analyse très fine de la proportionnalité de la mesure pour conclure « qu’il aurait été possible de protéger au moins dans une certaine mesure les droits de l’employeur en recourant à d’autres moyens. L’entreprise aurait par exemple pu communiquer aux requérantes des informations générales sur la surveillance et procéder à la notification requise au titre de la loi sur la protection des données personnelles ». En théorie, c’est vrai. En pratique, la mesure avait pour but d’identifier des employés-voleurs à la suite d’un nombre important de larcins … Le message est donc le suivant : aussi légitime que soit la finalité de la mesure et même si elle s’inscrit dans une posture de défense face à ce qui peut être qualifié d’agression, le test de proportionnalité doit être réalisé avec le plus grand soin.

Plus d’infos en lisant les deux arrêts, disponibles en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt Antovic et Mirkovic

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