Déposer une marque n’est pas un acte banal : la CJUE le rappelle sévèrement
Publié le 20/06/2012 par Etienne Wery
Les produits ou services doivent être identifiés par le demandeur avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques, sur cette seule base, de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque. Les mots importants sont : « sur cette seule base ».
Les apparences sont souvent trompeuses : il est aisé d’enregistrer une marque en ligne. En quelques minutes, l’affaire est dans le sac.
Pourtant, contrairement aux apparences, déposer une marque n’est pas un acte banal :
- Par le dépôt, le titulaire acquiert une protection.
- Par le dépôt, le titulaire restreint la protection au territoire choisi et aux produits ou services décrits.
En l’état actuel du droit des marques, le dépôt est donc ni plus ni moins (1) la condition sine qua non de la protection et (2) le périmètre de la protection.
Décrire le produit ou le service : étape essentielle
En pratique, on constate un déficit de qualité énorme dans la description du produit ou du service.
Paradoxalement, le problème découle indirectement d’une tentative, louable, d’améliorer la qualité de l’enregistrement en créant des « classes ».
Au niveau international, le droit des marques est régi par la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle. Cette convention a servi de base pour l’adoption de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques.
La classification de Nice contient, depuis le 1 er janvier 2002, 34 classes de produits et 11 classes de services. Chaque classe est désignée par une ou plusieurs indications générales, appelées communément « intitulé de classe », qui indiquent de manière générale les domaines dont relèvent, en principe, les produits ou les services de cette classe. La liste alphabétique des produits et des services comporte environ 12 000 entrées.
La paresse de l’être humain étant ce qu’elle est, de plus en plus de déposants cochent simplement la classe dans laquelle se trouve le produit ou le service qui les intéresse, oubliant que l’enregistrement circonscrit véritablement la protection sollicitée.
Cela donne parfois des résultats surprenants : celui qui coche simplement la classe 12 met dans le même sac les voitures, les avions, les charrettes de golf, les poussettes d’enfants, les sirènes d’alarme de voiture et les boyaux des roues de vélo.
L’affaire CIPA
Comme souvent, les cordonniers sont les plus mal chaussés si l’on en croit l’affaire CIPA récemment jugée par la CJUE.
Le 16 octobre 2009, le Chartered Institute of Patent Attorneys (« CIPA ») a introduit une demande d’enregistrement de la dénomination « IP TRANSLATOR » en tant que marque nationale. Pour identifier les services concernés par cet enregistrement, le CIPA a utilisé les termes généraux de l’intitulé d’une classe de la classification de Nice, à savoir « Éducation ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles ».
Par décision du 12 février 2010, le Registrar of Trade Marks (autorité compétente en matière d’enregistrement des marques au Royaume-Uni) a rejeté cette demande sur la base des dispositions nationales transposant la directive sur les marques. En effet, le Registrar a interprété la demande, de façon globale, conformément à une communication de l’OHMI. Il a conclu qu’elle couvrait non seulement des services du type précisé par le CIPA, mais également tout autre service relevant de cette classe de la classification de Nice, y compris les services de traduction.
Dès lors, pour ces derniers services, la dénomination « IP TRANSLATOR », d’une part, serait dépourvue de caractère distinctif et, d’autre part, aurait un caractère descriptif. En outre, il n’existerait pas de preuve que le signe verbal « IP TRANSLATOR » ait acquis, avant la date de la demande d’enregistrement, un caractère distinctif par l’usage en ce qui concerne les services de traduction. Le CIPA n’aurait pas non plus demandé que ces services soient exclus de sa demande d’enregistrement de la marque.
Le CIPA a fait appel de cette décision en soutenant que sa demande d’enregistrement n’indiquait pas et donc ne couvrait pas les services de traduction. Pour cette raison, les objections à l’enregistrement formulées par le Registrar seraient erronées et la demande de CIPA aurait été rejetée à tort.
La High Court of Justice (Royaume-Uni), saisie du litige, interroge la Cour de justice sur les exigences requises de clarté et de précision pour l’identification des produits et des services pour lesquels est demandée la protection par la marque et sur la possibilité d’utiliser, à cette fin, des indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice.
L’arrêt de la CJUE
Par son arrêt de ce jour, la Cour souligne en premier lieu que la directive sur les marques doit être interprétée en ce sens qu’elle exige que les produits ou les services pour lesquels la protection par la marque est demandée soient identifiés par le demandeur avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques, sur cette seule base, de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque.
Les mots importants sont : « sur cette seule base ».
En effet, d’une part, les autorités compétentes doivent connaître avec suffisamment de clarté et de précision les produits ou les services visés par une marque afin d’être en mesure de remplir leurs obligations relatives à l’examen préalable des demandes d’enregistrement ainsi qu’à la publication et au maintien d’un registre approprié et précis des marques. D’autre part, les opérateurs économiques doivent pouvoir s’assurer avec clarté et précision des enregistrements effectués ou des demandes d’enregistrement formulées par leurs concurrents actuels ou potentiels et bénéficier ainsi d’informations pertinentes concernant les droits des tiers.
En deuxième lieu, la Cour juge que la directive ne s’oppose pas à l’utilisation des indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice, afin d’identifier les produits et les services pour lesquels la protection par la marque est demandée. Pourtant, une telle identification doit être suffisamment claire et précise pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de déterminer l’étendue de la protection demandée. Dans ce contexte, la Cour relève que certaines des indications générales figurant aux intitulés de classes de la classification de Nice sont, en elles-mêmes, suffisamment claires et précises, alors que d’autres sont trop générales et recouvrent des produits ou des services trop variés pour être compatibles avec la fonction d’origine de la marque. Dès lors, il appartient aux autorités compétentes d’effectuer une appréciation au cas par cas, en fonction des produits ou des services pour lesquels le demandeur sollicite la protection conférée par la marque, afin de déterminer si ces indications satisfont aux exigences de clarté et de précision requises.
Enfin, la Cour précise que le demandeur d’une marque nationale qui utilise toutes les indications générales de l’intitulé d’une classe particulière de la classification de Nice pour identifier les produits ou les services pour lesquels la protection de la marque est demandée doit préciser si sa demande vise l’ensemble des produits ou des services répertoriés dans la liste alphabétique de cette classe ou seulement certains de ces produits ou services. Au cas où la demande porterait uniquement sur certains produits ou services, le demandeur est obligé de préciser quels produits ou services relevant de cette classe sont visés. Ainsi, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si le CIPA, lorsqu’il a utilisé toutes les indications générales de l’intitulé d’une classe de la classification de Nice, a précisé dans sa demande si elle couvrait ou non l’ensemble des services de cette classe et, en particulier, si sa demande visait ou non les services de traduction.