De l’importance de bien rédiger les conditions générales …
Publié le 02/08/2016 par Etienne Wery
Les clauses stipulant que « seule la loi du pays du commerçant est applicable », sont fréquentes sur les sites de commerce électronique. Dans les contrats de consommation, une telle clause est incomplète car la réalité juridique est beaucoup plus subtile. Pour la Cour de justice, pareille clause est à ce point incomplète qu’elle en est abusive et peut donc être annulée.
L’importance de la loi applicable
Depuis toujours, la question de la loi applicable aux contrats de consommation est une bouteille à encre. Derrière les enjeux juridiques, il y a des questions économiques :
· Les commerçants ont évidemment envie d’offrir leurs services et produits au plus grand nombre possible. C’est une question de rentabilité.
· De leur côté, les consommateurs hésitent à s’approvisionner sur un site qui n’est pas du même pays qu’eux, parce qu’ils ont peur. Les études montrent que même sur Internet les flux restent largement nationaux, en raison de la crainte des consommateurs d’être confrontés à un commerçant éloigné d’eux, contre qui ils seront démunis.
· Les commerçants comprennent bien mais néanmoins, surtout s’ils sont de taille modeste, ils sont eux aussi inquiets de devoir faire face à des consommateurs venant de pays différents et invoquer des règles différentes.
La quadrature du cercle en quelque sorte…
La réponse juridique
Pour s’en sortir, le législateur européen a harmonisé autant que possible les règles applicables, de telle sorte qu’aussi bien pour les commerçants que les consommateurs, le risque de très grosse surprise est limité. Qu’il s’agisse du droit de rétractation, des étapes d’une commande, du remboursement, etc., le droit a été largement harmonisé.
Harmonisé oui, mais pas identique. Il reste des divergences entre Etats. Parfois, certaines règles nationales sont même considérées comme tellement importantes que le consommateur ne peut pas y renoncer.
On en arrive donc à une situation subtile dans laquelle les parties ont en principe la liberté de choisir le droit applicable, étant entendu que le choix de la loi applicable (licite) ne peut pas avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable en l’absence de choix.
Les clauses mal rédigées
Dans l’affaire soumise à la Cour de justice, la filiale luxembourgeoise de la société bien connue Amazon, impose des conditions générales qui stipulent notamment ce qui suit : « Le droit luxembourgeois s’applique à l’exclusion de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM). »
Si l’on a compris la réponse juridique ci-dessus, on a aussi compris que cette phrase est un raccourci.
Concrètement, si un consommateur français achète sur le site luxembourgeois d’Amazon, il pourra faire malgré tout valoir les lois françaises impératives de protection du consommateur auxquelles le droit français prévoit qu’il ne peut pas être dérogé.
Pourtant, des clauses comme celles reproduites ci-dessus sont fréquentes.
Pourquoi ? Il y a deux explications. L’explication optimiste tout d’abord : si la clause est ainsi rédigée, c’est tout simplement parce qu’il est extrêmement difficile d’expliquer toutes les subtilités du régime dans une clause qui doit être comprise par un consommateur moyen. L’explication pessimiste ensuite : si la clause est ainsi rédigée, c’est afin de servir d’arme de dissuasion en cas de problème avec un consommateur.
L’arrêt rendu
La Cour de justice était invitée à se prononcer sur la validité de la clause reproduite ci-dessus, au regard de la directive sur les clauses abusives (C-191/15).
Elle rappelle qu’une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (ce qui est le cas d’un contrat d’adhésion) est considérée comme abusive lorsqu’elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur.
Elle rappelle ensuite que la législation de l’Union autorise en principe les clauses de choix de la loi.
Ceci dit, elle souligne aussitôt la limite à cette liberté de choix : la liberté ne vaut qu’à condition que soit assuré le respect de la protection dont le consommateur bénéficie en vertu des dispositions de la loi de son for auxquelles il ne peut être dérogé par accord.
La clause est donc incomplète.
Est-elle abusive pour autant ?
La Cour rappelle que le caractère abusif d’une clause peut découler d’une formulation ne satisfaisant pas à l’exigence d’une rédaction claire et compréhensible énoncée à l’article 5 de la directive 93/13. Cette exigence doit, compte tenu de la situation d’infériorité dans laquelle se trouve le consommateur à l’égard du professionnel s’agissant, notamment, du niveau d’information, faire l’objet d’une interprétation extensive.
La Cour poursuit en estimant que lorsque les effets d’une clause sont déterminés par des dispositions législatives impératives, il est d’autant plus essentiel que le professionnel informe le consommateur de ces dispositions. Tel est le cas de la limite décrite ci-dessus par rapport à la liberté de choix de la loi applicable dans les contrats de consommation.
Il en résulte, selon la Cour, « qu’une clause des conditions générales de vente d’un professionnel, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, selon laquelle la loi de l’État membre du siège de ce professionnel régit le contrat conclu par voie de commerce électronique avec un consommateur, est abusive pour autant qu’elle induise ce consommateur en erreur en lui donnant l’impression que seule la loi de cet État membre s’applique au contrat, sans l’informer du fait qu’il bénéficie également, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du règlement n° 593/2008, de la protection que lui assurent les dispositions impératives du droit qui serait applicable en l’absence de cette clause, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. »
Conséquences et recommandations
Ayant été déclaré abusive, la clause est nulle.
Il en résulte une situation extrêmement défavorable pour le commerçant. Puisqu’il n’y a plus de clause relative à la loi applicable, le consommateur va invoquer l’intégralité de son droit national. Le commerçant se retrouve dans la pire des situations pour lui : le risque de devoir faire face à une diversité de règles et de pratiques pour tout ce qui n’a pas été harmonisé au niveau européen.
Il n’y a donc qu’une seule recommandation à donner : mieux rédiger la clause. La qualité de la rédaction est le prix à payer par le commerçant pour assurer sa tranquillité.