De Chronopost à Faurecia : les clauses exonératoires de responsabilité sous la loupe
Publié le 25/10/2010 par Michel Pasotti
La saga judiciaire opposant l’équipementier automobile à l’éditeur de logiciels s’est enfin achevée le 29 juin 2010. L’arrêt rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation est important. Nous en avons déjà parlé. Par sa vaste portée, il dépasse le domaine des contrats informatiques pour concerner l’ensemble des clauses limitatives de responsabilité.
Un rappel du mouvement de balancier jurisprudentiel (1) illustre la valeur de cette solution amère mais équilibrée (2).
Le balancier jurisprudentiel : contradiction-manquement-contradiction
Dès 1996 avec la jurisprudence Chronopost, la Cour de Cassation avait réputée non-écrite la clause de responsabilité limitée du transporteur, dès lors que celui-ci avait manqué à son obligation essentielle.
En l’espèce, celle-ci consistait à livrer des plis dans un délai déterminé.
La Haute juridiction relevait : « la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».
Une fois la brèche ouverte, de nombreux clients mécontents s’efforcèrent de faire « sauter » les clauses limitant la responsabilité de leurs fournisseurs.
C’est précisément ce que fit Faurecia contre Oracle.
Dans cette affaire, l’éditeur de logiciels n’avait pas respecté son engagement de livrer la version V12 de son progiciel en septembre 1999. Il ne l’avait pas fait plus tard non plus.
Par son arrêt rendu le 13 février 2007, la Chambre Commerciale a considéré que, en l’absence de cas de force majeure, le non-respect du calendrier de livraison par la société Oracle constituait « un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».
Le non-respect du calendrier de livraison était ainsi constitutif du manquement à une obligation essentielle du fournisseur. Et un « simple » manquement était devenu suffisant.
Mais n’était-ce pas aller trop loin ? Et sacrifier la sécurité juridique et les prévisions des cocontractants sur l’autel de la défense de la partie faible, du client floué ?
C’est précisément ce que vient nous dire l’arrêt du 29 juin 2010.
La Haute juridiction précise : « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ».
Désormais, pour être écartée, la clause limitative de responsabilité doit contredire la portée de l’obligation essentielle. Elle doit la vider de toute substance. Un manquement ne suffit plus.
C’est donc un retour à la règle posée par jurisprudence Chronopost.
Une solution amère mais équilibrée : les éditeurs ne sont pas des transporteurs rapides !
Incontestablement, la décision du 29 juin 2010 sonne la fin de la récréation. Du moins pour les clients mécontents.
Et ceux qui ont souffert du fait de promesses de délais non respectées sont légion. Dans l’industrie informatique, les projets et logiciels livrés dans les temps sont rares. Ils importaient de « moraliser » les pratiques et de sanctionner la mauvaise foi.
De ce fait, la 1ère jurisprudence Faurecia suscitait la sympathie générale, tout au moins chez les clients 7du secteur informatique.
Pour autant, le contrat ne doit pas perdre sa force et ses effets doivent rester prévisibles. Seules des situations rares, « extrêmes », peuvent justifier le forçage du contrat par le juge, notamment en réputant non-écrite une clause.
Avec sagesse, la Haute Juridiction a donc fait machine arrière le 29 juin 2010.
Mais la règle posée en 1996 joue ici en sens inverse. Selon la Chambre Commerciale, le non-respect des délais n’est pas, en soi, suffisant pour contredire l’obligation essentielle d’un éditeur de logiciels.
L’industrie du logiciel n’est pas celle du transport rapide !
La force contraignante des contrats est donc sortie victorieuse du bras de fer avec la morale. Les utilisateurs floués (et imprudents) sont les perdants.
Plus que jamais, la vigilance s’impose avant toute signature. Les négociations pré-contractuelles et leurs arcanes ont encore quelques beaux jours devant elles …