Coronavirus : le grand gagnant est … la télémédecine
Publié le 16/03/2021 par Etienne Wery , Camille Bourguignon
Longtemps décriée, la télémédecine s’impose non seulement sur le plan médical individuel, mais aussi en tant que composante importante d’une politique globale et efficace de santé publique. Les pays trop frileux qui n’ont pas encore adopté de cadre juridique s’en mordent les doigts car leurs praticiens, déjà débordés, évoluent pour l’instant dans le flou
Les instructions des pouvoirs publics sont très claires : si vous pensez être atteint du coronavirus, n’allez surtout pas à l’hôpital ou chez votre médecin. Vous risquez de contaminer des patients sains dans la salle d’attente si vous êtes porteur ou, à l’inverse, d’attraper un virus que vous n’avez pas en côtoyant une population malade.
À la place, il est recommandé d’appeler le médecin ou les services de secours. Ceux-ci feront un tri sur la base des informations communiquées par téléphone. Le suivi du patient se fera également, autant que possible, à distance.
Inutile de tourner autour du pot : c’est de la télémédecine.
Les différents pays de l’Union européenne ont, sur ce plan, des pratiques très variables.
En France
Les autorités ont mis en place un cadre juridique qui pose un certain nombre de critères de qualité, fixe les limites et encadre la pratique de façon très stricte. L’objectif de la réglementation est clair : créer un équilibre entre l’émergence d’une nouvelle pratique qui peut apporter plusieurs bienfaits à la santé publique, sans créer pour autant de risques sur le plan qualitatif.
La télémédecine est donc en France une composante de la télésanté. Selon le code de santé publique (art. L.6316-1), elle est « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. »
Selon l’article 78 de la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 dite « HPST » (hôpital, patients, santé et territoires), la télémédecine permet d’établir « un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients ».
En d’autres termes, la télémédecine couvre principalement les domaines suivants :
- La téléconsultation (acte médical et action synchrone car le patient et le médecin se parlent, dans le but de poser une évaluation du patient en vue de définir la conduite à tenir).
- La téléexpertise (mise en relation de professionnels pour discuter ou affiner un avis, c’est-à-dire un acte médical et une action asynchrone car le patient et médecin ne se parlent pas).
- La télésurveillance (interprétation à distance, par un professionnel médical, des données recueillies sur le lieu de vie du patient).
- La téléassistance (aide à distance donnée par un professionnel à un autre au cours de la réalisation d’un acte médical).
- La régulation (réponse médicale par les services de secours, face à une situation donnée).
La France a osé aller au bout de la logique : la téléconsultation y est remboursée par l’assurance maladie depuis le 15 septembre 2018, à l’instar des consultations « classiques ».
En Belgique
L’heure a beau ne pas être à la querelle, il est piquant d’entendre les pouvoirs publics supplier la population et les praticiens de recourir à la télémédecine, sachant qu’aucun cadre juridique concret n’existe, ni aucun référentiel pratique.
On peut donc légitimement se demander sur quelle base juridique le médecin donne un avis par téléphone …
La situation est extrêmement inconfortable pour les praticiens et les patients :
- Du côté des médecins, sollicités en première ligne et travaillant jusqu’au bout de leurs forces, cela crée des inquiétudes : les erreurs de diagnostic seront-elles couvertes par la RC professionnelle ? Puis-je échanger des données médicales via des SMS ou des échanges WhatsApp alors qu’on me met en garde depuis des années contre ces technologies non-sécurisées ? Puis-je prendre en charge à distance un patient que je ne connais pas (ou pas bien) ? Quelle tarification et code Inami dois-je appliquer ? Est-ce que je viole une autre loi en faisant cela, par exemple le redouté RGPD ? etc.
- Du côté des patients, il faut d’abord s’habituer en pleine crise à une forme de médecine totalement inconnue et se demander ensuite comment se fera la prise en charge de la consultation à distance pour laquelle il n’y avait ni tarification ni code ?
En urgence, le comité de l’assurance de l’Inami a donné son feu vert ce 16 mars 2020 pour deux nouveaux numéros de nomenclature liés au coronavirus : les nouveaux 101990 et 101135 concernent respectivement l’avis à distance en vue du triage COVID-19 et l’avis à distance en vue de la continuité des soins liées au COVID-19. Le coût de 20 euro est intégralement pris en charge par la sécurité sociale. Cette nouvelle nomenclature entrera en vigueur rétroactivement au 14 mars et démontre, si besoin était, qu’un dossier enterré depuis des années peut se débloquer en quelques heures …
Si la Belgique est en retard, c’est principalement en raison de la frilosité de la profession elle-même.
Longtemps opposé par principe à la télémédecine, le Conseil national de l’Ordre des médecins a pour la première fois amorcé une courbe rentrante dans un avis du 20 octobre 2018. Son avis, qui portait surtout sur le risque de surmenage des médecins, signalait parmi d’autres pistes : « Diverses initiatives contribuant à une meilleure efficacité de la médecine générale sont de nature à libérer du temps dans le chef des praticiens et ainsi à leur permettre d’accueillir de nouveaux patients : aides administratives, allègement administratif, participation des patients à leur propre prise en charge (empowerment, autosurveillance, etc.) et télémédecine. Cette évolution doit être encouragée de façon à permettre une utilisation optimale de la force de travail en médecine générale. » (Nous soulignons)
En septembre 2019, dans un avis consacré cette fois spécifiquement à la « Téléconsultation », le Conseil national a confirmé qu’il ne voit plus « d’objection à l’intégration de la téléconsultation dans le système des soins de santé moyennant un cadre scientifique et juridique et des protocoles validés (…) ».
C’est précisément sur la question du cadre scientifique et juridique que réside la difficulté à ce jour : pareil cadre n’existe pas. Et c’est aussi pour cela que les praticiens s’inquiètent : ils agissent en urgence, sans cadre, alors que son adoption était vécue comme une condition sine qua non il y a six mois.
Sur le plan politique, la volonté est bien là et plusieurs projets pilotes ont été autorisés et ont fait l’objet d’une évaluation (souvent positive du reste).
En septembre 2018, la ministre de la Santé communiquait sur un projet de loi, destiné entre autres à ouvrir plus largement la porte à la télémédecine.
Le projet de loi n’allait pas bien loin : il exigeait en substance que « si à un moment donné un cadre légal est créé pour les téléconsultations, les mêmes exigences de qualité seront d’application que pour les consultations physiques entre les patients et les prestataires de soins. Car le patient doit toujours pouvoir compter sur les meilleurs soins possibles peu importe le prestataire qui prodigue les soins ou la manière dont cela se fait.
La nouvelle loi-cadre détermine les conditions générales et les principes pour une pratique de qualité dans les soins. Elle ne crée pas la base légale pour les téléconsultations dans notre pays mais anticipe la démarche. De cette façon, la ministre De Block veut faire en sorte que lorsqu’une réglementation verra le jour pour les téléconsultations menées dans le cadre d’une relation thérapeutique, les mêmes garanties de sécurité et de qualité soient d’application que pour les consultations physiques. »
En ce sens, l’exposé des motifs indique que « les rapports juridiques entre un patient et un professionnel des soins de santé dans le cadre de la télémédecine entrent également dans le champ d’application du texte. Il ne doit pas nécessairement y avoir contact physique entre le patient et le professionnel des soins de santé pour que les exigences de la présente loi s’appliquent ». On le voit, l’idée n’est plus l’ouverture à la télémédecine ; il s’agit plutôt de s’assurrer qu’aucune pratique n’échappe à la rigueur de la loi sous prétexte qu’elle est à distance.
La Loi sur la qualité de la pratique des soins de santé a été votée le 22 avril 2019 sans aucune disposition précise sur la télémédecine. La loi entrera en vigueur le … 1er juillet 2021.
La loi n’a donc pas apporté grand chose car il n’y a toujours aucune indication quant aux modalités et protocoles pratiques et scientifiques, ce qui renvoie le praticien à l’insécurité mise en exergue ci-dessus.
Nécessité fait loi et l’urgence est, pour l’instant, d’assurer la continuité des soins coûte que coûte mais il faut espérer qu’une fois la tempête passée, on réfléchira au plus vite à la création d’un cadre juridique sécurisant, équilibré et moderne, car personne ne veut revivre le cauchemar actuel.