Une copie d’examen est une donnée à caractère personnel
Publié le 18/01/2018 par Etienne Wery
Voici de quoi donner du souci aux professeurs et directeurs d’établissements d’enseignement, déjà débordés par leurs tâches administratives ! Pour la Cour, les réponses écrites fournies lors d’un examen professionnel et les éventuelles annotations de l’examinateur relatives à ces réponses, constituent des données à caractère personnel du candidat auxquelles il a, en principe, un droit d’accès.
Les faits
Peter Nowak a, en tant qu’expert-comptable stagiaire, réussi les examens de comptabilité de premier niveau ainsi que trois des examens de deuxième niveau organisés par l’Institute of Chartered Accountants of Ireland (ordre irlandais des experts-comptables). Il a cependant échoué à l’examen de « comptabilité de la finance stratégique et de la gestion ».
À la suite de son échec à cet examen, en automne 2009, M. Nowak a, tout d’abord, introduit une réclamation visant à contester le résultat de celui-ci. À la suite du rejet de cette réclamation, il a présenté une demande d’accès visant l’ensemble des données à caractère personnel le concernant, détenues par l’ordre des experts-comptables.
En 2010, l’ordre des experts-comptables a communiqué à M. Nowak 17 documents, mais a refusé de lui transmettre sa copie d’examen, au motif que celle-ci ne contenait pas de données à caractère personnel.
Devant la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), M. Nowak conteste la décision du commissaire à la protection des données selon lequel, de manière générale, les copies d’examen ne constituent pas des données à caractère personnel. Cette juridiction demande à la Cour de justice si les réponses écrites fournies par un candidat lors d’un examen professionnel et les éventuelles annotations de l’examinateur s’y rapportant constituent de telles données.
L’arrêt rendu : une définition extensive des données personnelles
Dans son arrêt de décembre 2017 (C-434-16) la Cour souligne en premier lieu qu’un candidat à un examen professionnel est une personne physique qui peut être identifiée soit directement à partir de son nom, soit indirectement à partir d’un numéro d’identification, le nom ou le numéro étant apposés sur la copie d’examen ou le feuillet de couverture de la copie. Il est sans incidence, dans ce contexte, que l’examinateur puisse ou non identifier le candidat au moment de la correction et de la notation de la copie d’examen.
En second lieu, la Cour vérifie si les réponses écrites fournies par le candidat lors d’un examen professionnel et les éventuelles annotations de l’examinateur s’y rapportant constituent des informations concernant ce candidat.
Elle précise à cet égard que l’emploi de l’expression « toute information » dans le cadre de la définition de la notion de « donnée à caractère personnel » figurant dans la directive reflète l’objectif du législateur de l’Union d’attribuer un sens large à cette notion, laquelle n’est pas restreinte aux informations sensibles ou d’ordre privé, mais englobe potentiellement toute sorte d’informations, tant objectives que subjectives, sous forme d’avis ou d’appréciations, à condition que celles-ci « concernent » la personne en cause. Cette dernière condition est satisfaite lorsque, en raison de son contenu, sa finalité ou son effet, l’information est liée à une personne déterminée. Or, les réponses écrites fournies par un candidat à un examen professionnel constituent de telles informations liées à sa personne.
En effet, le contenu de ces réponses reflète le niveau de connaissance et de compétence du candidat dans un domaine donné ainsi que, le cas échéant, ses processus de réflexion, son jugement et son esprit critique. En outre, la collecte des réponses a pour finalité d’évaluer les capacités professionnelles du candidat et son aptitude à exercer le métier en cause. Enfin, l’utilisation de ces informations, qui se traduit notamment par le succès ou l’échec du candidat à l’examen concerné, est susceptible d’avoir un effet sur les droits et intérêts de celui-ci, en ce qu’elle peut déterminer ou influencer, par exemple, ses chances d’accéder à la profession ou à l’emploi souhaités.
S’agissant des annotations de l’examinateur relatives aux réponses du candidat, la Cour constate qu’elles constituent, tout comme les réponses fournies par le candidat lors de l’examen, des informations le concernant. Ainsi, le contenu de ces annotations reflète l’avis ou l’appréciation de l’examinateur sur les performances individuelles du candidat lors de l’examen, notamment sur ses connaissances et ses compétences dans le domaine concerné.
La Cour relève que la qualification de données à caractère personnel des réponses écrites fournies par le candidat lors d’un examen professionnel et des éventuelles annotations de l’examinateur relatives à ces réponses ne saurait être influencée par le fait que cette qualification ouvre, en principe, à ce candidat des droits d’accès et de rectification.
En effet, juger autrement aurait pour conséquence de soustraire entièrement ces réponses et ces annotations au respect des principes et des garanties en matière de protection des données à caractère personnel. Or, un candidat à un examen a notamment un intérêt légitime, tiré de la protection de sa vie privée, à pouvoir s’opposer à ce que les réponses fournies lors de cet examen et les annotations de l’examinateur relatives à ces réponses soient traitées en dehors de la procédure d’examen et, en particulier, à ce qu’elles soient transmises à des tiers, voire publiées, sans son autorisation. De même, l’entité organisant l’examen est, en tant que responsable du traitement des données, tenue d’assurer que ces réponses et ces annotations sont stockées de manière à éviter que des tiers y aient accès de manière illicite.
Conséquence de l’arrêt : le droit d’accès aux copies d’examen
La Cour constate en outre que les droits d’accès et de rectification, prévus par la directive, peuvent également se justifier par rapport aux réponses écrites fournies par le candidat lors d’un examen professionnel et aux éventuelles annotations de l’examinateur s’y rapportant.
Certes, le droit de rectification ne saurait, à l’évidence, permettre à un candidat de « rectifier » a posteriori de « fausses » réponses, ces dernières ne constituant nullement une inexactitude au sens de la directive, qui ouvrirait un droit de rectification.
En revanche, il est possible qu’il y ait des situations dans lesquelles ces réponses et ces annotations se révèlent inexactes, par exemple, du fait que, par erreur, les copies d’examen ont été échangées de sorte que les réponses d’un autre candidat ont été attribuées au candidat concerné. Par ailleurs, il ne saurait être exclu qu’un candidat a le droit de demander au responsable du traitement des données que ses réponses à l’examen et les annotations de l’examinateur s’y rapportant soient, après une certaine période de temps, effacées, c’est-à-dire détruites.
Par conséquent, dans la mesure où les réponses écrites fournies par un candidat lors d’un examen professionnel et les éventuelles annotations de l’examinateur s’y rapportant sont susceptibles d’être soumises à une vérification, notamment, de leur exactitude et de la nécessité de leur conservation et peuvent faire l’objet d’une rectification ou d’un effacement, la Cour considère que le fait de donner au candidat un droit d’accès à ces réponses et à ces annotations sert l’objectif de la directive consistant à garantir la protection du droit à la vie privée de ce candidat à l’égard du traitement des données le concernant, et ce indépendamment du point de savoir si ce candidat dispose également ou non d’un tel droit d’accès en vertu de la réglementation nationale. La Cour rappelle à cet égard que la protection du droit fondamental au respect de la vie privée implique notamment que toute personne physique puisse s’assurer que les données à caractère personnel la concernant sont exactes et traitées de manière licite.
Plus d’infos ?
En lisant l’avis (conforme) de l’avocat général, commenté précédemment.
En lisant l’arrêt rendu, disponible en annexe.