Commerce en ligne et accord de distribution sélective : premier jugement en France
Publié le 11/05/1999 par Etienne Wery
Le président du tribunal de commerce de Pontoise (France) a rendu ce 15 avril 1999 une ordonnance de référé particulièrement intéressante en matière de commerce électronique. On doit à Yann Dietrich de l’avoir mise en ligne sur son site personnel. Les faits Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques commercialise différentes marques de cosmétiques (Klorane, Elancyl, etc.) via des…
Le président du tribunal de commerce de Pontoise (France) a rendu ce 15 avril 1999 une ordonnance de référé particulièrement intéressante en matière de commerce électronique.
On doit à Yann Dietrich de l’avoir mise en ligne sur son site personnel.
Les faits
Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques commercialise différentes marques de cosmétiques (Klorane, Elancyl, etc.) via des conventions de distribution sélective signées avec des officines de pharmacie.
Alain B. a signé 3 conventions de ce type, toutes les trois semblables mais se rapportant à différentes marques, et vend les cosmétiques en question dans son officine. Il a en outre ouvert un site web ParaformePlus sur lequel il offre en vente les mêmes produits.
Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques entend faire cesser ce qu’elle considère comme une violation de l’accord de distribution sélective ; elle souhaite se réserver l’exclusivité du commerce en ligne de ses produits.
Le jugement
Le président commence par refuser de se prononcer sur la légalité ou l’illégalité du réseau de distribution sélective, qui « excède manifestement les pouvoirs du juge des référés ». Il précise néanmoins que la distribution sélective est une exception au principe supra national de liberté de circulation des marchandises et doit donc s’apprécier strictement.
Le tribunal relève ensuite que les 3 conventions signées mettent à charge du pharmacien l’obligation de « tout faire pour développer les ventes ». A cet égard, le président estime que « ce moyen immatériel Internet s’ajoute aux modalités traditionnelles mises en place par Alain B. dans son officine et conforme aux exigences de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques relatives à la matérialité du lieu de vente ».
Le président rejette la pièce avancée par la demanderesse, étant un document émanant du Laboratoire Klorane intitulé « conditions générales de distribution et de vente », au sujet duquel l’ordonnance précise qu’il n’est ni daté ni signé et dont le caractère contractuel n’est donc pas établi, et qui « ne fait aucune référence aux modalités, probablement trop récentes, de commercialisation par un serveur en ligne des produits concernés ».
En conclusion, l’ordonnance déboute Pierre Fabre Dermo-Cosmétique.
Commentaire
Commençons par rappeler qu’il s’agit d’une ordonnance rendue par le juge des référés, juge de l’évidence. Elle ne porte pas préjudice au fond où il ne fait pas de doute que le juge aura à interpréter les contrats et l’intention commune des parties, et dégager leur volonté éventuelle d’exclure toute autre forme de distribution que celle en officine, ainsi que la légalité de cette exclusion éventuelle au regard de la libre circulation des marchandises.
L’ordonnance nous paraît très intéressante sur au moins un point.
Soulignant que Internet n’est qu’une modalité de commercialisation supplémentaire qui s’ajoute aux moyens plus traditionnels, le tribunal s’écarte d’une tendance trop répandue visant à réserver au web un régime particulier pour d’obscurs motifs essentiellement psychologiques. Le président refuse à juste titre de verser dans cette tendance et applique simplement les contrats. Il est vrai que le cas d’espèce ne posait pas de question spécifique au web (sécurisation, nom de domaine, …) et que les produits en question ne sont pas des médicaments soumis à ordonnance.
Retenons dès lors qu’en matière de commercialisation sur le web, le droit des contrats s’applique :
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Lorsque le contrat (où la loi) soumet à l’accord du cocontractant ou d’un tiers toute nouvelle forme de commercialisation, la mise en ligne requiert cette autorisation. C’est par exemple le cas en matière de diffusion d’articles de journalistes protégés par le droit d’auteur dont seule le droit de diffusion sur papier aurait été cédé au journal.
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Lorsque ni le contrat ni la loi n’impose de recueillir un tel accord, la mise en ligne est pareille à toute autre forme de commercialisation, et il n’y pas lieu de la soumettre à un régime plus restrictif qu’une commercialisation classique.