Commerce électronique : loi applicable et juridiction compétente (une synthèse)
Publié le 20/10/2002 par Thibault Verbiest
Si un contrat est conclu via l’internet ou un autre réseau (commande par échande d’emails, via un formulaire d’achat sur le web, par téléphone mobile etc.) entre des personnes établies dans des Etats différents, et qu’un litige survient entre elles (défaut de livraison par le cyber-vendeur, défaut de paiement dans le chef de l’acheteur etc.),…
Si un contrat est conclu via l’internet ou un autre réseau (commande par échande d’emails, via un formulaire d’achat sur le web, par téléphone mobile etc.) entre des personnes établies dans des Etats différents, et qu’un litige survient entre elles (défaut de livraison par le cyber-vendeur, défaut de paiement dans le chef de l’acheteur etc.), la partie qui entend engager des poursuites judiciaires devra en premier lieu identifier le tribunal compétent pour connaître de l’affaire, et ensuite la loi qui régira le litige.
Juridiction compétente : un régime européen récemment modifié
En matière de compétence juridictionnelle, la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, a été remplacée par un Règlement communautaire du Conseil du 22 décembre 2000 « concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ».
Ce Réglement, qui est directement applicable et dont l’une des finalités est de tenir compte des spécificités du commerce électronique, est entré en vigeur au 1er mars 2002 pour tous les Etats membres de l’Union européenne (à l’exception du Danemark qui a décidé de ne pas souscrire à cette réglementation).
Dans les Etats de l’AELE (notamment la Suisse), la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 reste applicable, mais devrait sous peu être mise en concordance avec le nouveau Règlement communautaire.
Compétence des tribunaux et contrats en ligne
Conformément à l’article 2 du Règlement de Bruxelles, le critère de compétence général est déterminé par le territoire du domicile du défendeur : les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contrac-tant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.
L’article 5 alinéa 1 donne compétence « au tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à l’action a été ou doit être exécutée ».
Le lieu d’exécution de l’obligation litigieuse s’avérera difficile à déterminer lorsque l’exécution a lieu en ligne, par exemple en cas de téléchargement d’un logiciel. S’agira-t-il du lieu où est situé, au moment de l’exécution, le serveur du vendeur ou de son hébergeur depuis lequel le téléchargement est opéré, ou s’agira-t-il du lieu où est situé l’ordinateur (voire le téléphone portable !) de l’acheteur ?
Le Règlement communautaire distingue à cet égard la vente de marchandises de la fourniture de services.
Lorsqu’il s’agit d’une vente de marchandises, le lieu d’exécution sera celui où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées. En ce qui concerne la fourniture de services, ce lieu sera celui où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. Dès lors, dans l’hypothèse d’une exécution en ligne, sera compétent le juge du lieu où ont été reçues les données téléchargées et non le juge du lieu depuis lequel elles ont été envoyées.
Les clauses de prorogation de compétence en ligne
Les parties peuvent déroger à ces principes en convenant d’une clause attributive de compétence (sous réserve de la protection spéciale instituée au profit des consommateurs, comme exposé infra).
Des conditions de forme sont toutefois requises. Ainsi, la convention attributive de juridiction, pour être valable, doit notammment être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite.
Le Réglement précise à cet égard que « toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite ».
La conclusion de conditions en ligne contenant une clause attributive de juridiction sera indubitablement valable si les conditions sont confirmées par l’envoi d’un courrier électronique, dans la mesure où il s’agira d’une information consultable ultérieurement sur le disque dur de l’ordinateur de l’acheteur, tandis que le seul affichage à l’écran des conditions, suivi de leur impression à titre d’archivage, sera probablement jugé insuffisant.
Tribunaux compétents et contrats conclus avec les consommateurs
Le consommateur est la personne qui s’engage dans un contrat pour un usage qui peut être considéré comme étranger à son activité professionnelle.
Sans préjudice du droit pour les parties d’introduire une demande reconventionnelle devant le tribunal saisi de la demande originaire, l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie (le vendeur via un site web, par exemple) ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État contractant sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, tandis que l’action intentée par le consommateur contre l’autre partie peut être portée, à sa discrétion, soit devant les tribunaux de son domicile soit devant ceux du domicile de l’autre partie, et ce dans les hypothèses suivantes :
- lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;
- lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liée au financement d’une vente de tels objets ;
- lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales et professionnelles dans l’Etat membre sur le territoire duquel le consommateur à son domicile, ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet Etat membre, ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.
Le Règlement communautaire substitue au cri-tère du démarchage préalable par le fournisseur consacré par la Convention de Bruxelles celui « d’activités dirigées » vers l’État membre du consommateur ou « vers plusieurs pays dont cet État membre ».
Ainsi, lorsqu’un consommateur de l’Union européenne achètera un CD sur un site étranger, il pourra toujours saisir ses tribunaux nationaux (même si les conditions générales du site prévoient la compétence exclusive des tribunaux du domicile du cyber-vendeur) dès lors que le site « dirige » ses activités vers le pays de l’acheteur (ou plusieurs pays dont le sien).
Une déclaration du Conseil précise à cet égard : « que le simple fait qu’un site Internet soit accessible ne suffit pas à rendre applicable l’article 15, encore faut-il que ce site Internet invite à la conclusion de contrats à distance et qu’un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. A cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site Internet ne constitue pas un élément pertinent. »
Le Parlement européen avait, quant à lui, adopté le 21 septembre 2000 une résolution plus tranchée : « la commercialisation de biens ou de services par un moyen électronique accessible dans un État membre constitue une activité dirigée vers cet État lorsque le site commercial en ligne est un site actif en ce sens que l’opérateur dirige intentionnellement son activité, de façon substantielle, vers cet autre État.
La Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles
Les États membres de la Communauté économique européenne ont adopté la Convention de Rome du 19 juin 1980 afin d’instaurer des règles communes de désignation de la loi applicable aux obligations contractuelles.
La Convention de Rome consacre le principe fondamental de la « loi d’autonomie » : les parties sont en principe libres de choisir la loi qui régira leurs relations contractuelles, et ce même si la loi qu’elles désignent n’a aucun lien avec le contrat (sous réserve d’une fraude à la loi, et de l’application par le juge saisi de ses lois de police ou d’ordre public).
A défaut de choix des parties sur la loi applicable à leur contrat, la Convention de Rome désigne la loi « du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits » (article 4 alinéa 1er).
L’article 4 alinéa 2 présume que « le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s’il s’agit d’une société, association ou personne morale, son administration centrale.
Toutefois, si le contrat est conclu dans l’exercice de l’activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son principal établissement ou, si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un établissement autre que l’établissement principal, celui où est situé cet autre établissement ».
Dans un contrat de vente par voie électronique, la prestation caractéristique sera toujours la livraison du bien par le vendeur. La loi applicable sera donc celle du pays de son domicile au moment de la conclusion du contrat.
Loi applicable aux contrats conclus avec les consommateurs
L’article 5.2 introduit une importante dérogation au principe de l’autonomie de la volonté : la liberté de choix ne peut pas avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle dès lors que l’une des deux hypothèses suivantes est rencontrée :
- la conclusion du contrat a été précédée dans le pays du consommateur d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité et le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat, ou
- le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande dans ce pays.
L’on rangera parmi les « lois impératives » notamment la loi du 14 juillet 1991 sur la protection du consommateur en Belgique et le Code de la consommation en France
Sur l’internet, il est très délicat de déterminer dans quelle mesure la conclusion du contrat en ligne a été précédée dans le pays du consommateur d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité par voie électronique.
Certains insistent sur le fait qu’en naviguant sur le web, le consommateur se rend lui-même sur le site où s’opère la transaction et décide d’y conclure un contrat, ce qui constitue donc dans le chef du prestataire une attitude « passive » qui échappe à l’application de l’article 5.2 de la Convention de Rome. Opérant un raccourci, ceux-ci limitent généralement l’article 5.2 aux offres non sollicitées envoyées par courriers électroniques (le prestataire adopte alors une attitude « active »).
Pareille analyse doit être nuancée.
S’il est vrai que le simple fait de se rendre volontairement sur le site web d’un fournisseur est insuffisant à caractériser dans son chef une prestation « active », il faut toutefois avoir égard aux nombreuses autres possibilités techniques de démarchage qu’offre l’internet.
A titre illustratif, un prestataire peut, avec l’aide d’une société de marketing spécialisée en la matière, faire en sorte qu’une bannière renvoyant directement à son site transactionnel apparaisse à l’écran d’un moteur de recherche lié à la société de marketing, chaque fois qu’un internaute introduit un mot clé évocateur des services offerts par le prestataire dans la fenêtre de soumission du moteur.
Il nous semble que cette technique, de plus en plus couramment utilisée, relève de l’attitude active visée à l’article 5.2 de la Convention de Rome. En effet, l’internaute n’est initialement pas demandeur du service proposé. Toutefois, en pratique, il sera souvent difficile, voire impossible, pour le consommateur de prouver qu’il acheté tel bien ou souscrit tel service suite à l’apparition de cette bannière publicitaire par définition fugace, plutôt que consécutivement à une recherche volontaire.
Cela étant posé, contrairement à l’avis de certains auteurs, il nous semble excessif de considérer que toute publicité susceptible d’être reçue dans l’État du consommateur justifie la mise en œuvre de la protection spéciale du consommateur instituée par l’article 5 de la Convention. En effet, sauf à dénaturer complètement l’esprit de la protection instituée par article 5 de la Convention, la publicité préalable doit être conçue comme une invitation spécifiquement dirigée vers le consommateur.
Cette question connaîtra probablement des rebondissements. Nous avons déjà relevé que, s’agissant de la question de la juridiction compétente, le Règlement de Bruxelles supprime le critère du démarchage au profit de celui d’« activités dirigées ». Certaines voix se font déjà entendre pour étendre ce critère à la question de la loi applicable aux contrats conclus avec les consommateurs dans le cadre de la future révision de la Convention de Rome (dont les travaux ont déjà commencé).
La directive sur le commerce électronique et la clause du maché intérieur
L’article 3.1 de la directive sur le commerce électronique stipule que « Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné ».
Toutefois, l’article 3.3 prend soin de préciser que cette disposition ne s’applique pas aux domaines visés à l’annexe, dans laquelle on retrouve « les obligations contractuelles concernant les contrats conclus par les consommateurs ».
Les États membres peuvent en outre prendre des mesures qui dérogent à la clause de marché intérieur si le but poursuivi est la protection de l’ordre public, de la santé publique, de la sécurité publique ou la protection des consommateurs, pour autant que ces mesures visent spécifiquement le service qui représente un danger pour ces objectifs et que la mesure soit proportionnelle à ces objectifs. Ces mesures sont soigneusement contrôlées par la Commission européenne grâce à un système de notification.
Par ailleurs, l’article premier prend soin de souligner que la directive « n’établit pas de règles additionnelles de droit international privé et ne traite pas de la compétence des juridictions ».