Combien de temps conserver le « casier » judiciaire ou déontologique ?
Publié le 30/01/2024 par Etienne Wery 1013 vues
La CJUE juge que la conservation générale et indifférenciée, jusqu’à leur décès, de données biométriques et génétiques des personnes condamnées pénalement est contraire au droit de l’Union. D’autres affaires similaires sont actuellement pendantes, notamment concernant les sanctions prononcées par l’instance disciplinaire d’une profession règlementée (avocat, médecin, etc.) et posent une question similaire.
Les registres de police
En Bulgarie, une personne a fait l’objet d’une inscription au registre de police dans le cadre d’une procédure d’instruction pour faux témoignage. Cette personne a finalement été reconnue coupable de cette infraction et condamnée à une peine de probation d’un an.
Après avoir purgé cette peine, la personne a bénéficié d’une réhabilitation.
Par la suite, elle a demandé à être radiée du registre de police. Selon le droit bulgare, les données la concernant sont conservées dans ce registre et peuvent être traitées par les autorités, qui y ont accès sans aucune limitation de durée autre que son décès. Sa demande a été rejetée au motif qu’une condamnation pénale définitive, même après réhabilitation, ne fait pas partie des motifs de radiation de l’inscription au registre de police. Saisie d’un recours, la Cour administrative suprême bulgare a posé des questions à la Cour de justice.
L’arrêt de la CJUE
Dans son arrêt, la Cour juge que la conservation générale et indifférenciée, jusqu’à leur décès, des données biométriques et génétiques des personnes condamnées pénalement pour une infraction volontaire est contraire au droit de l’Union.
La Cour relève que les données à caractère personnel qui sont conservées dans le registre de police en Bulgarie sont, notamment, le relevé des empreintes digitales, une photographie ainsi qu’un prélèvement à des fins de profilage ADN. Le registre contient également des données relatives aux infractions pénales commises par la personne concernée et aux condamnations prononcées à ce titre.
Ces données peuvent être indispensables pour vérifier si la personne concernée est impliquée dans le cadre d’autres infractions pénales que celle pour laquelle elle a été définitivement condamnée.
Toutes ces personnes ne présentent cependant pas le même degré de risque d’être impliquées dans d’autres infractions pénales, justifiant une durée uniforme de conservation des données les concernant. Ainsi, des facteurs tels que la nature et la gravité de l’infraction commise ou l’absence de récidive peuvent impliquer que le risque représenté par la personne condamnée ne justifie pas nécessairement le maintien, jusqu’à son décès, des données la concernant dans le registre de police.
Par conséquent, ce délai n’est approprié que dans des circonstances particulières qui le justifient dûment.
Or, tel n’est pas le cas lorsqu’il est applicable de manière générale et indifférenciée à toute personne condamnée définitivement pour une infraction volontaire.
Le droit de l’Union requiert que la réglementation nationale prévoie l’obligation, pour le responsable du traitement, de vérifier régulièrement si cette conservation est toujours nécessaire et reconnaisse à la personne intéressée le droit à l’effacement de ces données dans l’hypothèse où tel ne serait plus le cas.
Les sanctions déontologiques
En Belgique, la Cour des marchés est saisie en appel d’une question similaire dans le secteur déontologiques : un ordre peut-il conserver indéfiniment une sanction déontologique prononcée contre l’un de ses membres, notamment pour lui permettre d’apprécier le risque de récidive ou de cerner la personnalité de la personne concernée dans le cadre d’une affaire ultérieure ?
Dans une décision du 16 juin 2023, l’Autorité de protection des données (APD) avait sanctionné l’ordre des pharmaciens, qui est allé en appel devant la Cour des marchés.
A l’instar de ce que la CJUE a jugé (ci-dessus), l’APD appelait l’ordre à établir « une distinction entre deux types de sanctions : les sanctions mineures (l’avertissement et la réprimande) et les sanctions majeures (les sanctions supérieures à la réprimande). »
L’APD poursuivait : « la conservation d’une sanction disciplinaire dans un dossier jusqu’à la retraite, peu importe son degré de sévérité, est excessive et non conforme au RGPD. Le défendeur ne parvient d’ailleurs pas à expliquer la pertinence de la conservation de sanction mineure jusqu’au décès ou la fin de carrière d’un pharmacien afin, par exemple, de prendre en compte la récidive dans une affaire disciplinaire. »
L’arrêt en appel sera rendu incessamment.
L’arrêt de la CJUE et la décision de l’APD sont disponibles en annexe.