Code économique belge, gestion des droits d’auteurs et nouvel organe de régulation : une évolution à débattre
Publié le 31/07/2013 par Thierry Léonard
La Belgique s’est lancée depuis la fin de l’année 2012 dans l’élaboration d’un ambitieux code économique. Son XIème livre a pour objet la « Propriété intellectuelle ». Selon l’expression consacrée, un « vent favorable » nous a soufflé les premières intentions du législateur quant au contenu de ce livre, avant transmission au Conseil d’Etat.
L’objectif est la codification de l’ensemble des droits intellectuels reconnus par le droit belge. Elle est annoncée à « droit constant », c’est-à-dire sans changement de la législation en vigueur. Le législateur admet cependant lui-même « quelques exceptions » principalement en matière de droit d’auteur et droit voisins. Droit constant donc, vraiment ? Les exemples qui suivent, tirés de l’avant-projet, démontrent que l’assertion est réellement à relativiser.
L’influence européenne
On constate que la codification des droits d’auteurs et des droits voisins est d’abord l’occasion pour la Belgique de s’aligner sur les décisions européennes, qu’il s’agisse de directives ou de décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Ainsi, la durée des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes passeraient sous certaines conditions de 50 à 70 ans concernant les droits de reproduction de phonogramme. S’il est clair que la transposition de cette directive est indispensable à une harmonisation européenne de ce secteur, il n’en est pas moins qu’elle a été vivement critiquée, et ce même par des défenseurs de la propriété intellectuelle .
Pour contrebalancer cette mainmise du producteur de phonogramme sur les droits voisins, cette même directive a prévu qu’en ce qui concerne les artistes-interprètes ou exécutants ,il serait désormais prévu que lorsque le producteur du phonogramme n’offre plus à la vente des exemplaires suffisants ou ne les mets pas à la disposition du public de 50 ans, il serait alors possible de mettre fin à ce contrat de cession de droits moyennant possibilité au producteur d’y remédier durant un an.
Un autre problème qui trouverait une solution est celui relatif à la rémunération de titulaires de droits voisins en cas de reproduction dans un lieu public. Le nouveau régime prévoirait que l’on soumette toute forme d’exécution publique à la rémunération équitable mettant ainsi fin aux discussions improductives sur la portée de « lieu public » qui conditionne aujourd’hui le système de rémunération. La « Commission pour la rémunération équitable » serait supprimée. Il appartiendrait au Roi de fixer le montant de cette rémunération, ces modalités de perception ainsi que de déterminer les conditions dans lesquelles l’exécution revêt un caractère public, afin de s’aligner sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Enfin, l’enseignement de l’arrêt Padawan de la Cour de Justice de l’Union européenne du 21 octobre 2012 (C-467/08) ferait l’objet d’une nouvelle disposition : les acquéreurs d’appareils et de supports assujettis à la rémunération pour copie privée mais qui sont utilisés à des fins professionnelles ne supporteraient plus la rémunération pour copie privée en obtenant leur remboursement ou une exonération.
La gestion collective
Le contexte dans lequel la codification intervient en matière de droit d’auteur n’est pas serein. Les auteurs de l’avant-projet constatent dans ce secteur l’existence de discussions, voir des blocages sur ce que représente la valeur économique du droit d’auteur dans le cadre des transactions entre les sociétés de gestions des droits et les exploitants d’œuvres et de prestations protégées. Les différents acteurs du droit d’auteur et des droits voisins parviennent difficilement à se mettre d’accord sur la valeur des œuvres et des prestations.
De nombreuses modifications renforceront l’emprise des sociétés de gestion. Ainsi, une gestion collective obligatoire serait désormais prévue pour le droit de suite qui s’exerce encore actuellement individuellement. Les objectifs poursuivis par cette mesure seraient notamment la simplification administrative auprès des revendeurs, la sécurité juridique et le contrôle du respect de la loi.
La question de la retransmission d’œuvres audiovisuelles par câble a aussi été à l’origine des blocages cités ci-avant. Il serait dès lors prévu que, même lorsque l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant a cédé son droit de retransmission par câble au producteur, il conserve son droit à une rémunération auquel il ne peut renoncer. La gestion de ce droit serait également soumise à la gestion collective obligatoire.
Le fonctionnement des sociétés de gestion subirait également des modifications. De façon générale, l’objectif ici suivi serait la transparence de la gestion des rémunérations relatives aux droits d’auteur et droits voisins, ce qui passe naturellement par de nombreux changements concernant les sociétés de gestion de ces droits.
Ainsi par exemple, les sociétés de gestion devraient publier sur internet leurs règles de tarification et de perception ainsi que la rémunération facturée aux ayants droit comme contre-prestation de leurs services. L’objectif est alors de permettre de prendre connaissance du pourcentage que la société de gestion retire de la rémunération perçue auprès du débiteur avant d’effectuer le paiement à l’ayant droit.
Ensuite, on tente une simplification de l’administration de toutes les perceptions par les sociétés de gestion. Le Roi aurait la possibilité de prendre toute une série de mesures afin notamment que les utilisateurs puissent d’adresser à un guichet unique, dispose d’une plate-forme de déclaration commune et reçoivent une facture unique par mode d’exploitation.
Enfin, dernier exemple, une procédure de plainte auprès des sociétés de gestion serait rendue obligatoire. Les ayants droit, les membres et les utilisateurs auraient le droit d’introduire directement une plainte auprès d’une société de gestion à l’encontre des actes individuels de gestion des droits d’auteur et de droits voisins. Concrètement, un utilisateur qui estimerait qu’un tarif incorrect lui a été imposé pourrait directement s’adresser à la société de gestion. Dans le délai imparti et dans un délai d’un mois maximum, la société de gestion devra donner une réponse claire, pertinente et satisfaisante à la réclamation. Si cette dernière n’est pas fondée, alors la réponse devra être motivée. Lefait que la société de gestion soit alors juge et partie empêche d’y voir une avancée significative dans la protection des droits des membres et utilisateurs même s’ils sont au-moins assurées d’obtenir les informations nécessaires à un recours judiciaire ou éventuellement régulatoire (cfr infra).
Le Service de Régulation
Un changement essentiel verrait également le jour : il serait créé un Service de Régulation des droits d’auteur et des droits voisins, aussi appelé le Régulateur. Sa mission essentielle serait de contrôle : elle consisterait à se prononcer sur le caractère équitable et non-discriminatoire des règles de tarification, perception et répartition fixées par les sociétés de gestion des droits.
Il s’agirait notamment des règles applicables au droit d’exécution publique, au droit de radiodiffusion, au droit de retransmission par câble (dont il a déjà été question ci-dessus). Le Régulateur pourrait, lorsqu’il estimerait que les règles des sociétés de gestion ne sont pas équitables ou sont discriminatoires, adresser un avertissement aux personnes concernées qui disposerait d’un certain délai pour remédier au manquement constaté. Le Service de Régulation pourrait également prendre toutes les mesures conservatoires nécessaires, y compris des amendes administratives. Notons que ces décisions seraient susceptibles de recours devant la Cour d’appel de Bruxelles siégeant comme en référé et publiées électroniquement ainsi que sur papier.
N’ayant pas peur du mélange des genres, le projet prévoit que le Régulateur accomplirait également une mission de conseil et rendre des avis motivés sur la valorisation du droit d’auteur et des droits voisins. Une mission de médiation est également envisagée. Le Régulateur connaîtrait des demandes de médiation portant sur les litiges ayant pour objet l’application des dispositions légales relatives au droit d’auteur et aux droits voisins.
Le Service de contrôle des sociétés continuerait d’exister malgré la création du Service de Régulation. Ses missions seront donc à redéfinir. Il s’agirait principalement de veiller à ce que les sociétés de gestion respectent l’ensemble des dispositions et arrêtés d’exécution les concernant, sachant qu’il appartiendrait au Régulateur de veiller au respect de la légalité des règles de perception, de tarification et de répartition des droits.
Conclusion
Outre les nouveautés imposées par le droit européen, les modifications introduites à l’occasion de la codification de la LDA ne sont pas anodines et risquent de créer du remous dans les secteurs d’exploitation concernés. La création d’une autorité sectorielle constitue en elle-même une révolution. On est loin d’un droit constant…
Autant dire que les acteurs concernés (auteurs, interprètes, producteurs, société de gestion de droits etc.) ont intérêt à suivre de très près l’évolution du texte pris dans l’agenda serré du Code de l’économie. Les enjeux sont conséquents. L’arrivée d’une autorité de régulation du droit d’auteur et des droits voisins va augmenter les contraintes sur les professionnels de gestion des droits et d’exploitation des risque de limiter fortement la liberté de contracter de ces acteurs, déjà traditionnellement sous pression en la matière. Elle risque aussi de créer un important contentieux régulatoire dont on connaît déjà les écueils et les limites dans d’autres secteurs (télécommunication, énergie etc.). A ce propos, on se demande comment la Cour d’appel de Bruxelles va pouvoir absorber celui-ci en tant qu’organe de recours des décisions prises par le nouveau régulateur…
La voie appelle d’autant plus de prudence que le législateur a lui-même fait le constat d’un « conflit » entre sociétés de gestion de droits et exploitants d’œuvres ou de prestations protégées. Se rendant compte d’une certaine inefficience du système actuel, le législateur s’apprête à prendre des mesures de nature à renforcer le rôle des sociétés de droit de gestion. Le Service de Régulation, dépendant sur SPF Economie, apparaît alors comme contrepoids. Est-ce réellement là la bonne méthode ? La réponse mérite à tout le moins d’être discutée…