Brevets et logiciels : la Commission européenne propose une directive d’harmonisation
Publié le 24/02/2002 par triaille jean-paul
La Commission européenne a présenté, le 20 février 2002, une proposition de directive concernant la brevetabilité des « inventions mises en œuvre par ordinateur ». Le but de ce texte est d’harmoniser les droits nationaux des brevets en ce qui concerne la brevetabilité des inventions mettant en œuvre un logiciel. La situation actuelle Sur le…
La Commission européenne a présenté, le 20 février 2002, une proposition de directive concernant la brevetabilité des « inventions mises en œuvre par ordinateur ».
Le but de ce texte est d’harmoniser les droits nationaux des brevets en ce qui concerne la brevetabilité des inventions mettant en œuvre un logiciel.
La situation actuelle
Sur le plan des textes, on sait que la brevetabilité des logiciels et inventions connexes en Europe est actuellement déterminée principalement par l’article 52, paragraphes (2) (c) et (3) de la Convention de Munich sur le brevet européen (CBE), selon lequel les programmes d’ordinateur « en tant que tels » (de même que les méthodes pour l’exercice d’activités économiques et certaines autres inventions) ne peuvent pas être brevetés.
Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la CBE de 1973, malgré cette exclusion de principe, il apparaît en réalité que plus de 30 000 brevets en rapport avec des logiciels ont été accordés et une jurisprudence considérable s’est développée sur le sujet par les chambres de recours de l’Office européen des brevets et les tribunaux des États membres. Bon nombre de brevets ont été accordés pour des dispositifs et processus dans des domaines techniques mais la majorité concerne actuellement le traitement de données numériques, la reconnaissance de données, la représentation et le traitement de l’information.
Il s’agit par ailleurs d’un domaine dans lequel des différences sont apparues dans les pratiques administratives et la jurisprudence des Etats membres.
Il résulte dès lors de la situation actuelle un décalage entre la règle de droit et la pratique en fait, une certaine insécurité juridique, une absence d’harmonisation des pratiques dans les Etats membres, et une large incompréhension, par les inventeurs et les praticiens, des possibilités du brevet, de ses avantages et de ses inconvénients.
Le débat sur la protection par le brevet
Les brevets octroyés dans le secteur du logiciel et progressivement aux Etats-Unis dans celui des « business methods » ont alimenté le débat sur la question de savoir si les limites de ce qui est brevetable sont suffisamment claires et correctement appliquées (voir les débats au sujet du brevet de BT sur la technique de l’hypertexte et d’Amazon sur le « one click »). Il est bon que ce débat fasse maintenant l’objet d’une discussion au niveau politique et parlementaire.
La question de l’opportunité d’une protection des logiciels fait, et fera durant les débats qui s’organiseront durant le parcours parlementaire de la proposition de directive, l’objet de nombreuses et vives discussions. La Commission, dans sa proposition, dit vouloir concilier les points de vue sur la question, entre les partisans de la brevetabilité, qui considèrent que ce mode de protection, déjà davantage accessible aux Etats-Unis et au Japon, doit devenir plus facile en Europe, et les adversaires, qui y voient un grand danger pour la sauvegarde de la libre concurrence et notamment pour les possibilités pour les petites entreprises de concurrencer les entreprises déjà bien établies.
La proposition tente de répondre aux préoccupations exprimées sur le fait que le droit européen des brevets pourrait être étendu à des domaines de l’activité humaine qui sont jusqu’à présent exclus, en particulier les méthodes pour l’exercice d’activités économiques (« business methods ») et des entités mathématiques ou des concepts de base logiques sans rapport avec le monde matériel.
A cet égard, on reste éloigné de la situation américaine. Aux États-Unis, l’invention brevetable doit simplement appartenir à un domaine technique, mais aucune contribution technique spécifique n’est nécessaire. Le simple fait que l’invention utilise un ordinateur ou un logiciel lui confère la dimension technique si elle fournit également un « résultat tangible utile et concret ». Cela signifie, entre autres choses que, dans la pratique, les restrictions à la brevetabilité des logiciels, ainsi que des méthodes pour l’exercice d’activités économiques (mises à part les exigences de nouveauté et d’activité inventive), sont moins importantes aux États-Unis.
Les solutions préconisée
La proposition de directive distingue deux types d’inventions :
- les inventions dont la mise en œuvre implique l’usage d’un programme informatique et qui offrent une « contribution technique » – en d’autres termes, qui contribuent à l’état de la technique dans le domaine technique – pourront être brevetées ;
- mais, conformément à la CBE, les programmes informatiques en tant que tels ne pourront pas être brevetés, ni d’ailleurs les méthodes pour l’exercice d’activités économiques (« business methods ») qui sont fondées sur des idées technologiques existantes et les appliquent, par exemple, en matière de commerce électronique.
En vertu de la proposition, une invention mise en œuvre par ordinateur devra, dans les Etats membres, être considérée comme appartenant à un domaine technique (article 3).
Cette invention sera brevetable à la condition qu’elle soit susceptible d’application industrielle, qu’elle soit nouvelle et qu’elle implique une activité inventive (article 4.1) ; c’est là la règle de base dans le domaine du droit des brevets.
La troisième condition fait l’objet de trois dispositions spécifiques (qui sont les dispositions-clef de la proposition et) qui viennent l’expliciter :
- pour impliquer pareille activité inventive, une invention mise en œuvre par ordinateur devra apporter une « contribution technique » (article 4.2.) ;
- une contribution technique est définie comme « une contribution à l’état de la technique dans un domaine technique, qui n’est pas évidente pour une personne du métier » (article 2.b) ;
- enfin, cette contribution technique devra s’évaluer en prenant en considération la différence entre l’objet de la revendication de brevet considéré dans son ensemble, dont les éléments peuvent comprendre des caractéristiques techniques et non techniques, et l’état de la technique (article 4.3.).
Une invention mise en œuvre par ordinateur, qui apporte une contribution à l’état de la technique dans un domaine technique, et qui n’est pas évidente pour une personne du métier, est autre chose qu’un programme informatique « en tant que tel » et pourra donc être brevetée. Elle pourra l’être, selon les cas, en tant que produit ou en tant que procédé.
Des exemples de « contribution technique »
Les commentaires de la Commission relatifs à la proposition donne les exemples suivants de « contribution technique » :
- une invention par laquelle un appareil radiographique est commandé par une unité de traitement de données assurant un équilibre optimal entre les spécifications fonctionnelles contradictoires;
- une invention par laquelle la vitesse de traitement d’un ordinateur est augmentée par une nouvelle méthode non évidente;
- une invention portant sur la communication entre des systèmes indépendants qui implique un niveau d’intervention faisant appel à des qualifications techniques (dépassant celles normalement requises d’un programmeur) et devant être réalisé avant le début de la programmation en tant que telle.
Des décisions de justice antérieures ont indiqué que l’on pourrait se trouver en présence d’une contribution technique si une amélioration a été apportée dans la manière dont des processus sont accomplis ou des ressources utilisées dans un ordinateur (par exemple une meilleure efficacité d’un processus physique) et si l’exercice de compétences techniques au-delà de la «simple» programmation a été nécessaire pour parvenir à l’invention.
Cette contribution technique pourra se nicher dans la nature du problème sous-jacent résolu par l’invention, dans les moyens constituant la solution d’un problème sous-jacent, dans les effets obtenus par la résolution du problème, ou se déduire de la nécessité de prendre en considération des aspects techniques pour aboutir à l’invention revendiquée.
Par ailleurs, toute invention qui ne porte que sur la nature des données et sur la mise en application particulière des données n’offre pas de contribution technique et ne peut donc pas être brevetée. Ainsi, la simple informatisation d’une méthode ou d’une technique déjà connue ou l’application informatique d’une méthode pour l’exercice d’activités économiques ou d’une méthode similaire (comme un nouveau modèle mathématique permettant de suivre les cotations en bourse) ne pourront pas non plus être reconnues comme des inventions brevetables.
Rapport avec la protection par le droit d’auteur
La protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur et la protection des inventions mises en œuvre par ordinateur par le brevet pourront se combiner, l’une n’excluant pas l’autre. Non seulement les conditions de protection sont différentes, mais l’objet diffère également : le droit d’auteur s’attache à l’expression, au code vu comme un langage ou un texte, dont l’ensemble des éléments sera protégé contre la reproduction ; le brevet va davantage s’attacher aux fonctions que remplit l’invention et aux résultats qu’elle permet d’atteindre, et en protègera les éléments nouveaux apportant une solution technique. Dans les deux cas, les effets de la protection accordée diffèrent, même s’il nous paraît un peu schématique de dire que le brevet parvient à protéger les idées et principes sous-jacents d’un programme.
Il est prévu que la protection du brevet ne pourra pas porter atteinte aux différentes exceptions prévues par la directive de 1991 au bénéfice de l’utilisateur légitime. On sait que cette directive 91/250/CEE sur la protection des logiciels par le droit d’auteur incluait notamment des dispositions spécifiques au sujet des actes accomplis aux fins d’étudier les idées et principes à la base d’un programme, au sujet de la reproduction ou la traduction d’un code nécessaire à l’interopérabilité d’un programme d’ordinateur créé de façon indépendante, ainsi qu’à la copie de sauvegarde. Ces exceptions doivent pouvoir subsister, nonobstant la protection par le brevet, conformément à l’article 6 de la proposition.
Conséquences
D’après la Commission, en conséquence de ce texte, « rien ne sera rendu brevetable qui ne l’est déjà. L’objectif est simplement de clarifier le droit et de remédier à certaines incohérences d’approche dans les droits nationaux ». Afin de pouvoir rapidement réagir si la solution finalement adoptée ne s’avérait pas adéquate en pratique, le texte prévoit en outre, suivant une technique de plus en plus souvent adoptée, que la Commission devra présenter au Parlement et au Conseil un rapport sur la mise en œuvre de la directive dans les trois ans à compter de sa transposition par les États membres, de façon à pouvoir si nécessaire corriger le tir.
En pratique, la proposition de directive ne devrait pas apporter de modifications très importantes à la situation que l’on connaît déjà aujourd’hui dans le domaine de la protection des inventions mises en œuvre par un logiciel. Le brevet ne sera accessible, et l’investissement ne sera intéressant, que dans certains secteurs et à certaines conditions bien précises. Pour la majorité des programmes d’ordinateur, le droit d’auteur restera l’outil le plus adapté et le mieux proportionné.
Reste que quand les conditions pour obtenir un brevet seront réunies, l’effort requis vaudra souvent la peine d’être consenti, car la portée de la protection ainsi acquise sera alors plus grande, et la position du titulaire du brevet sera souvent plus forte vis-à-vis des concurrents ou des « imitateurs » potentiels.
Il reste assurément, dans ce domaine, à informer davantage les entreprises, surtout les plus petites, mais également les praticiens, les avocats et les conseillers de l’entreprise, au sujet de ce que permet le brevet. Les débats qui, dans les mois à venir, entoureront la proposition de directive, contribueront utilement à dissiper l’erreur qui consiste encore à penser que, dans le secteur du logiciel, le brevet ne serait pas d’application.
L’adoption de la proposition et sa présentation par la Commission clôturent la phase des consultations préalables et inaugurent le processus législatif.
La proposition de directive sera maintenant présentée au Conseil de l’Union et au Parlement européen, en vue d’une adoption suivant la procédure de co-décision. Avant cela toutefois, les discussions risquent d’être nombreuses.
En consultant le texte intégral de la proposition, disponible en ligne sur notre site.