Boucle locale : Deutsche Telekom sanctionnée par la Commission européenne.
Publié le 29/05/2003 par Etienne Wery
La Commission européenne a adopté une décision contre Deutsche Telekom AG (DT) pour abus de position dominante sous forme de prix non équitables pour la fourniture d’accès local à ses réseaux de télécommunications fixe (boucle locale). La Commission a constaté que les tarifs de gros pour l’accès à la boucle locale demandés par DT aux…
La Commission européenne a adopté une décision contre Deutsche Telekom AG (DT) pour abus de position dominante sous forme de prix non équitables pour la fourniture d’accès local à ses réseaux de télécommunications fixe (boucle locale). La Commission a constaté que les tarifs de gros pour l’accès à la boucle locale demandés par DT aux nouveaux entrants sont plus élevés que les prix demandés aux abonnés pour l’accès de détail. Cette pratique retreint l’entrée sur le marché des concurrents, limite le choix des consommateurs entre les fournisseurs de services de télécommunications et empêche la concurrence sur les prix. L’action de la Commission résulte des plaintes de plusieurs nouveaux entrants sur le marché allemand des télécommunications. Au vu de la gravité et la durée de l’abus, la Commission impose une amende de 12,6 millions d’euros.
Les faits reprochés à DT et la décision rendue
«Depuis 1998, DT est juridiquement obligée de fournir aux concurrents l’accès à la boucle locale. Malgré cette obligation claire, le dégroupage de la boucle locale ne fait guère de progrès et DT reste, avec une part de marché de 95%, le fournisseur dominant de l’accès de détail à large bande et à bande étroite. Beaucoup de nouveaux entrants ont essayé de concurrencer l’opérateur historique. Aucun d’entre eux n’a pu atteindre une part de marché significative, car les tarifs de gros de DT pour l’accès à la boucle locale sont plus élevés que les tarifs pour les services comparables rendus à ses utilisateurs finaux. » Mario Monti, membre de la Commission européenne en charge de la concurrence, a déclaré. « Ceci est néfaste pour les consommateurs, car la concurrence entre opérateurs est le meilleur moyen pour réduire les prix globaux. C’est pourquoi nous avons agi contre les prix anticoncurrentiels de DT et nous veillons attentivement à ce que des infractions de cette nature se terminent.» Mario Monti a ajouté.
La Commission a constaté que DT abuse de sa position dominante en imposant des prix non équitables. DT tient une position dominante sur les marchés pour l’accès à la boucle locale au niveau de gros et de détail. En ce qui concerne l’accès en gros, DT est le seul opérateur de réseau allemand ayant un réseau avec une couverture nationale. Afin de fournir une série de services aux utilisateurs finaux, les nouveaux entrants ont besoin d’accès à cette infrastructure. En ce qui concerne l’accès au détail, même après cinq ans de concurrence, DT détient toujours une part de marché d’environ 95% et les 5% restants sont divisés entre un grand nombre de concurrents de DT.
En raison de la marge insuffisante entre les prix d’accès à la boucle locale de DT au niveau de gros et de détail, les nouveaux entrants n’ont aucune possibilité de concurrencer DT pour les offres aux consommateurs. La décision de la Commission compare les tarifs pour l’accès de gros à la boucle locale aux tarifs pour un bouquet de différents services de détail, c’est-à-dire les connexions analogique, ISDN et ADSL. Afin de réaliser une comparaison cohérente, la Commission a utilisé une approche pondérée, prenant en considération le nombre de clients de DT pour les différents types d’accès au niveau de détail.
L’évaluation par la Commission révèle, pour la période du début 1998 à la fin 2001, que DT a chargé ses concurrents plus pour l’accès dégroupé au niveau de gros que ses abonnés pour l’accès de détail. Cela constitue un cas clair d’effet de ciseau, parce qu’il ne laisse aux nouveaux entrants aucune marge pour entrer en concurrence au marché de détail. Depuis 2002, les prix pour l’accès en gros sont inférieurs aux prix de détail, mais la différence n’est toujours pas suffisante pour couvrir les coûts spécifiques de DT pour les services offerts aux utilisateurs finaux. Même après la réduction récente des prix de gros par l’autorité de régulation allemande (RegTP), entrée en vigueur le 1er mai 2003, cet effet de ciseau reste en place.
Pourquoi une amende si élevée ?
Selon les Lignes Directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées, les critères pour déterminer le montant d’une amende sont la gravité et la durée de la violation, ainsi que des circonstances aggravantes ou atténuantes.
L’effet de ciseau mis en œuvre par DT en tant qu’entreprise dominante aux niveaux de gros et de détail constitue une infraction grave. Le résultat de cette stratégie tarifaire est que les concurrents ayant besoin d’accès à la boucle locale en Allemagne sont sérieusement empêchés d’entrer sur le marché. Les marchés en cause ont une importance économique considérable. En revanche, DT a régulièrement réduit l’effet de ciseau depuis 1999. Par conséquent, le montant de base pour la gravité est fixé à 10 millions d’euros.
L’abus a commencé le 1.1.1998 et perdure jusqu’aujourd’hui, l’infraction est donc d’une longue durée. Néanmoins l’infraction était moins importante dans la période depuis le 1.1.2002, en raison de la liberté réduite pour ajuster les prix en vertu des dispositions régulatrices en Allemagne. Par conséquent, seules les quatre premières années jusqu’a la fin 2001 amènent à une augmentation du montant de base à 14 millions d’euros. Enfin, en raison de circonstances atténuantes, la Commission a réduit l’amende à 12,6 millions d’euros, car il y avait un certain degré d’incertitude juridique à propos des tarifs sous examen au vu de la régulation au niveau national.
Plus d’infos sur la « boucle locale » : de quoi s’agit-il ? comment est-ce organisé sur le marché allemand ?
La « boucle locale » désigne le circuit physique qui relie les locaux du client au commutateur local de l’opérateur de télécommunications. Cette boucle se présente traditionnellement sous la forme de paires de fils de cuivre. Les nouveaux arrivants sur les marchés des télécommunications doivent pouvoir accéder à la boucle locale à des conditions équitables et non discriminatoires (« dégroupage de l’accès à la boucle locale »), de manière à pouvoir proposer des services de détail aux consommateurs finals – il serait en effet impossible de reproduire un réseau qui s’est construit en un siècle.
Un dégroupage effectif de la boucle locale est essentiel pour la diffusion des services de communications électroniques. Un tel dégroupage a été imposé aux opérateurs historiques par voie législative à l’échelle de l’Union européenne ainsi que, dans certains États membres, comme l’Allemagne, au niveau national. Toutefois, le dégroupage de la boucle locale n’avance pas de manière suffisamment rapide. Le cadre réglementaire ne constitue pas le seul outil disponible. Les conditions du dégroupage de la boucle locale, telles que la tarification, font également l’objet d’un examen à la lumière des règles communautaires en matière de concurrence.
En Allemagne, DT offre un accès à la boucle locale à deux niveaux différents. Outre les abonnements de détail souscrits par les consommateurs finals, elle propose un accès dégroupé à la boucle locale aux opérateurs concurrents, qui peuvent ainsi atteindre directement les utilisateurs finals. DT est donc présente sur le marché en amont de l’accès de gros à la boucle locale réservé aux opérateurs concurrents et sur le marché en aval de l’accès de détail offert aux utilisateurs finals. Ces deux marchés sont étroitement liés.
Sur le plan technique, le réseau d’accès local de DT n’est pas la seule infrastructure qui permette de fournir un accès de gros aux opérateurs concurrents et un accès de détail aux utilisateurs finals. Toutefois, les autres solutions, parmi lesquelles figurent les réseaux à fibres optiques, les boucles locales sans fil, les satellites, les lignes électriques et les réseaux de câblo-distribution améliorés, ne sont pas encore suffisamment développées et ne peuvent pas être considérées comme équivalant au réseau d’accès local de DT.
Selon le 8ème Rapport de mise en œuvre de la Commission de décembre 2002 (COM(2002) 695), deux ans après que le Règlement de l’UE sur le dégroupage de la boucle locale est entré en vigueur, seulement 1 million de lignes d’abonnés ont été dégroupées à travers l’Europe. La grande majorité d’elles (855.000) est en Allemagne, où le dégroupage a été déjà mandaté par le droit interne à partir de 1998, mais même là, les lignes dégroupées représentent moins de 5% du total.
Source : Commission européenne