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Des seins nus sur Instagram et Facebook ?

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Les seins nus sont admis sur Instagram et Facebook … s’ils sont masculins. Toute autre poitrine est bannie du réseau. Motif : exhibition sexuelle. Le conseil de surveillance de Meta veut que cette discrimination change. Toutes les poitrines ou aucune, mais pas de discrimination basée uniquement sur le genre. Qu’en pensera la Cour de cassation qui a, sur cette question, une jurisprudence étonnamment rétrograde ?

Le conseil de surveillance de Meta

Le Conseil de surveillance de Meta est malheureusement trop peu connu. Il fait pourtant partie des bonnes choses mises en place par le réseau social.

Il a été créé pour aider Meta à répondre à certaines des questions les plus complexes en matière de liberté d’expression en ligne : quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi ?

Son objectif est de promouvoir la liberté d’expression en prenant des décisions raisonnées et indépendantes concernant le contenu publié sur Facebook et Instagram, ainsi qu’en émettant des recommandations sur les règles Facebook relatives au contenu. Le conseil a donc deux facettes : il joue un rôle d’appel des décisions prises par le réseau ; il est aussi un organe de réflexion qui peut demander à Facebook de modifier ses règles de modération.

Les décisions du conseil de confirmer ou d’infirmer les décisions relatives au contenu de Facebook ont force exécutoire, ce qui signifie que Facebook s’engage à les mettre en œuvre, à moins que cela ne contrevienne à la loi.

Le site du conseil est accessible ici.

Les décisions « nudité transgenre »

Ce 17 janvier 2023, Le Conseil de surveillance a annulé les décisions initiales de Meta de supprimer deux publications d’Instagram représentant des personnes transgenres et non binaires à la poitrine nue. Il recommande également à Meta de modifier son Standard de la communauté relatif à la nudité et aux activités sexuelles des adultes afin qu’il soit régi par des critères clairs qui respectent les normes internationales en matière de droits de l’homme.

Les faits

Deux contenus distincts ont été publiés par le même compte Instagram, l’un en 2021, l’autre en 2022. Le compte est géré par un couple basé aux États-Unis qui s’identifie comme transgenre et non binaire. Les deux publications présentent des images du couple poitrine nue et tétons couverts.

Les légendes des images traitent des soins de santé pour les personnes transgenres et indiquent que l’un des membres du couple va bientôt subir une chirurgie du haut (chirurgie d’affirmation du genre visant à créer une poitrine plus plate) et que le couple a lancé une collecte de fonds pour la financer.

À la suite d’une série d’alertes émises par les systèmes automatisés de Meta et de rapports d’utilisateurs, Meta a supprimé les deux publications pour infraction au Standard de la communauté relatif à la sollicitation sexuelle, car elles contiennent apparemment des seins et un lien vers une page de collecte de fonds.

Les utilisateurs ont fait appel auprès de Meta, puis auprès du Conseil.

Principales observations

Le Conseil de surveillance estime que la suppression de ces publications n’est pas conforme aux Standards de la communauté, aux valeurs ni aux responsabilités en matière de droits de l’homme de Meta.

Pour le Conseil, ces cas mettent également en lumière les problèmes fondamentaux des politiques de Meta : les directives internes de Meta à l’intention des modérateurs sont plus sévères que les règles ou dépassent l’intention voulue lors de la rédaction de ces règles, amenant le réseau à supprimer des contenus à tort.

Le Conseil relève que le Standard de la communauté relatif à la nudité et aux activités sexuelles des adultes interdit « les images contenant des mamelons féminins, sauf dans des circonstances précises, comme l’allaitement et la chirurgie de confirmation du genre ».

Pour le Conseil, « cette politique se fonde sur une vision binaire du genre et sur une distinction entre les corps masculins et féminins. Une telle approche ne permet pas de savoir comment les règles s’appliquent aux personnes intersexuées, non binaires et transgenres, et exige des équipes d’examen qu’elles procèdent à des évaluations rapides et subjectives du sexe et du genre, ce qui n’est pas pratique lorsqu’il s’agit de modérer du contenu à grande échelle.

Les restrictions et les exceptions aux règles relatives aux mamelons féminins sont nombreuses et déroutantes, en particulier lorsqu’elles s’appliquent aux personnes transgenres et non binaires. (…) Ces exceptions sont souvent alambiquées et mal définies. Dans certains contextes, par exemple, les modérateurs doivent évaluer l’étendue et la nature des cicatrices visibles pour déterminer si certaines exceptions s’appliquent. Le manque de clarté inhérent à cette politique crée une incertitude pour les utilisateurs et les équipes d’examen, et la rend inapplicable dans la pratique. »

Au-delà de la question transgenre, le Conseil s’inquiète aussi de la distinction fondamentale sur laquelle repose le Standard de la communauté : pourquoi une règle différente pour la poitrine masculine par rapport à la poitrine féminine ? Le Conseil estime que Meta devrait « modifier son approche de la gestion de la nudité sur ses plateformes en définissant des critères clairs pour régir la politique relative à la nudité et aux activités sexuelles des adultes, qui garantissent que tous les utilisateurs sont traités d’une manière conforme aux normes en matière de droits de l’homme. Elle devrait également examiner si la politique relative à la nudité et aux activités sexuelles des adultes protège contre le partage non consenti d’images, et si d’autres politiques doivent être renforcées à cet égard ».

La décision demande donc de « Définir des critères clairs, objectifs et respectueux des droits pour régir son Standard de la communauté relatif à la nudité et aux activités sexuelles des adultes, afin que toutes les personnes soient traitées d’une manière conforme aux normes internationales en matière de droits de l’homme, sans discrimination fondée sur le sexe ou le genre. Meta devrait d’abord réaliser une évaluation complète de l’impact sur les droits de l’homme d’une telle modification, en impliquant diverses parties prenantes, et créer un plan pour remédier à tout préjudice identifié. »

La décision est accessible ici.

La Cour de cassation plus sévère que Facebook ?

Le droit français punit l’exhibition sexuelle au terme de l’article 222-32 du Code pénal : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Dans une célèbre affaire Femen, une militante avait pénétré dans le Musée Grévin, dans la salle des chefs d’État, et avait dévoilé sa poitrine devant la statue du président russe, révélant des inscriptions anti-Poutine.

En 2018, la Cour de cassation rend un premier arrêt. Alors que le juge d’appel avait estimé, vu le contexte, qu’il n’y avait aucune connotation sexuelle, la Cour de cassation juge que « en prononçant ainsi, alors qu’elle relevait, indépendamment des motifs invoqués par la prévenue, sans effet sur les éléments constitutifs de l’infraction, que celle-ci avait exhibé volontairement sa poitrine dans un musée, lieu ouvert au public, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ».

La Cour d’appel fait de la résistance : elle refuse de voir dans le sein féminin, dévoilé dans ces circonstances, un message d’ordre sexuel. Au contraire relève-t-elle : « le mouvement dénommé “Femen”, qui revendique un “féminisme radical”, dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité ».

L’affaire aboutit à nouveau devant la Cour de cassation, qui confirme son premier message : l’exhibition de la poitrine d’une femme entre dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, même si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.

Pour autant, elle confirme la décision d’appel au nom de la proportionnalité : si le comportement d’une militante féministe qui dénude sa poitrine, sur laquelle est inscrite un message politique, dans un musée en plantant un pieu dans une statue de cire représentant le dirigeant d’un pays, constitue l’infraction d’exhibition sexuelle, la relaxe de la prévenue n’encourt pas la censure dès lors que ce comportement s’inscrit dans une démarche de protestation politique et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.

Commentaires

Nous avons déjà écrit, dans une chronique antérieure, tout le mal que nous pensons de la jurisprudence rétrograde et discriminatoire de la Cour de cassation.

Décider que le sein féminin est, en tant que tel et indépendamment du contexte, un élément d’ordre sexuel dont l’exhibition engendre l’application de la loi pénale, nous parait non seulement rétrograde mais contraire à la loi pénale. Les seins peuvent certes relever de la sexualité, au même titre que le cou, les cuisses, le ventre, le dos ou les pieds, mais la Cour de cassation va plus loin : elle fait du sein féminin un élément intrinsèquement sexuel indépendamment du contexte. Il nous semble que le texte pénal implique au contraire de vérifier, au cas par cas, que les éléments matériel et moral de l’infraction sont présents, ce qui implique de vérifier si, dans le cas d’espèce, l’exhibition revêt un caractère sexuel.

L’arrêt encourt une seconde critique. En faisant de la poitrine féminine un élément sexuel, peu importe le contexte, la Cour de cassation prive la moitié de l’humanité de s’exprimer en utilisant ce vecteur de communication. Imaginons un instant qu’un homme, torse nu, se livre exactement au même comportement. Va-t-il être condamné pour exhibition sexuelle ? Poser la question c’est y répondre. Le torse nu n’est-il « sexuel » que s’il est féminin ? Comment justifier la nécessité et la proportionnalité d’une ingérence qui incrimine l’utilisation, par les femmes, de leur poitrine pour s’exprimer, au seul motif qu’elles sont des femmes ?

L’arrêt encourt une troisième critique. Au nom de quoi, fondamentalement, considérer une poitrine féminine comme intrinsèquement sexuelle, sans aboutir à la même conclusion s’agissant de la poitrine masculine ? N’y-a-t-il pas, dans l’approche même, une vision de la femme qui est le résultat d’un héritage construit par … des hommes ? Est-ce conciliable avec le principe même de l’égalité homme-femme ?

C’est tout cela que dénonce – à juste titre – la décision du Conseil de surveillance de Meta : toutes les poitrines ou aucune, mais pas de discrimination basée uniquement sur le genre.

Plus d’infos en lisant notre analyse de l’affaire Femen.

Droit & Technologies

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