Bientôt des GSM subsidiés par les opérateurs en Belgique ? L’arrêt de la CJCE change la donne.
Publié le 22/04/2009 par Etienne Wery
La loi belge interdit en principe les offres conjointes, et ne lève l’interdiction que dans certains cas précis soumis à des conditions strictes. C’est cela qui explique qu’aucun opérateur ne propose de GSM subsidiés moyennant un abonnement longue durée, et que les offres couplées de produits et services, fréquentes dans l’économie numérique, y sont absentes. L’arrêt de la CJCE devrait mettre un terme à cette interdition.
Les faits
Dans la première affaire soumise à la CJCE, Total Belgium, une filiale du groupe Total qui distribue notamment du carburant dans des stations-service, offre aux consommateurs détenteurs d’une carte Total Club trois semaines gratuites d’assistance au dépannage, pour chaque plein d’au moins 25 litres pour une voiture ou d’au moins 10 litres pour un cyclomoteur.
VTB, une société active dans le domaine de l’aide au dépannage, a demandé au tribunal d’ordonner à Total Belgium la cessation de cette pratique commerciale en ce qu’elle constituait, notamment, une offre conjointe interdite par l’article 54 de la loi de 1991.
Dans la deuxième affaire soumise à la CJCE, le litige au principal oppose Galatea, une société qui exploite un magasin de lingerie à Schoten (Belgique), à Sanoma, une filiale du groupe finlandais Sanoma, éditrice de plusieurs périodiques dont l’hebdomadaire Flair. Le numéro de Flair du 13 mars 2007 était accompagné d’un carnet donnant droit, entre le 13 mars et le 15 mai 2007, à une remise de 15 à 25 % sur des produits vendus dans certains magasins de lingerie situés dans la Région flamande.
Le 22 mars 2007, Galatea a introduit devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen une action en cessation de la pratique en cause, en faisant valoir que Sanoma avait violé, notamment, l’article 54 de la loi de 1991.
La CJCE a joint les deux affaires pour la réponse à la question préjudicielle.
Les questions préjudicielles
L’article 54, qui au centre des débats, est ainsi rédigé:
« Il y a offre conjointe au sens du présent article, lorsque l’acquisition, gratuite ou non, de produits, de services, de tous autres avantages, ou de titre permettant de les acquérir, est liée à l’acquisition d’autres produits ou services, même identiques.
Sauf les exceptions précisées ci-après, toute offre conjointe au consommateur effectuée par un vendeur est interdite. Est également interdite toute offre conjointe au consommateur effectuée par plusieurs vendeurs agissant dans une unité d’intention. »
C’est dans ces conditions que fut posée la question préjudicielle suivante dans la première affaire :
« La directive […] s’oppose-t-elle à une disposition nationale telle que celle de l’article 54 de la loi [de 1991] qui ─ réserve faite des cas énumérés limitativement dans la loi ─ interdit toute offre conjointe d’un vendeur à un consommateur, y compris l’offre conjointe d’un produit que le consommateur doit acheter et d’un service gratuit, dont l’acquisition est liée à l’achat du produit, et ce nonobstant les circonstances de l’espèce et en particulier nonobstant l’influence que cette offre particulière peut exercer sur le consommateur moyen et nonobstant la question de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, cette offre peut être considérée comme contraire à la diligence professionnelle ou aux usages honnêtes en matière commerciale? »
La deuxième affaire est similaire mais se fonde sur l’article 49 du Traité.
L’arrêt rendu
Avant toute chose, la CJCE vérifie si les offres conjointes, objet de l’interdiction litigieuse, constituent des pratiques commerciales au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») (JO L 149, p. 22, ci-après la «directive»).
La CJCE rappelle que l’article 2, sous d), de la directive définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de pratique commerciale comme «toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs».
Pour la Cour, il ne fait aucun doute que les offres conjointes constituent des actes commerciaux s’inscrivant clairement dans le cadre de la stratégie commerciale d’un opérateur et visant directement à la promotion et à l’écoulement des ventes de celui-ci.
La Cour se penche ensuite sur la marge de manœuvre laissée aux Etats par ladite directive.
Elle rappelle à cet égard l’objectif de la directive : établir des règles uniformes relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, afin de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection de ces derniers.
Pour la Cour, la directive procède, ainsi, à une harmonisation complète desdites règles au niveau communautaire. Dès lors, comme le prévoit expressément l’article 4 de celle-ci, les États membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.
Enfin, la Cour analyse les offres conjointes sous la loupe de la directive.
La directive établit, à son annexe I, une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui, conformément à l’article 5, paragraphe 5, de la directive, sont réputées déloyales «en toutes circonstances». Les offres conjointes ne figurent pas parmi les pratiques énumérées à ladite annexe I.
Dès lors, c’est à la lumière du contenu et de l’économie générale des dispositions de la directive qu’il convient d’examiner les questions posées par la juridiction de renvoi, et non au départ de l’annexe I.
Or, pour la Cour, en établissant une présomption d’illégalité des offres conjointes, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne répond pas aux exigences posées par la directive.
En quelque sorte, l’approche belge revient à ajouter à l’annexe I une pratique qui n’y figure pas, et cela, la Cour ne l’admet pas : l’annexe énumère de manière exhaustive les seules pratiques commerciales interdites en toutes circonstances, lesquelles ne doivent, dès lors, pas faire l’objet d’un examen au cas par cas.
La CJCE précise que sa position ne saurait être remise en cause par le fait que la loi de 1991 prévoit, à ses articles 55 à 57, un certain nombre d’exceptions à ladite prohibition des offres conjointes. En effet, pour la Cour, même si ces exceptions sont susceptibles de restreindre la portée de l’interdiction des offres conjointes, il n’en reste pas moins qu’elles ne sauraient, du fait de leur nature limitée et prédéfinie, se substituer à l’analyse, devant être nécessairement menée au regard du contexte factuel de chaque espèce, du caractère «déloyal» d’une pratique commerciale à la lumière des critères énoncés aux article 5 à 9 de la directive, lorsqu’il s’agit, comme dans les affaires au principal, d’une pratique non visée à l’annexe I de celle-ci.
Plus d’infos ?
En prenant connaissance de l’arrêt rendu, disponible en annexe.