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Aspects internationaux du réseau (DIP) : à propos de l’affaire Yahoo!

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Le droit international privé – DIP – est malmené depuis l’apparition de l’Internet : basé depuis des siècles sur les frontières bien réelles des Etats, les principes habituels volent en éclat avec l’ubiquité du réseau mondial. La récente ordonnance prononcée à charge de Yahoo! est un nouvel exemple du dérapage auquel la jurisprudence peut succomber.  Les…

Le droit international privé – DIP – est malmené depuis l’apparition de l’Internet : basé depuis des siècles sur les frontières bien réelles des Etats, les principes habituels volent en éclat avec l’ubiquité du réseau mondial. La récente ordonnance prononcée à charge de Yahoo! est un nouvel exemple du dérapage auquel la jurisprudence peut succomber. 
 
Les faits 
 
La Ligue Internationale contre le Racisme (Licra) a assigné à Paris, en référé, la société américaine Yahoo! au sujet de son site aux enchères Yahoo Auctions
 
Comment fonctionne Yahoo Auctions ? 
 
Chacun peut librement mettre en vente le bien qu’il souhaite, à charge de s’enregistrer préalablement. Les enchères peuvent être consultées librement et sans s’enregistrer, mais si un visiteur souhaite y participer en ajoutant une mise il doit alors s’enregistrer. 
 
Le site en question est en anglais ; les prix sont en dollars. 
 
Comme tous les sites similaires, bien qu’il soit en principe accessible à tous les citoyens du monde, Yahoo Auctions vise principalement les américains. En effet, la nature des objets mis en vente, les modes de paiement, le fait que seuls les particuliers puissent en principe l’utiliser, la nécessité d’une livraison physique d’objets souvent de faible valeur, … font des sites aux enchères entre particuliers un mode de communication relativement local. La langue et la monnaie utilisées renforcent ce sentiment. Ce champ restreint n’est pas propre à Yahoo! et est partagé par tous les sites similaires. 
 
Du reste, Yahoo! dispose de nombreux sites nationaux qui comportent une rubrique d’enchères pour le public local : c’est notamment le cas en France, en Italie et en Angleterre, … 
 
La Licra a constaté sur le site américain la mise aux enchères d’objets représentants des symboles de l’idéologie nazi : uniformes, livres, souvenirs de guerre, etc. Ces enchères sont naturellement accessibles à toute personne qui souhaite les suivre, y compris aux Français. 
 
Y voyant une violation de l’article R. 645-1 du code pénal, La Licra a assigné la société américaine Yahoo! à comparaître en référé à Paris pour

Ordonner à Yahoo! Inc., sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard et/ou par kilo-octet de fichier contrevenant à l’interdiction prononcée, de détruire toute donnée informatique stockée directement ou indirectement sur son serveur et cesser corrélativement tout hébergement et toute mise à disposition sur le territoire de la République à partir du site « Yahoo.com » de :

  1. – de messages, d’images et de textes se rapportant aux objets, reliques, insignes et emblèmes et drapeaux nazis ou évoquant le nazisme et pouvant actuellement être acquis sur le service  » Auction « ,  
     
  2. – de pages web exposant les textes, extraits ou citation de  » Mein Kampf « , et du  » Protocole des Sages de Sion  » pouvant être actuellement consultés, reproduits ou téléchargés sur le service d’hébergement Geocities de Yahoo ! Inc., aux adresses suivantes : (…)

Parallèlement, elle assignait la filiale française pour des faits liés à ceux qui précèdent ; ce chef de demande n’est pas étudié dans la présente actualité. 
 
Les aspects internationaux de l’Internet et les critères de rattachement 
 
Les lois représentent les valeurs que partage une société ; bien entendu, tous les pays n’ont pas la même hiérarchie de valeurs, parce qu’il n’ont pas tous la même histoire et la même culture. La France est ultra-sensible sur le sujet du nazisme parce qu’elle a souffert intensément de la guerre ; les Etats-Unis attachent moins d’importance à ce sujet et priviligient plus volontiers la liberté d’expression. Il n’y a aucun motif pour lequel un système de valeur doit être préféré : au contraire, le racisme commence lorsqu’on veut imposer à autrui son système de valeurs au détriment de la culture de l’autre. 
 
Jusqu’à présent ces systèmes juridiques (systèmes de valeurs) cohabitaient sans poser trop de problème. L’Internet les soumet au contraire à un choc frontal : l’information diffusée par un site web américain est par définition accessible à un visiteur français. L’ubiquité du réseau fait partie de son essence et de sa raison d’être. 
 
Afin d’éviter qu’un pays puisse imposer à un autre son échelle de valeurs en disant unilatéralement que les sites étrangers doivent respecter ses règles de droit interne, les juges considèrent habituellement qu’ils ne disposent d’une juridiction que si le site étranger présente avec leur pays des critères de rattachement suffisants
 
L’existence du rattachement est une condition capitale. En d’autres termes, le seul fait que le site soit accessible à partir du pays du juge n’est pas, en soi, un critère suffisant. 
 
Raisonner autrement aboutit à une impossibilité. D’une part les lois sont parfois contradictoires : la loi Toubon imposant le français est incompatible avec des ordonnances flamandes imposant le néerlandais. D’autre part, cela impliquerait que tous les sites du monde seraient soumis à toutes les juridictions du monde, ce qui signifie que les sites devraient respecter la règle du « plus petit dénominateur commun » : être en conformité avec la législation la plus restrictive dumonde sur chaque point précis. 
 
La langue, la nature du site et les activités qu’il poursuit, le lieu ou le dommage éventuel est subi, la nature et les destinataires de la publicité, les modes de paiement, les modes de livraison, la devise utilisée, la nature de l’infraction, la nationalité du titulaire du site et des visiteurs, … Il existe une infinité d’indices de rattachement parce qu’il y a une infinité de situations de fait, mais à chaque fois le juge doit vérifier que ce rattachement existe. 
 
Critique de l’ordonnance au niveau du DIP 
 
Ce 22 mai 2000, le président du TGI de Paris a rendu une ordonnance de référé ordonnant notamment à Yahoo! de

prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme ou une contestation des crimes nazis

Ce faisant, le juge a purement et simplement gommé l’exigence d’un rattachement suffisant. Il a en effet estimé pouvoir prendre connaissance du dossier et appliquer la loi française pour le seul motif que le site est accessible depuis le territoire français (ce qui va de soi). 
 
Le raisonnement suivi est simple : la simple visualisation est une faute sur la territoire français, qui cause un dommage au demandeur, ce qui justifie la juridiction des tribunaux français :

Attendu qu’en permettant la visualisation en France de ces objets et la participation éventuelle d’un internaute installé en France à une telle exposition-vente, Yahoo ! Inc. commet dont une faute sur le territoire français, (…) qui est à l’origine d’un dommage tant pour la Licra que pour l’Uejf (…) 
 
Attendu que le dommage étant subi en France, notre juridiction est donc compétente pour connaître du présent litige en application de l’article 46 du Ncpc ;

A suivre ce raisonnement, un tribunal afghan peut contraindre Les 3 Suisses de voiler toutes les femmes qui y posent en photo uniquement parce que le site est accessible depuis Kaboul ! Tel juge chinois va interdire la critique du communisme sur un site belge parce qu’on peut la lire depuis Pekin ! Et un autre tribunal saoudien va interdire toute promotion d’alccol sur le site français de Pernod Ricard parce ses concitoyens pourraient l’apercevoir … 
 
Ce qui est choquant n’est pas que le juge se soit estimé compétent, mais qu’il l’ait fait sans analyser l’exigence de critères de rattachement. Il est vrai que s’il l’avait fait, il aurait probablement conclu à l’inexistence totale de ce lien nécessaire : on a en effet rappelé ci-dessus les motifs pour lesquels ces sites n’ont qu’un rayonnement très local, qui est à notre sens insuffisant pour fonder la compétence d’un juge étranger. 
 
Critique de l’ordonnance au niveau de la solution préconisée 
 
Innovant, le juge a ordonné à Yahoo! de présenter d’ici le 24 juillet des solutions qu’elle compte prendre pour mettre un terme au dommage. Les attendus de la décision font état de la sélection à l’entrée du site sur base des adresse IP. 
 
La créativité juridique est une bonne chose, mais qu’il nous soit permis de penser qu’en l’espèce le magistrat a été mal inspiré. Comment en effet vérifier l’appartenance géographique ? 
 
Deux méthodes sont envisageables :

  1. Chaque visiteur, même s’il ne participe pas à l’enchère, doit s’identifier. 
     
    D’une part, l’efficacité est faible puisque rien n’interdit à un français de se présenter comme américain.  
     
    D’autre part, et surtout, nous refusons d’envisager un réseau dans lequel chaque visite doit faire l’objet d’une identification préalable. Cette pratique est au demeurant totalement contraire aux législations qui protègent la vie privée, ainsi qu’à la recommandation 3/97 du Groupe 29 créé par la directive européenne relative à la protection de la vie privée, dans laquelle on lit que la consultation passive du web doit pouvoir se faire anonymement. 
     
  2. Le titulaire du site tente lui-même de mettre en oeuvre des moyens techniques permettant d’identifier la provenance de son visiteur (langue du navigateur et du système d’exploitation, adresse IP, type de clavier, …). 
     
    A nouveau, nous refusons que chaque visite soit ainsi tracée et qu’un profil soit établi en contradiction avec les lois sur la vie privée. La collecte de ces informations est un « traitement » au sens de la loi, qui ne peut se faire qu’avec le consentement de la personne concernée.

Bref, soutenir l’interdiction de la vente d’objet nazis au détriment de la protection de la vie privée … Entre la peste et le choléra le choix est difficile. 
 
Critique de la compétence du juge des référés 
 
Les questions ci-dessus méritent bien un débat. 
 
Ce débat, sa complexité et son importance ne sont-elles pas incompatibles avec la compténce du juge de référé, décrit comme le juge de l’évidence et du prima facie
 
Le fond de la demande 
 
Enfin, la dernière question posée par ce dossier porte sur les moyens de filtrer ces enchères préjudiciables, à défaut d’être illégales (aux USA). Yahoo! a en effet clairement indiqué qu’elle était mal à l’aise avec ces enchères et qu’elle s’en passerait bien volontiers. 
 
Nous renvoyons à ce sujet à notre actualité du 12 avril 2000 
 
Le texte de l’ordonnance 
 
Le texte sera prochainement accessible sur ce site dans la nouvelle rubrique « jurisprudence ». Entretemps, il peut être consulté sur Legalis

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