Artiste-interprète : la cour de cassation revient-elle à un formalisme strict ?
Publié le 04/06/2013 par Etienne Wery
Dans un arrêt rendu ce 29 mai, la cour de cassation estime que ne constitue pas un contrat conclu pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle, le contrat souscrit par chacun des interprètes d’une composition musicale destinée à figurer dans la bande sonore de l’ouvre audiovisuelle. Arrêt d’espèce ou retour au formalisme strict ?
Les artistes-interprètes
Certains intermédiaires de la création bénéficient d’un système de protection voisin de celui des auteurs. Selon l’article L. 212-1 CPI, « à l’exclusion de l’artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. »
Les droits voisins sont consacrés dans l’ensemble des pays européens et reconnus dans la directive sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins. Au niveau international, ils servent de fondement à la convention de Rome du 26 octobre 1961 et ont été insérés dans les accords ADPIC et le traité OMPI.
Les artistes-interprètes sont des auxiliaires de la création : ils ne créent pas l’œuvre mais l’interprètent, l’exécutent, lui donnent vie. L’exemple classique est le chanteur qui n’a écrit ni la musique ni les paroles, mais interprète la chanson sur la scène. Bien souvent, le public est incapable de citer le nom de l’auteur des paroles et de la musique et associe véritablement la chanson à son interprète.
Le régime des artistes interprète pose plusieurs problèmes, dont deux sont particulièrement saillants :
1. La loi ne reconnaît pas la qualité d’artiste-interprète aux artistes dont l’apport se limite à l’exécution d’une prestation strictement technique, ou s’il n’y a aucun apport personnel de l’artiste-interprète. Ainsi, les techniciens et ingénieurs qui interviennent pour améliorer la qualité de la fixation ou de la diffusion des textes, images ou son, ne sont généralement pas considérés comme des artistes-interprètes : ils ne s’investissent pas dans le processus d’interprétation de l’œuvre, n’y apportent pas ce « coup de patte » qui permet de transcender la prestation uniquement technique. Il en va de même, généralement, des responsables du montage, numériseurs, ergonomes et infographistes qui doivent tous établir un apport créatif, et non seulement technique, pour pouvoir être protégés.
2. Le régime des artistes-interprètes est, comme en matière de droits d’auteur, scindé en attributs d’ordre patrimonial et moral. Et, comme pour les auteurs, les principes de base à retenir sont la présence d’un écrit, et l’interprétation restrictive des autorisations données. Toutefois, pour certaines œuvres, le régime peut être différent, notamment en matière d’œuvre audiovisuelle.
L’article L. 212-3 CPI pose pour principe que « Sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image. »
Toutefois, s’agissant des œuvres audiovisuelles, l’article L. 212-4 apporte une touche de souplesse en énonçant que : « La signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète. Ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre. »
Récolter l’autorisation, pas toujours simple !
C’est sur la question de l’autorisation de l’artiste-interprète de la bande-son d’une oeuvre audiovisuelle, que la Cour de Cassation a rendu le 29 mai un arrêt intéressant.
Cette question est, sur le plan pratique, très importante.
Il faut se rendre compte que la création d’une œuvre d’une certaine ampleur, nécessite souvent la réunion d’un grand nombre d’intervenants. Dans pareil cas, celui qui coordonne le processus de création est confronté à un problème pratico-pratique : comment gérer, au quotidien, dans les studios, sur la scène ou en plein milieu d’un tournage à l’extérieur, la collecte des autorisations des nombreux intervenants ?
On voit régulièrement le producteur de l’œuvre audiovisuelle adopter la technique des feuilles de présence. Dans la mesure où la présence physique des artistes-interprètes est requise, le producteur part de l’idée que la feuille de présence vaut contrat. Il fait donc signer une feuille qui reprend le nom de l’intervenant, la date, l’heure d’arrivée et de sortie, et arrive en général en cas de problème à prouver que c’est dans cette tranche horaire là que l’artiste-interprète a travaillé. Et les juges se montrent en général conciliants.
C’est cette solution pratico-pratique que la Cour de Cassation semble remettre en cause dans les attendus suivants :
« Attendu qu’il résulte de ces textes que la signature d’un contrat entre un artiste-interprète et un producteur ne vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète que s’il a été conclu pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle ;
Attendu que pour débouter la Spedidam de l’ensemble de ses demandes, l’arrêt retient que l’accompagnement musical n’est aucunement séparable de l’œuvre audiovisuelle mais en est partie prenante, dès lors que son enregistrement est effectué pour sonoriser les séquences animées d’images et constituer ainsi la bande son de l’œuvre audiovisuelle ; qu’il en déduit que la feuille de présence signée, lors de l’enregistrement, par chacun des musiciens constitue un contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle emportant l’autorisation, au bénéfice de ce dernier, de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète ;
Qu’en statuant ainsi, alors que ne constitue pas un contrat conclu pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle le contrat souscrit par chacun des interprètes d’une composition musicale destinée à figurer dans la bande sonore de l’œuvre audiovisuelle, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application et le second par fausse application. »
Commentaires
La Cour de Cassation se montre extrêmement formaliste.
Cet arrêt est, à cet égard, plutôt en décalage par rapport à l’évolution jurisprudentielle qui tend à aborder les choses avec un regard pragmatique. Les juges se montrent intransigeants lorsque le consentement n’a pas été obtenu, mais ils font preuve d’une certaine tolérance sur le plan du formalisme par lequel ce consentement s’exprime, et plus encore en matière d’œuvres audiovisuelles car, d’une part la loi elle-même a voulu plus de souplesse, et d’autre part ces œuvres particulières requièrent souvent un nombre élevé d’intervenants ce qui rend les tâches de gestion administrative plus lourdes.
Il faudra donc observer la réaction des juges du fond et de la Cour de Cassation dans le futur, pour voir s’il s’agit d’une condamnation véritable du pragmatisme ou d’un arrêt lié aux faits de la cause.
Il n’est pas simple de savoir si c’est la technique de la feuille de présence que la cour condamne, ou si c’est le cas particulier des artistes ayant participé à la bande-son de l’oeuvre audiovisuelle qui est visée.
Tous en Belgique ?
Une conséquence qui pourrait s’attacher à un retour en arrière vers un formalisme exacerbé, pourrait être le déplacement d’un certain nombre de productions vers l’étranger.
La création audiovisuelle a fait l’objet de soins attentifs dans des pays aussi éloignés que … la Belgique.
Non seulement le système fiscal du « tax shelter » y est extrêmement favorable, mais la tâche du producteur de l’œuvre audiovisuelle y est aussi facilitée car c’est la loi qui lui transfère tous les droits des intervenants, de sorte que cette cession sort pleinement ses effets même en l’absence de contrat ou de clause ad hoc.
On enseigne en droit belge que : « le producteur pourrait donc ne pas conclure de contrat avec les auteurs de l’œuvre audiovisuelle puisqu’il tient leurs droits par l’effet de la présomption légale ». En droit belge, les personnes physiques qui ont collaboré à une œuvre audiovisuelle doivent comme en droit français établir leur qualité d’auteur ou de titulaires de droits voisins, mais une fois qu’elles ont franchi cette étape elles « perdent la main » au profit du producteur qui est légalement investi de tous les droits d’exploitation – la solution est la même qu’il y ait ou non un contrat puisque c’est la loi qui investit le producteur desdits droits.