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Arrêt DELFI : la liberté d’expression est-elle en danger ?

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La Cour Européenne des Droits de l’Homme crée la polémique, ayant rendu le 16 juin 2015, en grande Chambre, une nouvelle décision dans l’affaire dite « Delfi ». Depuis lors, les commentaires se déchainent, souvent alarmistes : la liberté d’expression serait en danger. La censure vient-elle du froid, et plus particulièrement d’Estonie ? Analyse décalée d’une affaire locale devenue emblématique.

Contexte et enjeux

Pour mémoire, la société Delfi, est la propriétaire d’un des plus gros portails d’actualités sur internet en Estonie, publiant plusieurs centaines d’articles par jour. Elle permet aux lecteurs de poster, depuis son site, des commentaires en relation avec les articles en ligne. Certains de ceux-ci suscitent plus de 10 000 commentaires par jour, publiés pour la plupart sous pseudonymes.

En l’espèce, un article publié le 24 janvier 2006, intitulé « SLK brise une route de glace en formation » avait suscité l’émoi et le dérapage de certains internautes qui s’en étaient pris violemment à l’actionnaire unique de la société : une vingtaine de commentaires était d’évidence injurieux et offensant à l’encontre de cette personne, certains relevant de l’antisémitisme primaire. Le 9 mars 2006, SLK exigeait de la société Delfi de retirer les commentaires injurieux –ce qu’elle fit le jour même- ainsi que 32 000 Eur à titre d’indemnisation d’un dommage moral. Suite à divers recours de droit interne, la société Delfi fut effectivement condamnée en réparation à …320 Eur, tant pour n’avoir pas empêché la publication de commentaires clairement illicites que pour ne pas les avoir retirés de sa propre initiative.

La société Delfi porta l’affaire devant la Cour Européenne des droits de l’Homme voyant dans cette condamnation l’imposition d’une responsabilité et d’une censure préalable en violation de la liberté d’expression (l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).

L’enjeu est de taille et la question juridique posée essentielle : la société Delfi pouvait-elle être exclue de l’exonération de responsabilité spécifique aux intermédiaires de l’internet –règle harmonisée sur la base de la directive e-commerce du 8 juin 2000- comme avaient décidé les juridictions estoniennes, pour répondre de sa responsabilité de droit commun, en tant qu’éditeur de contenu sur internet ? Derrière l’interrogation se pose la question du critère permettant la qualification d’intermédiaire aux nouveaux prestataires 2.0. de la société de l’information : fournisseurs de réseaux sociaux (Facebook etc.), de sites de partage de contenu (YouTube etc.), hébergeurs de blogs etc. Ces prestataires sont-ils responsables des contenus publiés par les utilisateurs de leurs services ?

Dans un premier arrêt du 10 octobre 2013, la Cour créa l’émoi de certains juristes et des professionnels du web en concluant à la non-violation de la liberté d’expression et donc, à l’admission de la responsabilité de la société Delfi. Elle confirme sa position dans un second arrêt mais, cette fois, en grande chambre, ce qui donne lui donne un poids particulier.

L’analyse de la Cour

La Cour se refuse à nouveau de censurer la décision des juges estoniens, ne voyant pas en quoi leur décision serait porteuse d’une ingérence illicite dans la liberté d’expression.

Pour la Cour, ladite condamnation en responsabilité était prévisible -dans les circonstances de l’espèce- au vu du droit estonien applicable, pour un éditeur de médias exploitant un portail d’actualités à des fins commerciales. Ce faisant, la Cour se refuse a priori de prendre position sur la justification de la position des juridictions estoniennes quant à la non application, en l’espèce, des règles internes implémentant l’ exonération de responsabilité des intermédiaires d’internet, issue de la directive e-commerce.

La Cour rappelle ensuite quelques principes fondamentaux :  le rôle essentiel de la presse dans une société démocratique, l’existence de limites à ne pas franchir, tenant notamment à la protection de la réputation et des droits d’autrui, l’absence de protection des discours incompatibles avec les valeurs proclamées et garanties par la Convention et la nécessité d’un juste équilibre entre la liberté d’expression d’une part, et le droit au respect de la vie privée et de l’ honneur, d’autre part, ceux-ci « méritant par principe un égal respect ». Elle reconnaît aussi le bénéfice tiré de l’existence de sites internet d’actualité pour la communication de l’information, tout en dénonçant les risques accrus que ces sites peuvent faire courir aux droits d’autrui et insiste sur la nécessaire prise en compte de l’impact du média utilisé pour apprécier les « devoirs et responsabilités » d’un journaliste.

Appliquant ces principes, la Cour a considéré que l’ingérence réelle de la condamnation litigieuse dans l’exercice de la liberté d’expression de la société Delfi n’était pas disproportionnée. Ce faisant, elle admet que la décision attaquée est fondée sur des motifs pertinents et suffisants, notamment : le contexte commercial de la publication des commentaires (le but mercantile du portail, le fait que  dépendant principalement de la publicité, et donc du nombre de visites directement lié au nombre de commentaires postés, le contrôle important exercé par Delfi sur les commentaires publiés sur son portail etc.), la difficulté de mettre en cause la responsabilité des auteurs des commentaires restés pour la plupart anonymes, l’absence de mesures de contrôle suffisamment efficaces des commentaires postés et l’absence de retrait rapide des commentaires clairement illicites…

La portée de la décision Delfi

On peut certes regretter que la Cour n’ait pas cherché à trancher la problématique de la qualification d’intermédiaire à la société Delfi et partant, apporté son éclairage aux critères permettant d’admettre ou de refuser l’exonération de responsabilité qui y est reconnue par la directive e-commerce. Mais pouvait-on attendre de la Cour européenne des droits de l’homme une telle intervention ?

Il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne en vigueur. La Cour n’intervient en réalité que marginalement non pas en permettant un ultime recours sur le fond –ce qui supposerait qu’elle prenne position sur la règle interne applicable- mais pour contrôler si la décision prise dans un Etat membre est compatible avec les valeurs protégées par la Convention. Elle le fait en ne sanctionnant que l’atteinte « disproportionnée » laissant ainsi nécessairement aux Etats membres une marge de manoeuvre dans leurs décisions et jugements. On peut le regretter. Mais tel est bien le système de protection institué par la Convention.

La Cour a considéré la condamnation estonienne comme acceptable, au regard de la liberté d’expression et de l’équilibre à préserver avec les droits d’autrui c’est-à-dire aux règles qui gouvernent toute société démocratique. Pas de liberté sans responsabilité. Même pour la liberté d’expression. Si on tient compte des circonstances très spécifiques de la cause, nous ne voyons pas là l’expression d’une mise en danger de la liberté d’expression.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt rendu par la CEDH

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