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Annulation d’un brevet : On fait quoi du passé ? Peut-on remonter le temps ?

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La Cour de cassation française (Assemblée plénière) clarifie sa jurisprudence : « l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet (…) n’est pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution d’une condamnation du chef de contrefaçon. » Cela peut paraitre sévère mais la sécurité juridique est à ce prix.

Depuis la loi (française) du 13 juillet 1978, l’article L613-27 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) stipule que « la décision d’annulation d’un brevet d’invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition. »

Les effets d’une décision d’annulation pour l’avenir sont simples : La décision d’annulation anéantit de manière définitive et erga omnes le brevet.

La question des conséquences, pour le passé, d’une décision d’annulation étaient beaucoup moins claires et la jurisprudence de la Cour de cassation française n’avait jamais fourni de réponse parfaitement claire et univoque à cette question, jusqu’à l’arrêt du 17 février 2012, rendu en Assemblée plénière, qui a consacré le fait que la décision d’annulation n’entraîne pas l’obligation de restitution des dommages et intérêts versés en exécution d’une décision antérieure coulée en force de jugée.

Un premier courant jurisprudentiel : Effets rétroactifs limités d’une décision d’annulation

L’arrêt « New Holland » (28 janvier 2003) a été rendu dans une espèce où à la suite d’un procès en contrefaçon, la société New Holland, titulaire du brevet, avait conclu avec le prétendu contrefacteur, la société Greenland, un règlement transactionnel prévoyant le paiement d’une indemnité et l’octroi d’une licence non-exclusive pour l’avenir.  Le brevet de New Holland ayant par la suite, et dans une autre instance opposant d’autres protagonistes, avait finalement été annulé et la question s’est donc posée de savoir quel sort réservé à la licence et aux redevances qui avaient déjà été versées par Greenland. 

La Cour de cassation avait ainsi tranché en considérant que si la licence devait être annulée, les redevances payées ne devait pas être remboursées au motif que le licencié avait bénéficié de la protection accordée par le brevet pour toute la période durant celui-ci avait été tenu pour valide.  Si le concédant était en mesure de restituer les redevances perçues, le licencié n’était pas en mesure de restituer la protection que le brevet lui avait apportée.

Un second courant jurisprudentiel : Effets rétroactifs absolus d’une décision d’annulation : l’effet domino

Par la suite, la jurisprudence de la Cour de cassation a semblé pencher en faveur d’une application bien plus absolue de l’article L 613-27, conduisant à la mise à néant de toutes les décisions antérieures, même celles coulées en force de chose jugée.

Le litige « Haribo » ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 janvier 2005 a mis en scène la société Haribo, condamnée pour contrefaçon de la marque Halloween.La décision de condamnation avait été assortie d’une interdiction, sous astreinte, de poursuivre les actes contrefaisants.    Le litige s’était poursuivi jusqu’en cassation sur le point de la liquidation de l’astreinte, tandis que la condamnation proprement dite à cesser la contrefaçon avait été coulée en force de chose jugée.  A la date où la Cour de cassation avait statué sur le pourvoi relatif à la liquidation de l’astreinte, la marque Halloween était annulée par un arrêt irrévocable.  La Cour de cassation avait alors cassé la décision de la Cour d’appel ayant liquidé l’astreinte au motif que l’annulation irrévocable de la marque avait anéanti le fondement de la décision d’interdiction et devait donc conduire à l’annulation de la liquidation de l’astreinte.  A propos de l’arrêt Haribo, la doctrine parle d’un effet « domino » en vertu duquel une décision d’annulation d’un titre de propriété intellectuelle entraînerait de facto la mise à néant de toutes les décisions antérieures incompatibles, au motif que les décisions antérieures ont perdu leur fondement juridique par survenance d’un fait postérieur (en l’occurrence l’annulation du titre de propriété intellectuelle).

L’arrêt « Scherrer et Normalu » (12 juin 2007) conduit aux mêmes effets absolus que l’arrêt Haribo, en empruntant cependant un raisonnement différent.  La société Newmat, poursuivie par la société Normalu (licencié exclusif), avait été condamnée du chef contrefaçon au paiement de dommages et intérêts, par une décision devenue définitive.  Une expertise en vue de fixer lesdits dommages avait été ordonnée. Entretemps, Newmat avait obtenu dans une autre instance la nullité du brevet. Saisie en appel de la décision de fixation du préjudice, la Cour d’appel avait reformé la décision du premier juge au motif que « l’annulation privait la procédure d’indemnisation de tout support juridique ».  Sur un pourvoi de Normalu, la Cour de cassation avait confirmé la décision de la Cour d’appel en considérant que « il n’y a pas d’autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice ».  Dans ce cas d’espèce, la Cour de cassation a constaté la disparition de l’autorité de chose jugée du fait d’un événement postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée.

L’arrêt du 17 février 2012

On le voit, il était temps pour la Cour de cassation de clarifier sa jurisprudence : Fallait-il donner aux décisions d’annulation d’un titre de propriété intellectuelle une rétroactivité totale (arrêts « Haribo » et « Scherrer et Normalu ») et ou en limiter les effets sur les décisions passées (arrêt « New Holland ») ?

Dans son arrêt du 17 février 2012, objet de la présente actualité, la Cour opte pour une rétroactivité limitée des décisions d’annulation. 

M. X est condamné par jugement du 13 mars 1997 (confirmé le 10 septembre 2001 par la Cour d’appel, sauf en ce concerne le montant des dommages et intérêts qu’elle a aggravé)aux paiements de dommages et intérêts dont il s’acquitte finalement.  Postérieurement, les revendications du brevet, à l’appui desquelles M. X avait été condamné, sont annulées par décision du TGI de Lyon du 15 juin 2000.  L’annulation est confirmée le 21 février 2002 par arrêt de la Cour d’appel de Lyon, et le pourvoi en cassation introduit à l’encontre de cet arrêt est rejeté le 5 octobre 2004.

Arguant de l’annulation, M. X assigne le titulaire du brevet en remboursement des dommages et intérêts payés.  Tant le TGI de Valence que la Cour d’appel de Grenoble rejettent la demande.  M. X introduit un pourvoi contre de l’arrêt précité sur le moyen unique que la « décision d’annulation d’un brevet d’invention, qui a un effet à la fois rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet annulé ; qu’elle rend donc indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, serait-elle irrévocablement passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées ».

La Cour de cassation, dans sa décision du 17 février 2012 rendue sur avis conforme du premier avocat général, rejette le pourvoi au motif « qu’ayant relevé que M. X… avait été condamné comme contrefacteur par une décision irrévocable, la cour d’appel en a exactement déduit que l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet dans la mesure de l’annulation des revendications prononcée par une décision postérieure n’était pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de sa condamnation du chef de contrefaçon ; »

La cause mérite de s’arrêter quelques instants sur l’avis du premier avocat général qui d’emblée annonce vouloir infléchir la jurisprudence « Haribo » et « Scherrer et Normalu ».  L’avis du premier avocat général tranche d’ailleurs par sa clarté et son ton direct :

« Rien ne justifie que l’on considère que l’annulation postérieure d’un brevet anéantit la condamnation irrévocable pour contrefaçon. La situation présentée ne correspond pas aux cas habituels de perte de fondement juridique ou de modification d’une situation antérieurement reconnue en justice. L’on est seulement en présence de deux décisions différentes rendues dans deux instances différentes, parfois à deux époques différentes et qui, en outre, n’ont, le plus souvent, en commun que l’une seulement des parties en présence (à savoir le titulaire du brevet).

Faut-il chercher une autre solution ? Faut-il imaginer un autre fondement pour permettre la restitution des réparations versées au titre de la contrefaçon de l’objet du brevet annulé ? Autrement dit, est-il scandaleux que celui qui a ultérieurement vu son titre annulé, conserve les indemnités qui lui ont été allouées quand il pouvait s’en prévaloir ?

Nous ne le croyons pas. Celui qui a été condamné pour contrefaçon l’a été au regard d’une situation qu’il connaissait et d’un titre qu’il a délibérément choisi d’ignorer, alors qu’il lui était loisible de l’attaquer. On rappellera, à cet égard l’adage : “foi est due au titre” (JC Galloux, Droit de la Propriété Industrielle, Dalloz, n° 416). Quelle portée garderait-il si tous les effets de tous les brevets régulièrement déposés pouvaient à tout moment être annulés par l’effet d’une décision judiciaire postérieure (le cas échéant même bien postérieure) ? On voit bien, au contraire, la très grande fragilisation des titres qui en résulterait, et le peu de cas que cela pourrait inciter à faire du brevet les concurrents de celui qui l’a déposé.

Rappelons qu’il résulte de la jurisprudence New-Holland (cf. ci-dessus) que l’annulation d’un contrat de licence intervenue en conséquence de celle du brevet sur lequel il portait “n’a pas pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui”. Si bien que si l’on décidait que l’annulation d’un brevet entraîne par le jeu d’un effet “domino”, ou sur la base de toute autre construction, la restitution des indemnités versées en exécution d’une condamnation pour contrefaçon, on arriverait à ce résultat paradoxal de mieux traiter celui qui s’est délibérément affranchi des obligations découlant d’un titre qui avait, pourtant, une existence légale au moment où a eu lieu l’exploitation contrefaisante, que celui qui a accordé “foi au titre” au point de choisir de rémunérer l’exploitation qu’il en a faite. Le paradoxe serait d’ailleurs d’autant plus choquant que cette situation reviendrait aussi à accorder plus de poids aux effets d’un contrat qu’à ceux d’un jugement irrévocable.

Tout est-il, pour autant, dit ? Et l’annulation ultérieure d’un brevet (ou, mutatis mutandis, d’une marque) ne doit-elle être d’aucun effet sur les conséquences du jugement de condamnation pour contrefaçon ? Certainement pas, et il demeurera nécessaire (le cas échéant à l’occasion d’autres pourvois) d’organiser les effets de la deuxième décision sur la première.

En effet, la condamnation pour contrefaçon ne fixe pas seulement le montant des dommages-intérêts dus par le contrefacteur ; le plus souvent elle interdit également à celui-ci de poursuivre la fabrication et la vente du produit contrefait, le cas échéant sous astreinte. Il serait totalement contraire à l’esprit de la loi que celui qui a été condamné pour contrefaçon continue, après annulation du brevet, à être frappé de cette interdiction alors que l’exploitation de l’invention qui, par hypothèse, n’est plus protégée, est désormais ouverte librement à tout un chacun.

Or, lui permettre de s’affranchir, sur ce point, de la condamnation dont il a fait l’objet revient nécessairement à remettre en cause, au moins en partie, soit la décision, elle-même, soit son autorité. Mais alors, pourquoi faire une différence entre deux éléments d’un même dispositif : la réparation du préjudice et l’interdiction sous astreinte ?

Comme le dit le Professeur Py (op cit, n° 165) à propos de la liberté retrouvée de celui qui a été condamné : “une telle solution suppose néanmoins que la décision d’annulation implique une cessation des effets de la chose jugée pour l’avenir”.

Cette solution est celle qui s’évince du texte. Comme nous l’avons dit, si l’article L. 613-27 du code la propriété intellectuelle confère un effet absolu à l’annulation d’un brevet, il ne parle pas de rétroactivité. De l’effet absolu nous parait découler l’interdiction absolue faite à celui qui avait déclaré le brevet de continuer à se prévaloir tant de celui-ci que des décisions de justice auxquelles il a servi de fondement, mais revenir sur les effets passés desdites décisions serait y ajouter un effet rétroactif qui n’existe pas. Cet effet absolu de l’annulation nous parait donc suffisant pour permettre à celui auquel cela a été interdit d’exploiter, néanmoins, l’invention dont s’agit sans qu’il y ait de contradiction à le débouter en même temps des demandes de restitutions qu’il présente. »

(Arrêt n° 604 du 17 février 2012)

 

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