An 2000 : la cour d’appel donne raison à l’utilisateur
Publié le 04/03/1999 par Etienne Wery
Nous nous sommes fait l’écho du jugement rendu le 16 juin 1998 par le TGI de Macon (France). La procédure a suivi son cours et un arrêt en sens contraire a été rendu en degré d’appel. Les faits Dans cette affaire, les juges sont confrontés à un engagement de maintenance du fournisseur, ainsi rédigé :…
Nous nous sommes fait l’écho du jugement rendu le 16 juin 1998 par le TGI de Macon (France). La procédure a suivi son cours et un arrêt en sens contraire a été rendu en degré d’appel.
Les faits
Dans cette affaire, les juges sont confrontés à un engagement de maintenance du fournisseur, ainsi rédigé :
« (…) il convient de compléter notre tarif des informations suivantes :
1. Notre logiciel est garanti gratuitement et sans limite de durée ; 2. La maintenance du logiciel est gratuite et sans limite de durée ; 3. La disponibilité des nouvelles versions est gratuite pour tous (…) ».
Le premier jugement
Après avoir rappelé qu’il lui appartient de dégager la portée du contrat en appliquant les articles 1134 (exécution de bonne foi des obligations) et 1156 et suivants (règles d’interprétation des contrats) du code civil, le premier juge avait estimé que :
« l’engagement unilatéral souscrit par la défenderesse doit être interprété de bonne foi et selon ce que la raison et le bon sens commandent ;
(…) que la durée de l’engagement mentionnée comme « sans limitation de durée » doit s’entendre en rapport avec l’obsolescence du logiciel ;
(…) qu’il n’est en effet pas concevable qu’un tel engagement soit à perpétuité et n’ait pas un terme en rapport avec les usages professionnels et les réalités économiques … ».
Le premier juge avait donc estimé qu’un engagement sans limitation de durée n’est pas nécessairement un engagement perpétuel. A cette notion trompeuse il substituait le résultat du rapport entre la nature illimitée de la prestation et l’obsolescence du bien sur lequel elle porte.
L’arrêt de la cour d’appel
La cour d’appel a rendu le 4/2/1999 un arrêt en sens diamétralement opposé : elles estime que sauf à dénaturer le sens claire et précis de la formule « durée illimitée » et à vider cette clause de tous sens, le tribunal ne pouvait considérer qu’elle devait s’entendre de la durée de vie du logiciel, telle que décidée unilatéralement par Bel Air Informatique ».
Commentaires
La cour d’appel nous paraît manquer quelque peu de nuance dans la formulation trop abstraite de son arrêt.
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Interpréter un contrat pour dégager la commune intention des parties dans le cadre des articles 1156 à 1164 du code civil, n’est pas nécessairement le vider de son sens. Tout contrat s’inscrit en effet dans un cadre juridico-économique plus large auquel il faut avoir référence. C’est précisément pour cette raison que le code civil prévoit expressément des règles d’interprétation.
Il nous paraît donc un peu trop réducteur de déclarer comme une vérité absolue qu’une maintenance gratuite « sans limite de durée », oblige forcément le fournisseur a adapter le logiciel a des développements techniques nouveaux, inconnus au moment de la conception de la logiciel. Cela revient ni plus ni moins à nier la possibilité d’interprétation qui est réservée au juge par le code.
Rappelons que le TGI de Créteil, confronté également avec un litige impliquant l’an 2000 avait également admis qu’il fallait interpréter la notion d’usage perpétuel prévu par l’article 1615 du code civil en cas de vente : le tribunal avait estimé qu’il « ne peut être sérieusement prétendu que l’article 1615 devrait avoir pour conséquence en la matière d’imposer la garantie d’un usage perpétuel dans un domaine technique, particulièrement évolutif, et où il est constant que les impératifs de passage à l’an 2000 n’ont pas été pris en compte par l’ensemble des professionnels jusqu’à une date récente ».
Nous renvoyons à notre actualité précédente
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Par ailleurs la cour est en décalage avec la pratique, et oublie qu’un contrat de maintenance n’est pas l’autre : on distingue souvent la maintenance-correction (correction des erreurs), la maintenance-adaptation (adaptation à l’environnement extérieur comme un changement de taux de TVA par exemple), et la maintenance-évolution (adaptation à une décision propre à l’utilisateur).
Avant de dire que la mise à niveau avec l’an 2000 est comprise dans la maintenance offerte, la cour aurait dû définir l’ampleur de celle-ci, c’est-à-dire rattacher l’engagement de Bel Air Informatique à une de ces trois catégories. Cela n’aurait vraisemblablement rien changé à l’issue du procès, puisque en l’espèce il s’agit probablement d’une maintenance-correction dont nous pensons qu’elle implique la mise à niveau avec l’an 2000, mais l’absence de précision démontre une fois encore la vision trop simpliste de la cour.
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Il n’est pas dans notre propos de dire qu’en l’espèce la cour a mal jugé ; nous pensons plutôt qu’elle a été influencée par le fait que la mise à niveau n’impliquait en l’espèce que peu de travaux : le fournisseur reconnaissait lui-même que certains modules étaient compatibles et d’autres pas, et « qu’en amputant certaines instructions spécifiques à des fonctionnalités non acquises, il sera possible de gérer l’an 2000 avec la place ainsi libérée »
Il aurait été plus correct à nos yeux d’avouer le vrai motif de la condamnation au lieu d’énoncer une vérité aussi absolue et abstraite, et dès lors forcément aussi critiquable.
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