Amazon s’attaque au secteur de la grande distribution alimentaire. Bataille de géants en vue…
Publié le 08/12/2016 par Etienne Wery
Vous entrez dans le magasin, vous parcourrez les rayons et prenez les fruits, légumes, viandes et autres produits qui vous plaisent, puis vous partez sans avoir à passer en caisse. Le système a détecté la composition de votre panier et vous envoie la facture à domicile. Voilà en résumé le grand magasin vu par Amazon Go. Actuellement en test à Seattle.
L’e-commerce alimentaire, relativement protégé
On connaissait le e-commerce alimentaire, et ses avantages et inconvénients. Facile, disponible 24 heures sur 24, il présente toutefois les caractéristiques d’un système non abouti sur le plan de la transformation numérique. Client et commerçant doivent encore se rencontrer et assumer chacun une partie du travail (commande, empaquetage, livraison). Par ailleurs, le client aime toucher ses fruits et légumes, voir sa viande, et sentir son melon avant de l’acheter, de sorte qu’il y a une barrière psychologique non négligeable.
Pour ces raisons, le secteur de la grande distribution alimentaire est resté relativement protégé de la transformation numérique qui frappe tant d’autres métiers.
Depuis quelques temps, Amazon s’intéresse au secteur alimentaire. Pour quelle raison ? L’alimentaire est un secteur affectif, donc très fidélisant. Les marges ont beau être limitées, le client qui aime son enseigne y revient. La rentabilité est possible grâce à la récurrence, sans compter la capacité de l’alimentaire à jouer le rôle de produit d’appel (les hyper l’ont bien compris, qui proposent des télévisions ou des vêtements).
Amazon Go : un tremblement de terre en perspective
Le concept, qui vient d’ouvrir à Seattle est révolutionnaire ; un magasin totalement automatisé et sans caisse. La technologie a été poussée à l’extrême : l’ordinateur sait que vous palpez 3 melons mais que vous n’en achetez qu’un seul, il comprend que vous avez changé d’avis et remis en rayon le lait écrémé, sait que tel produit est temporairement en réduction, il connait le poids de la grappe de raisins choisie, etc. Il n’y a rien à scanner, tout est automatisé. On se sert, on met dans le caddie. Quant à la caisse, elle a disparue. Vous partez sans payer car votre compte Amazon a déjà été débité et un ticket de caisse détaillé vous parvient par mail.
Capteurs, senseurs, algorithmes, caméras, le cocktail technologique est époustouflant.
En Europe, le secteur regarde avec un mélange d’intérêt, de doute et parfois de dédain.
Intérêt, car tout le monde sait que le secteur va encore évoluer. Les caisses auto-enregistreuses, le selfscan, la pré-commande à domicile, le drive-in, etc. sont des signes qui ne trompent pas. La transformation numérique de la grande distribution alimentaire n’est qu’au début ; il est interdit de rater la big new thing car celui qui loupe son départ pourrait bien disparaitre.
Doute, car il y a des freins. Psychologiques d’abord : le public n’aime pas la technologie qui remplace l’humain (la preuve par le selfscan à l’aéroport, détesté par la plupart des voyageurs). Et puis, il y a le conseil, toujours apprécié dans certains rayons (tel le vin). Économiques ensuite : la technologie utilisée coute très cher. Est-ce rentable s’il faut déployer cela à grande échelle ?
Dédain enfin (parfois). La grande distribution est un porte-avion, pas une vedette rapide. A l’image des banques qui ont mis des années avant d’embrayer et courir après les fintechs, certains représentants (ou consultants) du secteur de la grande distribution se plaisent à douter devant ce libraire qui commence un métier qu’il ne connait pas.
Méfiance, méfiance …
Il y a pourtant plusieurs signaux qui incitent à prendre très au sérieux ce qui se passe.
L’importance du secteur. Economiquement, on parle d’un marché colossal. 500 millions d’Européens doivent se nourrir en environnement de plus en plus urbain. Pareil aux USA. De quoi attiser les convoitises.
Une transformation numérique balbutiante. Les changements apportés au secteur jusqu’ici portent sur l’offre (mode hyper ou mode proximité ?), l’organisation (immobilier, gestion syndicale, etc.), le prix, mais finalement assez peu sur la technologie. On a bien les code-barres et autres selfscan, mais cela reste marginal par rapport à ce que la technologie permet vraiment.
Le meilleur des deux mondes. Amazon Go a réussi ce qui manquait jusqu’ici : exploiter son expertise unique dans l’e-commerce avec un « vrai » magasin dans lequel le client voit et touche ses produits. C’est à notre connaissance le seul cas connu à ce jour (sauf Paypal il y a quelques années, mais la brièveté de l’expérience ne permet de la décrypter).
L’approvisionnement. Ce que la technologie permet vis-à-vis du client, elle le permet forcément aussi vis-à-vis de l’exploitant qui sait, en temps réel absolu l’état des stocks du magasin. De quoi faciliter et rentabiliser le back office.
L’effet d’appel. Même si la technologie coûte cher, elle peut être compensée par les économies (notamment en personnel) mais aussi le croisement de l’offre. Amazon est le plus grand magasin généraliste du monde. A peu près tout ce qui peut s’acheter, s’y trouve. Imaginons ce qu’un opérateur pareil pourrait faire en termes d’offres croisées et de produits d’appel.
Il ne reste ne définitive que l’aspect psychologique. Faire ses courses dans un univers déshumanisé, en étant scruté par des ordinateurs, déplaira sans doute à une partie de la clientèle. Gardons toutefois à l’esprit que l’Europe n’est que l’Europe (cela ne choque pas quelques milliards de gens sur la terre, en Asie ou aux USA notamment), et que le propre d’une barrière psychologique est d’être évoluante.