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Affaire Skynet : la cour d’appel allège la responsabilité des hébergeurs

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La cour d’appel de bruxelles a rendu ce 13 février 2001 un arrêt très attendu en matière de responsabilité de l’hébergeur du chef du contenu des sites de ses abonnés (en l’espèce : des liens vers des fichiers MP3). Les faits Les faits ont déjà été exposés lors de l’analyse du jugement de prmeière instance…

La cour d’appel de bruxelles a rendu ce 13 février 2001 un arrêt très attendu en matière de responsabilité de l’hébergeur du chef du contenu des sites de ses abonnés (en l’espèce : des liens vers des fichiers MP3).

Les faits

Les faits ont déjà été exposés lors de l’analyse du jugement de prmeière instance (voir notre actualité du 6 février 2000).

Succinctement, rappelons que certains sites hébergés par l’hébergeur Skynet offraient des hyperliens vers d’autres sites qui proposent des fichiers musicaux en format MP3. L’ASBL IFPI, qui représente les intérêts de l’industrie du disque, et la SA POLYGRAM, ont mis l’hébergeur en demeure de supprimer ces liens, mais celui-ci a refusé d’obtempérer. Les demanderesses introduisent donc une action en cessation en invoquant que ce comportement était contraire aux usages honnêtes en matière commerciale (article 93 LPCC).

Le premier jugement

Le premier jugement avait été très sévère pour l’hébergeur. Le magistrat avait notamment estimé que (traduction libre) :

Qu’en vue de trancher cette affaire, nous faisons nôtre [le raisonnement de] la décision du Tribunal de La Haye, rendue le 9 juin 1999, lequel a jugé que « Les Service Providers commettent un acte illicite, en mettant sans l’autorisation des demanderesses des liens sur leur système informatique qui, par leur activation permettent une reproduction des œuvres sur lesquelles les demanderesses, ont des droits d’auteur, sur l’écran de l’ordinateur du consommateur, si et pour autant qu’ils aient été mis au courant de ce fait, que l’on ne peut raisonnablement douter de l’exactitude de cette notification et que le Service Provider ne prend pas rapidement des mesures pour procéder à la suppression des liens du système »;

Attendu que ce raisonnement implique que « la simple présence d’un lien » (et non le fait d’établir soi-même le lien) entraîne la responsabilité du provider, au cas où, comme en l’espèce, le fait de lier peut porter atteinte aux droits d’auteur ;

Qu’il est relevant que l’on ne peut raisonnablement douter de l’exactitude de la notification ;

Qu’en l’espèce il n’y a pas lieu de douter, dès lors qu’il s’agit de l’établissement, de manière consciente, de liens vers des sites pirates web connus (fichiers MP3 illégaux); que la complicité de la défenderesse, lors de la mise à disposition du public en Belgique de reproductions de fichiers de musique, cause une exploitation illégale en Belgique et des actes illicites;

Cette décision avait été vertement critiquée à l’époque, pour deux motifs au moins : d’une part elle ignorait complètement la proposition de directive sur les aspects juridiques du commerce électronique (mais il est vrai que ce n’était qu’une proposition), et d’autre part elle semblait présumer que MP3 est toujours synonyme d’illégalité.

L’arrêt de la cour d’appel

La cour considère que l’hébergeur ne peut rester inactif lorsqu’il lui est notifié la présence d’un contenu illicite sur ses serveurs. La cour estime qu’il doit réagir si les conditions et la procédure suivantes sont remplies :

  1. Le plaignant (le titulaire des droits par exemple), doit notifier la présence de contenu illégal, et donner à l’hébergeur les arguments qui permettent, prima facie, de démontrer l’illégalité de l’élément en question ;

  2. L’hébergeur dispose alors de 3 jours ouvrables pour apporter la preuve de la légalité de l’élément litigieux. Sinon, il doit faire suite à la plainte et suspendre la mise en ligne ou restreindre l’accès ;

  3. Le plaignant doit expressément accepter sa responsabilité dans l’hypothèse ou, a posteriori, l’élément qui aurait été suspendu serait néanmoins déclaré licite. Il doit pareillement accepter de couvrir l’hébergeur en cas de recours de son abonné contre lui.

Et la cour de préciser que l’hébergeur à qui on notifie le fait qu’un de ses abonnés propose des liens vers des fichiers illégaux doit suivre cette procédure, s’il ne peut raisonnablement douter du caractère illégal du lien. A fortiori en va-t-il de même si l’abonné propose non seulement des liens mais les <u<fichiers illégaux eux-mêmes.

La cour passe ensuite en revue les faits qui lui sont soumis en regard des règles qu’elle vient de dégager, pour conclure qu’en l’espèce l’hébergeur n’a pas fauté.

Commentaires et réflexions

On sent, tout au long de l’arrêt, la volonté de la cour de fournir une solution praticable, tant aux titulaires de droits qu’aux hébergeurs. Il est vrai que l’absence de règle est parfois pire qu’une mauvaise règle, et que la cour a au moins donné une réponse précise à la question posée.

On sent par ailleurs la double influence européenne et américaine.

L’article 14-2 de la directive sur le commerce électronique a manifestement inspiré la cour (art. 14-2 : « Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que : a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite et, en ce qui concerne une demande en dommages-intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ; ou b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible »).

Quant à l’influence américaine, elle est évidente : l’adoption d’une sorte de procédure de notice and take down provient directement du Digital Millenium Act.

Cela dit, l’arrêt ne nous satisfait pas entièrement. Deux choses au moins laissent un goût d’inachevé :

  • Primo, mais cela n’est pas propre au droit de l’internet, on se demande sur quelle base un juge peut énoncer une procédure à ce point précise qu’elle crée en réalité une nouvelle norme qui a quasiment valeur de loi. N’est-ce pas le rôle exclusif du législateur ? Certes, la cour prend soin de s’appuyer sur les usages du net, mais cela ressemble plus à de l’habillage adroit qu’à une véritable base juridique. A la décharge de la cour, nous avons salué sa volonté de fournir une solution qui mette un terme à une controverse. Mais la question demeure : la fin justifie-t-elle les moyens ?

  • Secundo, il nous semble que la cour renverse la charge de la preuve : comment interpréter autrement le fait que dans les trois jours ouvrables, l’hébergeur doit fournir la preuve que l’élément litigieux est légal ou autrement en suspendre la mise en ligne.

    Cela ne nous paraît conforme ni au droit commun (celui qui allègue un fait doit le prouver), ni à la directive européenne (l’hébergeur « doit avoir effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite » ce qui nous semble impliquer que ce n’est pas à lui à établir le carcatère licite, mais au plaignant à établir le caractère illicite).

    La loi américaine a résolu ce problème de manière novatrice. Aussi, tant qu’à suivre l’influence américaine, n’aurait-il pas été plus simple de l’adopter en tout ? Le Digital Millenium Act contient en effet une procédure de notice and take down, mais surtout, et la cour semble l’oublier, une procédure de notice and put back : si l’opérateur du site prétendument contrefaisant, averti par le fournisseur, adresse une counter notice, affirmant sur l’honneur que l’usage des œuvres litigieuses est légal, le fournisseur doit, dans les meilleurs délais, notifier au titulaire du copyright la counter notice et, dans les quatorze jours ouvrables, réactiver le site, à moins que l’affaire n’ait été portée en justice dans l’intervalle. La counter notice doit également contenir une série de mentions formelles, dont l’engagement de l’opérateur du site de se soumettre le cas échéant à une procédure juridictionnelle ou, s’il est établi à l’étranger, à un organisme judiciaire approprié.

    Cela dit, le péché original n’a pas été commis par la cour … mais par le législateur européen.

    En effet, il est à proprement parler inadmissible que le législateur ait adopté l’article 14-2 sans indiquer quand l’hébergeur est censé avoir connaissance du caractère ilicite de l’élément litigieux. C’est d’autant moins acceptable que le problème est surmontable et purement politique. Tout indique que le législateur européen savait que le texte est impraticable, mais qu’il espère un accord au sein même de l’industrie, ou à défaut qu’il s’est donné le temps de mettre les Etats membres d’accord. Comment comprendre autrement que l’article 21-2 de la directive oblige la Commission européenne à présenter au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social un rapport, avant le 17 juillet 2003, sur la nécessité notamment de présenter des propositions relatives aux « procédures de notification et de retrait et l’imputation de la responsabilité après le retrait du contenu ».

    Bref, d’ici là, il faut soit suivre la cour, soit suivre la loi de transposition. A moins que l’industrie trouve un modus vivendi, par exemple sous forme d’un code de conduite, comme l’y invite expressément le considérant 40 de la directive (« (…) la présente directive doit constituer la base adéquate pour l’élaboration de mécanismes rapides et fiables permettant de retirer les informations illicites et de rendre l’accès à celles﷓ci impossible ; il conviendrait que de tels mécanismes soient élaborés sur la base d’accords volontaires négociés entre toutes les parties concernées et qu’ils soient encouragés par les États membres ; il est dans l’intérêt de toutes les parties qui participent à la fourniture de services de la société de l’information d’adopter et d’appliquer de tels mécanismes (…) »).

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