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Affaire J’accuse : les fournisseurs d’accès libérés de l’obligation de filtrage

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Le tribunal de grande de Paris a rendu ce 30 octobre une décision très attendue dans un procès ultra-médiatisé. C’est que les questions posées sont importantes. Les faits Le portail Front14 représente ce genre de choses que l’on souhaiterait voir disparaître du web. Il offre un hébergement gratuit aux sites web, à condition qu’ils soient…

Le tribunal de grande de Paris a rendu ce 30 octobre une décision très attendue dans un procès ultra-médiatisé. C’est que les questions posées sont importantes.

Les faits

Le portail Front14 représente ce genre de choses que l’on souhaiterait voir disparaître du web. Il offre un hébergement gratuit aux sites web, à condition qu’ils soient racistes :

Many White people don’t have the time and energy to put into hosting their own domain, so they join Geocities, Angelfire, etc, in an attempt to get their voices heard. But these « free » services (who bombard you with ads) have adopted an aggressive anti-White policy. We decided to provide an alternative to proud White men and women, one that would be for our White interests only.

Régissant à ce contenu pour le moins choquant, une association française contre la racisme a lancé citation contre 16 fournisseurs d’accès français. Objet de la demande : que les fournisseurs empêchent l’accès à un portail américain ouvertement raciste (voir l’assignation reproduite dans notre actualité du 27 juin 2001).

La responsabilité des FAI : pas d’obligation de filtrage

Les FAI plaidaient leur stricte neutralité en leur qualité de simple opérateur de télécommunications et l’absence de toute obligation légale et de toute responsabilité de leur part dans la régulation d’internet. Ils insistaient néanmoins sur les nombreuses initiatives prises afin de favoriser un usage responsable d’internet et de lutter contre les contenus incitant à la haine.

Le juge suit cette position et déboute la demanderesse : en l’état actuel du droit positif, les fournisseurs d’accès n’ont, en effet, aucune autre obligation que celle de fournir à leur clients des outils de filtrage.

Signalons que ce faisant, le juge anticipe l’application de la prochaine directive sur le commerce électroniquen qui prévoit un régime dérogatoire pour les FAI. L’article 12 de la directive énonce en effet ce qui suit :

1. Les États membres veillent à ce qu’en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises, à condition que le prestataire :

a) ne soit pas à l’origine de la transmission ;

b) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission ; et

c) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission.

2. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.

C’est donc un principe de non-responsabilité qui a été créé au niveau européen, mais avec la possibilité, pour une juridiction agissant conformément à son système juridique, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Par rapport au droit européen, le juge pourrait donc, conformément à son système juridique, exiger de mettre un terme ou prévenir une violation. La portée de cette précision est encore floue, mais son interprétation doit s’inscrire dans la foulée du considérant 44 de la même directive qui précise qu’ « un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de son service afin de se livrer à des activités illégales va au delà des activités de « simple transport » ou de « caching » et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière de responsabilité prévues pour ce type d’activité ».

Le juge français a donc estimé, d’une part, que les FAI ne font pas de « collaboration délibérée », et d’autre part, que le droit positif français ne permet pas d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Au nom de la morale, une « invitation pressante » à filtrer spontanément

La décision va plus loin. Le magistrat s’est en effet distingué de deux manières. D’une part, en créant un nouveau type de référé, et d’autre part, en donnant au juge un pouvoir de pression morale.

Des débats et mesures inédits en référé

Très vite dans les débats, le juge a invité les parties à provoquer un grand débat sur cette question d’importance. Il a donc invité chacune d’elles à faire entendre ses “grands témoins” (sic) qui ont donné leur avis. Certains se sont prononcé sur la faisabilité technique du filtrage ; d’autres ont entrepris une analyse sociologique et philosophique de l’internet, espace du “je veux” dans lequel le droit s’insérerait difficilement.

Une pression morale inédite

A l’occasion de cette affaire, le juge a inventé un nouveau concept : la non-responsabilité juridique doublée d’une condamnation morale à peine déguisée. Presque déçu par l’état du droit positif qui encadre son action, le magistrat a “invité” les FAI, au nom de la morale, à devancer le droit.

Le juge constate en effet que les FAI déterminent, en effet, librement les conditions auxquelles ils soumettent la fourniture d’un tel accès, sous la réserve d’un éventuel recours contre une décision de refus d’accès qui serait jugé abusif . Il leur laisse donc le soin de déterminer « librement » les mesures leur apparaissant nécessaires et possibles dans le prolongement du constat que nous venons de faire quant au caractère illicite du site FRONT 14 .

La suite est plus surprenante encore :

Attendu, et en tout état de cause, qu’il ne sera pas possible de différer longtemps encore le débat sur une participation plus dynamique de l’ensemble des acteurs d’internet et donc des prestataires techniques, en ceux compris les fournisseurs d’accès, à la nécessaire régulation du réseau et ce pour deux motifs au moins ;

Attendu, et tout d’abord, qu’il est vain d’espérer en une autorégulation même minimale di’nternet, réseau de plus en plus livré à la démesure, à la toute puissance du “je veux”, et “devenu le denrier refuge de tous les excès, de toutes les provocations”, et “le moyen de toutes les agressions” (…);

Attendu, ensuite, qu’est bien réel le risque de voir se développer des « paradis de l’internet » comme se sont déjà développés des « paradis fiscaux » où il sera de plus en plus difficile d’atteindre les cyberdéliquants de tous poils qui pourront ainsi bénéficier non seulement d’un éventuel environnement juridique ponctuellement favorable mais en outre de la « neutralité » des prestataires techniques, et à l’encontre desquels les victimes ne seront plus à même de faire réellement valoir leurs droits sauf à envisager la mise en œuvre d’important moyens notamment d’ordre financier pour engager des actions à l’étranger et répondre aux moyens dilatoires qui ne manqueront pas de leur être opposés, autant dire une mission presque impossible ; qu’il y aurait là, à l’évidence, rupture d’égalité devant l’accès à la justice, pour reprendre au moins en partie une expression déjà émise dans le cadre du présent débat ;

Ne tirons pas sur l’ambulance

L’observateur est à tout le moins dérouté par ces deux caractéristiques.

D’abord parce qu’elles sont neuves (mais cela est plutôt de bonne augure), mais surtout parce qu’elles a été mises au point dans le cadre du référé. Et, il faut bien l’avouer, on peut éprouver quelque difficulté à concilier l’exigence du référé, procédure urgente et provisoire qui n’analyse que l’apparence de droit et non le droit lui-même, avec le grand déballage auquel nous avons assisté sur la problématique de fond.

Plus qu’une critique, cette remarque est un nouvel appel au législateur pour qu’il clarifie d’urgence le rôle du juge des référés lorsqu’il statue dans l’univers de l’internet. Ce juge un peu particulier est devenu, de facto, le juge naturel du réseau. Il doit souvent avancer à tâtons, improviser, “faire avec”, et surtout faire preuve d’incroyables qualités de souplesse et d’imagination. N’y-a-t-il pas ici un risque : développer une jurisprudence en forme de sables mouvants dont, finalement, c’est le justiciable qui paie le prix ?

Plus d’infos

En lisant l’ordonnance, en ligne sur notre site (Source : Forum des droits de l’internet).

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